Mardi 9 octobre, l’orchestre Philharmonique de Vienne présentait au Théâtre des Champs Élysées un programme Prokofiev sous la direction de Valery Gergiev, avec Denis Matsuev au piano pour le Concerto n° 2. Une soirée étincelante.
Après que l’Orchestre Philharmonique de Vienne s’est installé, Valery Gergiev entre “sur la scène sous les ovations et les projecteurs”. La salle est comble et semble en attendre beaucoup de ses interprètes !
Place aux extraits de Roméo et Juliette. On est d’abord surpris par le “bredouillement” des cuivres aux premiers accords ; l’orchestre menace de nous décevoir. Mais ce ne fut qu’une erreur à pardonner car c’est bien le pupitre des cuivres, avec la brillance qu’on lui connaît et par laquelle on se plaît à saluer les orchestres allemands, qui guide le discours. Il offre une palette sonore remarquable allant d’une nostalgie évanescente à de véritables vrombissements. Et Valery Gergiev les fait chanter. Un corps de plomb pour des mains souples et frétillantes, sa direction est précise et sans hésitations. Le Roméo et Juliette qu’on pensa claudiquant dans ses premières formulations, se déploie plein de caractère et de force.
Et voici une seconde vague d’applaudissements pour Denis Matsuev. Le public semble impatient de l’entendre jouer Prokofiev. Il est peut-être inévitable de garder en tête les tours de force dans son interprétation des sonates… Et il est vrai que, sur ce point, il ne nous déçoit pas. Ce concerto pour piano et orchestre n°2 a un discours scandé et nous présente des personnages plus que des thèmes. Le premier mélancolique et le suivant gouailleur. Se succèdent le grotesque, l’ironique et évidemment la cadence qui n’a pas d’autre trait de caractère que celui d’une virtuosité féroce et presque inaccessible. Denis Matsuev est d’ailleurs remarquable dans ses prouesses répétées.
Pour ces moments pyrotechniques, l’orchestre se tait, et la salle aussi. Ne résonnent alors que les courbes hypnotiques et bientôt les martèlements obsédants d’un piano en souffrance. Ainsi, ce deuxième concerto place tout particulièrement son soliste au premier plan.
Depuis la salle, c’est un véritable spectacle. Sur le clavier, les mains du pianiste se transforment en arches solides ou en gestes volubiles que la rapidité rend insaisissables. Le chef aussi est entrainé : il pulse de tout son corps les à-coups de ces mesures pesantes sans jamais s’essouffler. Les dernière instants sont gigantesques. Matsuev tape du pied et crispe ses expressions, avant de plaquer son dernier accord et de suivre sa résonance avec les membres de son corps.
Le public enthousiaste se rend, comme impuissant devant la violence cathartique de ce programme ambitieux. En guise de remerciement musical, le pianiste troque la fin éclatante du concerto contre un aurevoir vibrant et intimiste, l’Etude n°2 opus 39 de Rachmaninov.
Après l’entracte, le public détendu s’apprête à affronter encore l’ardeur des pages orchestrales russes. La Sixième Symphonie nous fait cette fois (re)découvrir les cordes qu’on croyait discrètes, peut-être un peu cachées auparavant par la puissance des vents. C’est avec une grande satisfaction que l’on remarque la présence enthousiaste du second pupitre de violons, sans contredit portés par la distinction d’un violon solo exemplaire. Si l’on conserve le regard tourné vers les cordes, on est surpris de compter pas moins de neuf contrebasses ! Pour ainsi dire aussi nombreuses que les violoncelles, ce choix de nomenclature dévoile le caractère “grondant” de cette musique.
Les derniers applaudissement sont sans surprise les plus chaleureux. Après plusieurs rappels, l’orchestre offre au public un dernier Tchaïkovski, Panorama, extrait de La belle au bois dormant, plus calme et reposant après cette tempête et ces tensions accumulées. Somme toute, ce fut un concert brillant ce soir au TCE, dirigé par des interprètes de choix ; à prescrire aux amateurs d’émotions fortes !