L’orgue ! ― Dans l’atelier immense qui bourdonne,
Maint ouvrier déploie un effort rude et long,
Ciselant tour à tour le bois, le fer, le plomb,
Pour créer l’instrument qui chante, pleure et tonne.
William Chapman, “L’Orgue” – Intima verba, Les Fleurs de Givre, 1912.
En dehors de la célèbre symphonie n°3 en ut mineur op.78 « avec orgue » (1885-1886) de Camille Saint-Saëns et de l’incontournable Concerto en sol mineur pour orgue, orchestre à cordes et timbales (1838-39) de Francis Poulenc, il existe plus de 500 œuvres écrites pour orgue et orchestre ou chœur. Petit tour d’horizon, suivi de la playlist :
Georg Friedrich Haendel (1685-1759) – concerto op. 7 n°2 en si bémol majeur
Daté du 5 février 1743, cette œuvre fait partie des 16 concerti pour orgue et orchestre de Haendel, véritable pionnier dans ce genre. Ces concerti étaient destinés à être joués pendant les intermèdes de ses oratorios, en l’occurrence Samson dans le cas du concerto op7.n°2. C’est d’ailleurs Haendel lui-même qui tenait la partie de l’orgue, démontrant ainsi sa virtuosité et son talent d’improvisateur. En cinq mouvements (Andante, Andante, Largo, Allegro, Adagio, Allegro), ce concerto op.7 N°2 n’est pas sans évoquer une certaine inspiration française.
Haendel, Organ Concertos, op. 4 & op. 7 / Ton Koopman (orgue et direction), The Amsterdam Baroque Orchestra
Michel Corrette (1707-1795) – concerto op. 26 n°6 en ré mineur
Né à Rouen en 1707, Michel Corrette arrive à Paris en 1726 et se fait presque aussitôt connaitre comme organiste, compositeur et auteur de méthodes instrumentales. En 1748, le Concert Spirituel se dote d’un orgue aux Tuileries. L’orgue y acquière de ce fait une position de soliste. En 1756, Corrette, qui s’est rendu en Angleterre où il a certainement entendu Haendel, compose ses Six Concertos pour orgue et orchestre. De style très italien, le concerto n°6 comporte trois mouvements : Allegro, Andante, Presto.
Michel Corrette, Six concertos pour orgue & orchestre / François-Henri Houbart (orgue), Orchestre Bernard Thomas
Louis Vierne (1870-1937) – Messe solennelle en ut# mineur pour chœur et deux orgues op.16
Unique de par son effectif, cette messe a été composée en 1901 et créée à l’église St-Sulpice, sur les deux instruments du célèbre facteur Aristide Cavaillé-Coll. Un an auparavant, Louis Vierne était nommé organiste de la cathédrale Notre-Dame de Paris, poste où il restera jusqu’à sa mort en 1937 survenue brutalement, lors d’un récital sur ce même instrument. Dans le Kyrie, le grand orgue intervient à plusieurs reprises de façon puissante, ponctuant les grandes phrases de chœur, empreintes d’un lyrisme que Vierne hérita de son maitre César Franck.
Vierne : Messe solennelle pour deux orgues et choeur – Widor / Michel Bouvard (orgue), Ensemble vocal Les Eléments, Joel Suhubiette (direction)
Franz Liszt (1811-1886) – Ad nos, ad salutarem undam (arrangement pour orgue et orchestre par Marcel Dupré)
A la demande de la Wanamaker Foundation de Philadephie, lieu possédant l’un des orgues les plus importants au monde (6 claviers, 28 482 tuyaux et 396 jeux), Marcel Dupré (1886-1971) a arrangé pour orgue et orchestre l’immense fresque lisztienne Ad nos, ad salutarem undam. L’œuvre originale a été composée en 1850 et s’inspire d’un thème-choral tiré de l’opéra Le Prophète de Giacomo Meyerbeer. Marcel Dupré est également l’auteur d’une Symphonie en sol mineur et d’un Concerto en mi mineur pour orgue et orchestre.
Liszt/Dupré: Ad nos, ad salutarem undam – Olivier Latry (orgue), Lahti Symphony Orchestra, Okku Kamu (direction)
Jeanne Demessieux (1921-1968) – Poème pour orgue et orchestre op.9
Née à Montpellier et décédée à Paris, Jeanne Demessieux est nommé en 1962 organiste de La Madeleine à Paris. Disciple de Marcel Dupré, sa virtuosité à l’orgue – notamment son jeu pédestre – était phénoménale. Poème a été composé en 1952, année où Demessieux devient professeur d’orgue au conservatoire de Liège, après avoir enseigné à Nancy. L’œuvre combine parfaitement les deux blocs instrumentaux que sont l’orchestre et l’orgue.
Jeanne Demessieux : Poème pour orgue et orchestre op.9 / Ulrich Meldau, (orgue), Symphonisches Orchester Zurich, Daniel Schweizer (direction)
Maurice Duruflé (1902-1986) – Messe « Cum Jubilo » pour chœur de barytons et orgue
Moins connue que le Requiem (1947), cette messe écrite en 1966 réunit pour sa première version une formation originale : chœur de barytons à l’unisson, baryton soliste et orgue. Duruflé augmente l’effectif avec une version incluant un orchestre dès 1970. L’inspiration du chant grégorien est comme toujours chez Duruflé, prégnante. L’empreinte des improvisations du compositeur, pratique à laquelle il se livrait avec passion et intelligence durant les offices à St-Etienne-du-Mont, y est également présente. Dans l’Agnus Dei, le compositeur reprend la délicieuse mélodie d’une courte pièce pour orgue, Méditation, écrite en 1964.
Duruflé: Sacred Choral & Organ Works Vol.2 – Messe « Cum Jubilo » / Eric Lebrun (orgue), Didier Henry (baryton), Ensemble Vocal Michel Piquemal
Betsy Jolas (née en 1926) – Musique d’hiver pour orgue et petit orchestre
Composée en 1971, Musique d’hiver fut créée en Allemagne par Xavier Darasse à l’orgue et l’orchestre du Südwestfunk Baden-Baden sous la direction d’Ernest Bour. Cette œuvre, à tort peu connue, allie avec grande finesse les timbres de l’orchestre et ceux de l’orgue, à tel point que l’auditeur ne sait plus vraiment de quels instruments proviennent les sons. C’est peut-être dans cette pièce que l’on trouve la meilleure antithèse de la célèbre réplique d’Hector Berlioz concernant l’orchestre et l’orgue: « L’un est Empereur et l’autre Pape ; leur mission n’est pas la même, leurs intérêts sont trop vastes et trop divers pour être confondus ». Chez Jolas justement, l’orchestre et l’orgue perdent leur identité pour ne former qu’un seul bloc, comme si l’unité venait de l’éclatement. Explosif !
Betsy Jolas – Musique d’hiver / Xavier Darasse (orgue), Südwestfunk Baden-Baden Orchestra, Ernest Bour (direction) : https://soundcloud.com/betsy-jolas/musique-dhiver
Arvo Pärt (né en 1935) – De profundis pour chœur d’hommes, orgue et percussions
Basée sur le psaume 130, cette œuvre a été écrite en 1980, au moment où Pärt fuyait l’Estonie pour rejoindre Vienne puis Berlin. La pièce utilise le procédé pärtien du tintinnabuli, inspiré des « tintinnabules » (clochettes) présents dans certains édifices catholiques. Elle démarre par un mi grave des voix de basse, souligné par les jeux de pédale et éclairé par des notes aigues à l’orgue, comme pour symboliser l’abîme qui sépare l’homme de son Créateur. De l’orgue, des percussions et du chœur, aucun n’a la prédominance, mais tous convergent très progressivement vers un paroxysme intense, avant de décliner en hauteur et en intensité jusqu’à un silence, que seul altère un dernier son de cloche.
Arvo Pärt : « De Profundis » / Christopher Bowers-Broadbent (orgue), Tonu Kalijuste (percussion), Estonian Philarmonic Chamber Choir
Thierry Escaich (né en 1965) – Le Dernier Evangile, oratorio pour double chœur mixte, orgue et orchestre
Après le Premier Concerto pour orgue et orchestre composé en 1995 pour le Concours International de la Ville de Paris, Thierry Escaich réalise une vaste fresque, Le Dernier Evangile, dont les paroles écrites par Nathalie Nabert, sont inspirées des Ecritures. Ici, l’orgue est traité comme un des instruments de l’orchestre, tout en venant colorer, étoffer ou encore transformer celui-ci. La création eut lieu en 2000 en la cathédrale de St-Malo.
Thierry Escaich, Le Dernier Evangile / Olivier Latry (orgue), Maitrise Notre-Dame de Paris, Ensemble Orchestral de Paris, John Nelson (direction)
Igor Stravinsky – Le Sacre du printemps (transcription par Olivier Latry de la réduction du compositeur pour deux pianos)
Voilà un exemple qui pourrait certainement faire médire les récalcitrants de l’orgue ! Olivier Latry, organiste de Notre-Dame de Paris, s’empare de ce chef-d’œuvre orchestral composé en 1913 en adaptant la version deux pianos réalisée par l’auteur. Toute la palette sonore de l’instrument est mise à contribution pour « recréer » l’orchestration de Stravinsky. Car la démarche n’est pas d’imiter l’orchestre, mais plutôt de réinventer des sonorités qui révèlent à l’œuvre une toute nouvelle facette. Les amateurs de cette fresque « païenne en deux parties » apprécieront et s’étonneront !
Trois danses : Stravinsky, Alain, Heiller – Olivier Latry, Shin-Young Lee (orgue)