Le théâtre de l’Hôpital Bretonneau accueillait, samedi 14 décembre 2015 un concert-conte, qui réunissait, par le dialogue entre une comédienne et un ensemble instrumental, Sibelius, Liadov, Debussy, Desnos, Malaparte, Saariaho, Leconte de Lisle, Haaviko. Une programmation résolument tournée vers l’Europe, pour une représentation toute en élégance et précision mise en scène par Aleksi Barrière et dirigée par Clément Mao-Takacs.
Il a raison, Aleksi Barrière, dramaturge et metteur en scène de ce concert, lorsqu’il nous rappelle, avec Sibelius, que la musique est un curieux mélange.
Il n’y a plus de sens, il n’y a plus que du son. Et pourtant, c’est bien une histoire qui rythme le spectacle vivant que nous proposent Laurence Cordier, conteuse pour l’occasion, et le Secession Orchestré dirigé par Clément Mao-Takacs. Avec finesse, l’alternance de pièces de Debussy, Liadov, Sibelius et de textes choisis ou écrits ne tombe pas dans le piège de la succession monotone de tableaux, d’impressions.
Il est étonnant d’assister à la vivacité de la pensée et du langage de Sibelius. Lui qui s’est toujours tenu à distance des affres politiques de son pays, il est encore aujourd’hui un étendard, un repère pour nombre de finlandais. Rappelons que Finlandia est l’hymne officieux de la Finlande. Sa musique, louée pour ses paysages, sa capacité à dessiner la grande nature scandinave dans un langage européanisé, est aussi celle des peuples qui se déchirent, à l’orée de ce XXe siècle.
Les Gardes Rouges envahissent la Finlande, sont démis en 1918, mais le spectre de l’invasion communiste reste présent dans les esprits, et c’est sans doute une des raisons pour lesquelles le pays rejoint l’Axe à la suite de l’opération Barbarossa en 1941.
Sibelius ne s’en remettra jamais. Ayant toujours refusé une quelconque implication politique, il noie, comme tout homme de l’Est et du Nord, sa tristesse des totalitarismes dans l’art et la culture.
Mais trêve d’anachronismes. Les pièces jouées par le Secession Orchestra sont toutes écrites avant 1916. Lorsque Sibelius compose la Symphonie n°0, une sonate pour piano, nous sommes en 1893 : dix années se sont écoulées depuis la mort de Wagner. C’est le retour d’une certaine virtuosité à la main gauche, en même temps que le souffle continu de la main droite, très bien orchestré par Clément Mao-Takacs, exhalte l’héritage wagnérien, ce souffle nouveau qui porta l’Europe et la vague de révoltes du Printemps des peuples de 1848.
La musique du Grand Nord apparaît plus métissée que dans l’imaginaire collectif, plus contrastée surtout : les harmonies sont moins évidentes qu’il n’y paraît à la première écoute, moins grandiloquentes dans leur scandinavité, même si quelques touches ça et là viennent rappeler leur origine géographique. Comme le rappelle Aleksi Barrière, metteur en scène, le grand poème symphonique Tapiola, de l’esprit des forêts du grand nord lapon, à été composé à Capri !
Les textes de Leconte de Lisle, d’Aleksi Barrière, de Malaparte et de Paavo Haavikko (glaçant), magnifiquement lus et interprétés par Laurence Cordier, racontent l’histoire d’une chute : celle d’une femme, celle d’une nation, en proie à la domination virile et violente de « l’homme qui a la tête dans l’horizon », à la conquête de nouvelles terres. La fille aux cheveux de lin est résignée :
« Rose rose, rose blanche,
Rose thé,
J’ai cueilli la rose en branche
Au soleil de l’été
Rose blanche, rose rose,
Rose d’or,
J’ai cueilli la rose éclose
Et son parfum m’endort. »
Robert Desnos, Chantefleurs, « La Rose », 1944
On ne peut évidemment qu’y lire une allégorie du fascisme de l’époque, quand bien même dans une moindre mesure les troubles politiques qui agitent notre pays aujourd’hui résonneraient à nos oreilles par ces œuvres.
En commentaire de l’œuvre de Sibelius, le Prélude n°8 (“La fille aux cheveux de lin”) de Claude Debussy ainsi que le Lac enchanté d’Anton Liadov (mention spéciale à Vincent Buffin, harpiste et orchestrateur), offrent un panorama de la richesse de la production musicale de l’époque : finalement, les grands paysages sont ceux dépeints par l’infinie richesse de l’univers musical de l’époque, le Grand Nord est l’horizon de la création.
Il faut saluer les efforts de ces ensembles professionnels, composés d’excellents musiciens, qui accomplissent un travail admirable tant sur le plan de la créativité et de l’interrogation sans cesse renouvelée des formes que sur le plan de l’engagement pour la culture de proximité.
Le son est riche et plein, la rythmique précise, les interventions imaginatives qui font honneur au public venu ce soir-là. Surtout, la musicalité des intonations de voix de la comédienne permettent de tisser un fil continu entre musique et conte, sans qu’aucune rivalité ne s’en ressente.
Dans le théâtre de l’Hôpital Bretonneau, véritable petit village avec sa rue intérieure, ses boutiques, son café, c’est d’abord un esprit de communion et de partage qui m’a touché : l’orchestre est, si j’en crois les discours, un fidèle du lieu. A ce titre, l’hôpital a reçu en 2014 le label « Culture et santé en Ile-de-France », pour la qualité de sa programmation culturelle. Le lieu a d’ailleurs été un temps un squat d’artistes de 1990 à 1995.
Il y a donc un vivier d’actions culturelles de proximité qui cherche un renouvellement constant de l’offre de programmes, en allant saluer les œuvres oubliées. Secession Orchestra (Clément Mao-Tacacks) ou L’Ensemble des Possibles (Antonin Rey) sont les exemples de ces formations d’abord jeunes, qui réinventent les manières de partager le répertoire, de manière audacieuse et pédagogique.
Hôpital Bretonneau, samedi 12 décembre 2015
“Archives du Nord”
musiques : Debussy, Liadov, Saariaho, Sibelius
textes : Barrière, Haavikko, Leconte de Lisle, Malaparte
Laurence Cordier, récitante
Secession Orchestra
Clément Mao-Takacs, direction