A l’instar de nombreux festivals de musique, le Festival Berlioz qui se déroule tous les ans dans la ville natale du compositeur, à la Côte-Saint-André, (Isère) s’est vu annulé en 2020. Il renaît cet été avec une très belle programmation qui a enthousiasmé les berloziens (sans doute aussi les non-berloziens) tant par la richesse de son programme que par la qualité exceptionnelle de ses artistes invités. Son directeur artistique Bruno Messina n’a pas hésité à qualifier le festival 2021 de “Retour à la vie” !
Un véritable “retour à la vie” berliozienne ; la formule, tel un slogan, n’a jamais été aussi juste. On peut en juger par le riche programme proposé puisqu’en l’espace de quelques jours ont été programmés Les Troyens à Carthage, L’Enfance du Christ, La Damnation de Faust, le Requiem, avec pour interprètes, François-Xavier Roth, John Nelson, Valery Gergiev, Sir Eliot Gardiner…
On retiendra, pour la partie du festival à laquelle nous avons assisté : le feu des Troyens à Carthage et la beauté émouvante de L’Enfance du Christ. Sans oublier la surprise qui nous est venue d’une production originale intitulée Le Château des Cœurs, une création autour de Flaubert et de Berlioz qui a enchanté le Festival et qu’on espère retrouver sur une grande scène française.

Des Troyens à Carthage de feu
Il était nécessaire – on ajoutera : vital – de donner à la Côte Saint-André, la ville natale du grand Hector, la “fin” de l’opéra Les Troyens dont les deux premiers actes avaient été donnés, avec grand succès, lors du dernier festival en 2019. Forts d’une exceptionnelle distribution et du Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz-Isère qui a mûri et dont le son s’est enrichi, Les Troyens à Carthage, cette deuxième partie de l’opéra Les Troyens ( Actes III, IV et V ) a soulevé, le dimanche 22 août, les plus légitimes enthousiasmes.
Introduit avec conviction et élégance par le “Rhapsode” (le comédien Eric Génovèse), ces Troyens à Carthage débutent dans la douleur des réminiscences de la perte de Troie. Cette mélancolie qui hante cet opéra et ne le quitte jamais, nous rappelle cette phrase de Berlioz: ” Combien de fois, expliquant devant mon père le quatrième livre de l’Enéide , n’ai-je pas senti ma poitrine se gonfler, ma voix s’altérer et se briser”…
Quant à la distribution, elle a été à la hauteur de l’événement et a fait preuve d’une belle implication : Isabelle Druet a incarné une merveilleuse Didon puissamment dramatique, devenant, quand Enée l’abandonne, une Médée imprécatrice et désespérée. Elle est associée au ténor Mirko Roschkowski qui incarne un très beau Enée. Ils vont donner ensemble une sublime “Nuit d’ivresse et d’extase infinie“! (Acte IV)
On peut applaudir sans réserve – et sans exception- tous les chanteurs. On soulignera les très belles interventions d’Héloïse Mas dans Ascagne (diction, projection, puissance), de François Rougier dans Hylas, le savoureux duo de Sentinelles (Thomas Dolié et Damien Pass).

Si le plateau mérite tous les éloges, l’homme de la situation, le musicien indispensable pour donner corps à ce chef d’oeuvre, a été avant tout François Xavier Roth. Sa direction est remarquable. Elle épouse et magnifie le grand oeuvre d’Hector en lui insufflant poésie, rêverie et la puissance raffinée de l’orchestre.
Balayant toutes les interrogations et les réticences qui surgissent invariablement ça et là à l’évocation des Troyens, François-Xavier Roth parvient à mobiliser solistes, orchestre et choeur – en réalité les 2 chœurs, celui de l’Orchestre de Paris et celui du Forum National de la Musique de Wroclaw dont l’amalgame a été réussi et qui sont tous deux excellents et justement ovationnés.
A l’écoute de cette superbe réalisation, quelques paroles empruntées à l’opéra, d’abord d’actualité, “L’Art nourrit les hommes”(Acte III) et puis, éternelle, “L’amour est le plus grand des dieux” “Anna”( Acte IV).
Une “Enfance du Christ” émouvante
Autre moment fort du festival : L’Enfance du Christ, le mercredi 25 août. Sous la direction inspirée de John Nelson, cette pièce a agi comme un choc. Quand elle est jouée de cette façon, cette pièce dont la difficulté réelle est de ne pas verser dans l’imagerie religieuse, a justement échappé au contresens qui, tant de fois la défigure par la lecture “sulpicienne “.

Ici, qu’il s’agisse du chœur, des solistes ou de l’orchestre (Orchestre de Lyon), point d’épanchements surjoués : interprétée à l’unisson presque comme un acte de foi, cette « Enfance » a touché par la simplicité et l’intériorité d’un merveilleux chrétien assumé. Chacun des solistes est dans son rôle. D’abord le ténor Cyrille Dubois, littéralement exceptionnel dans son personnage de récitant. Qu’il s’agisse d’Hérode tenu avec conviction par Vincent Le Texier (qui interprète également le Père de Famille) , ou de Christine Rice dans Marie, ou de Roderick Williams dans Joseph, on retrouve le même souci de chacun des solistes de se fondre dans le projet dramatique pour le servir. Sans oublier les deux chœurs magnifiquement préparés par Nicole Corti et Pascal Adoumbou, qui ont une part essentielle dans la réussite de cette soirée. Tous ont été au diapason d’une production qui fera date.
Une belle découverte
La belle et heureuse découverte : Le Château des Coeurs. Spectacle, car il ne s’agit pas seulement d’un concert mais aussi d’une représentation scénique, donné le lundi 23 août à la Chapelle de la Fondation des Apprentis d’Auteuil , située à la Côte-Saint-André. Ce spectacle comporte un sous-titre particulièrement signifiant et justifié de “concert féérique”.

La pièce de théâtre qui est le support du spectacle a été écrite à trois mains en 1863 par Gustave Flaubert, son ami le poète Louis Bouilhet et le Comte Charles D’Osmoy. Cette pièce ne sera jamais montée en dépit des démarches entreprises par les auteurs. De guerre lasse, elle sera publiée dans une revue par Flaubert, à la toute fin de sa vie.
Réalisé par la Compagnie Opéra-3, conçu et mis en scène par Jeanne Dubost, ce spectacle narre l’histoire de la Reine des fées à la recherche de deux cœurs purs qui peuvent s’aimer et ainsi déjouer le stratagème des gnomes qui ont mis, à force de trahisons, les Hommes sous leur domination. On suit ainsi, à travers 9 tableaux, le destin de 2 personnages, Paul et Jeannette, le tout accompagné par la musique de Berlioz sous diverses formes.
En quelques mots, 9 tableaux sont représentés successivement : une broderie amusante autour des quatre chanteurs et des deux comédiens, sur une musique jouée et chantée en solo, en duo ou en quatuor. Instruments sollicités : la guitare, la flûte, le violon. On reconnaîtra les instruments de Berlioz, à commencer par la guitare.

Qu’il s’agisse de la dramaturgie, originale et convaincante, de l’interprétation des comédiens-récitants, des chanteurs ou des instrumentistes, ce spectacle – difficile à définir du fait de sa grande originalité – n’appelle que des éloges. Il faut féliciter le Festival Berlioz de programmer de tels événements tout à la fois à la fois théâtraux et musicaux et, surtout, intelligents, plein d’humour, et pour tout dire, réconfortants.
Une Damnation de Faust décevante
La Damnation de Faust donnée le jeudi 26 août n’a pas, loin s’en faut, répondu aux attentes. Une “Damnation” toute en puissance, mais qui a manqué singulièrement de poésie… En d’autres termes, ce n’est pas parce que l’on dispose de musiciens exceptionnels (instrumentistes, chanteurs, choristes) que l’on fait la meilleure musique : tout est affaire de conception, de sensibilité, de vision de l’œuvre et de sa compréhension intime. Que de contresens ne fait-on pas avec les œuvres d’Hector Berlioz !

Bien sûr, le son est là ; mais est-il berlozien ? Autrement dit, rend-t-il compte réellement du propos d’Hector ? Certes, on pourra objecter que toute approche esthétique de la “Damnation” est affaire subjective – elle l’est assurément – comme tout chef d’oeuvre est susceptible de multiples interprétations. Toutefois, à condition de conserver une nécessaire cohérence.
Or, on peut en douter à l’écoute de cette “Damnation” qui nous a laissé sur notre faim, surtout en ce qui concerne les première et deuxième parties, avant la pause. Les interprètes ne sont nullement en cause : Alexander Mikhailov n’a pas démérité dans Faust, même s’il avait peine à se faire entendre dans la première partie ; mais il a retrouvé son – beau- chant dans la seconde. Yulia Matochkina a sans doute la voix de Marguerite mais pas la diction ; quelques minauderies en direction de Faust n’ont rien arrangé et attestent du quiproquo dans lequel se sont retrouvés les interprètes de cette “Damnation”. Par contre Ildar Abdrazakov est un remarquable Méphistophélès, impérial et sombre ; timbre puissant, diction parfaite, belle présence scénique.

La beauté des Chœurs et de l’orchestre du Marinsky de Saint-Pétersbourg n’ont pas fait oublier les regrets que l’on a nourris. Les artistes russes se retrouvaient le lendemain, vendredi 27 août, pour le Requiem d’Hector Berlioz. Vivement le Festival Berlioz 2022 !
Festival Berlioz 2021 “Le Retour à la Vie”
“Les Troyens à Carthage”
dimanche 22 août 2021 / Château Louis XI
Deuxième partie (actes III, IV, V) de l’opéra “Les Troyens” livret de H.Berlioz d’après “L’Eneïde” de Virgile
Isabelle Druet : “Didon”
Mirko Roschkowski : “Énée”,
Delphine Haïdan : “Anna”, “Spectre de Cassandre”,
Vincent Le Texier :”Narbal”, “Spectre de Priam”,
Julien :”Iopas”
François Lis : ” Panthée”
Héloïse Mas : “Ascagne”
François Rougier : “Hylas”
Thomas Dolié : “Sentinelle”, “Spectre de Chorèbe”
Damien Pass : “Sentinelle”, “Spectre d’Hector”, “le Dieu Mercure”
Eric Génovèse : “Rapsode”
Choeur de l’Orchestre de Paris
Choeur du Forum National de la Musique de Wroclaw
Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz – Isère
François-Xavier Roth, Direction
“L’Enfance du Christ”
mercredi 25 août 2021 / Château Louis XI
Vincent Le Texier : “Hérode”, “Père de famille”
Christine Rice : “Marie”
Roderick Williams : “Joseph”
Cyrille Dubois, Récitant
Choeur “Sprito”
“Jeune Choeur Symphonique”
Orchestre national de Lyon
John Nelson, Direction.
“Le Château des Coeurs ” lundi 23 août / Chapelle de la “Fondation des Apprentis d’Auteuil”
Cécile Achille, soprano,
Julie Robard-Gendre, mezzo-soprano,
Sébastien Droy,, ténor
Ronan Dubois, baryton
Antoine Fougeray,
Rozarta Luka, flûte,
Isabelle Moniedr-Esquis, Nicolas Gaudart, comédiens
Dan Félice, lumières
Elis Janoville, costumes
Jeanne Debost conception et mise en scène
“La Damnation de Faust” Hector Berlioz
Jeudi 26 août 2021 / Château Louis XI
Alexander Mikhailov : “Faust”
Yulia Matochkina : “Marguerite”
Ildar Abdrazakov : “Méphistophélès”
Andrey Serov : “Brander”
Orchestre et Choeur du Théâtre Marinsky de Saint-Pétersbourg
Valery Gergiev, Direction