Philippe Herreweghe
Philippe Herreweghe © Michiel Hendryckx

La consolation de la musique offerte par Herreweghe

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Retour sur le deuxième concert de la tournée du Collegium Vocale de Gent, sous la direction de Philippe Herreweghe, dans huit villes de Belgique, France, Espagne et Royaume Uni.

 

La musicothérapie remonte à l’antiquité ; à l’époque baroque certains couvercles de clavecins étaient ornés de la devise «  Musica lætitiæ comes, medicina dolorum  » («  la musique est une compagne de la joie et un baume pour la douleur  »).  Aujourd’hui Philippe Herreweghe reste un adepte des soins musicaux ; avant de devenir chef d’orchestre, il se consacra à des études de médecine et de psychiatrie. Lors du concert de son Collegium Vocale de Gent le 28 novembre à Nice, donné au profit des victimes de l’attentat du 14 juillet, il s’est brièvement adressé au public,en précisant que les chanteurs et musiciens de cet ensemble venaient des quatre coins du globe, et que lui et son épouse (la violoncelliste Ageet Zweistra) étaient originaires de Bruxelles, une ville également touchée par l’ignominie du terrorisme. Il a fait l’humble vœu que la musique apporte un réconfort dans ces temps difficiles.

Le programme consistait en un cycle de madrigaux sacrés Israelis Brünnlein (« La Fontaine d’Israël »), composé en 1623 par Johann Hermann Schein (1586-1630), un prédécesseur de J. S. Bach, actif comme lui en tant que cantor à l’église Saint Thomas de Leipzig. Ce chef-d’œuvre de la musique spirituelle protestante consiste en une série de vingt-six pièces composées « auf einer italian madrigalische Manier» (« à la manière d’un madrigal italien »), c’est-à-dire donnant une expression musicale à des images et à des émotions dictées par le texte. Les textes de ces madrigaux sont tirés de l’Ancien Testament, sauf pour deux d’entre eux qui furent vraisemblablement écrits par Schein lui-même, fils érudit d’un pasteur. Le chant est pour cinq voix : deux sopranos, alto, ténor et basse. La partition précise que l’œuvre peut être accompagnée d’instruments ou bien chantée avec orgue ou clavecin.

Herreweghe a choisi, pour soutenir les voix, un groupe d’instruments aux couleurs variées ; violoncelle d’Ageet Zweistra, violone de Miriam Shalinsky, théorbe de Thomas Dunford et orgue de Maude Gratton. Il a positionné le violone à gauche de la scène et les trois autres musiciens à droite pour produire un effet de stéréophonie et contribuer au sublime mélange de voix et d’instruments qui caractérise cette œuvre.

Les madrigaux de Schein ont été présentés en trois parties, séparés par deux interludes instrumentaux de la plume de compositeurs contemporains.  Dans le premier interlude, Lachrimae pavane (« Flow my Tears », 1596) de John Dowland (1563-1626), le luthiste Thomas Dunford a ému le public par la sonorité de son théorbe, pleine et ronde, même dans un espace aussi vaste que celui de la Cathédrale Sainte Réparate. Le second interlude, « Da Jesus an dem Kreuze stund » (1624) de Samuel Scheidt (1587-1654), fut joué avec une intensité remarquable par l’organiste Maude Gratton.

Collegium Vocale Gent © DR
Collegium Vocale Gent © DR

Le quintette vocal est composé des sopranos Dorothée Mields et Hana Blaziková, les ténors Robert Getchell (chantant la partie alto) et Thomas Hobbs et à la basse Peter Kooij.  Plutôt que de briller en tant que solistes, ils entrelacent leurs voix pour arriver à un mélange intense et captivant—la soprano pure et résonnante de Dorothée Mields créant un halo sonore autour du groupe.  Leur ferveur recueillie au début du madrigal n° 21 « Was betrübst du dich, meine Seele », commencé a cappella était mémorable.  Herreweghe était très attentif au figuralisme de l’œuvre, comme, par exemple, le staccato du mot « zerissen » (« brisé ») dans le premier madrigal « O Herr, ich bin dein Knecht », le chromatisme languissant du mot « tränen » (« larmes ») dans le troisième « Die mit Tränen säen » et la tristesse et les dissonances qui dépeignent le mot « weinet » (« pleure ») dans le dixième « Da Jakob vollendet hatte ».  Parfois, dans des concerts de madrigaux, ce genre de détail devient l’arbre qui cache la forêt, mais les chanteurs du Collegium Vocale de Gent, aidés par leur chef Herreweghe, ont su préserver l’unité spirituelle qui relie les vingt madrigaux choisis pour ce programme. Comme bis, le Collegium Vocale de Gent a offert une répétition du madrigal n° 23 « O Herr Jesu Christe ».

Ce concert est le deuxième dans la tournée que fait en novembre et décembre 2016 le Collegium Vocale de Gent dans huit villes de Belgique, France, Espagne et Royaume-Uni. Il figure dans la saison de l’association « Les Moments Musicaux des Alpes-Maritimes », qui en juin dernier avait invité le violoniste Fabio Biondi avec l’ensemble Europa Galante. Nous saluons les efforts de cette nouvelle association pour attirer des orchestres baroques de grande qualité, efforts appréciés par les mélomanes de la Côte d’Azur.

Jacqueline Letzter et Robert Adelson, historienne de la littérature et musicologue, sont les auteurs de nombreux livres, dont Ecrire l'opéra au féminin (Symétrie, 2017), Autographes musicaux du XIXe siècle: L’album niçois du Comte de Cessole (Acadèmia Nissarda, 2020) et Erard: a Passion for the Piano (Oxford University Press, 2021). Ils contribuent à des chroniques de concerts dans le midi de la France.

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