Faust : maquette construite de l'acte III, tableau 1 / par Charles Cambon et Emile Daran - Mise en scène Léon Carvalho
Faust : maquette construite de l'acte III, tableau 1 / par Charles Cambon et Emile Daran - Mise en scène Léon Carvalho © Gallica - Bibliothèque nationale de France

Metteurs en scène et régisseurs, les oubliés de la scène

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Michela Niccolai dresse une petite histoire des metteurs en scène et régisseurs qui ont marqué la production opératique française entre 1800 et 1930.

L’instauration, en 1827, du Comité de mise en scène à l’Opéra de Paris permet de mieux comprendre aujourd’hui les rouages du fonctionnement des pratiques théâtrales en France tout au long du grand XIXe siècle. Si la création de la production visuelle était confiée au metteur en scène, les fonctions exercées par les régisseurs présidaient également au bon fonctionnement du spectacle.
En nombre variable selon l’importance et les dimensions de la salle en question, les régisseurs (de 1 à 3) veillaient à la mise en place des indications fournies par le metteur en scène : ils organisaient les répétitions, suivaient la préparation des décors et l’agencement des lumières (notamment dans la deuxième moitié du XIXe siècle), surveillaient que les mouvements scéniques soient fidèlement reproduits. Souvent on devenait régisseur après une carrière de ténor ou de trial (rôle typique de l’opéra-comique) et parfois on atteignait le rang de metteur en scène ou de directeur de théâtre (ou les deux en même temps)1.

 

Quelques metteurs en scène

Léon Carvalho
Un premier exemple de directeur de théâtre et de metteur en scène est fourni par Léon Carvalho (1825-1897). Il s’affirme en tant qu’administrateur après une formation en chant lyrique, qui toutefois ne lui a pas permis d’aller au-delà de rôles secondaires d’opéra-comique. Ses directions de salles ont toujours profité de la longévité : d’abord le Théâtre-Lyrique (entre 1856 et 1868), ensuite l’Opéra Comique (1876-1887 et 1891-1897), sans oublier deux rapides passages au Vaudeville (1872-1873) et à l’Opéra (1874-1875). C’est grâce à une direction qui s’étale sur plusieurs années que Carvalho s’attache au travail de metteur en scène, s’appuyant également sur une troupe de collaborateurs de confiance. Nous rappelons en ce sens la production de Roméo et Juliette de Gounod (1867), mais aussi la reprise des grands œuvres du répertoire classique (Gluck, Mozart, Weber…). En revanche, c’est à l’Opéra Comique qu’il monte la deuxième partie des Troyens de Berlioz (Les Troyens à Carthage, 1892). Si la presse lui reproche d’en avoir présenté une version abrégée, il a toutefois le mérite d’avoir préparé une mise en scène moderne, où Didon catalyse toutes les grandes figures féminines du théâtre (d’Ibsen à Strindberg en passant par Zola).
Manon (1884) et Sapho (1897) doivent également à cet homme de théâtre qui, avec beaucoup de sensibilité dramatique, a su mener les aspects administratifs sans sacrifier les exigences scéniques.


Albert Carré
La deuxième grande figure du XIXe siècle, tant en qualité de directeur qu’en celle de metteur en scène lyrique, est Albert Carré (1852-1938). Responsable au fil du temps de nombreuses salles hétéroclites (lyriques, mais aussi de vaudeville et de théâtre de parole : Théâtre de Nancy, Vaudeville, Gymnase, Opéra Comique et Comédie-Française), Albert Carré est d’abord un acteur avec une solide formation musicale (violon). Incapable de sortir des rôles comiques dans lesquels son accent alsacien l’avait confiné, il se rapproche d’abord de la mise en scène (étant aussi souffleur) puis des tâches administratives.
La rencontre avec André Antoine au Théâtre-Libre, dont il était l’un des plus fervents mécènes, développe chez Carré sa sensibilité dramatique et son sens scénique, trouvant dans l’opéra sa pleine application. La longue direction de l’Opéra Comique – à deux reprises : 1898-1913 et 1919-1925 avec les frères Isola – lui permet de compter, comme Carvalho avant lui, sur une troupe stable de chanteurs et une équipe soudée de collaborateurs pouvant ainsi élaborer des productions de grande valeur artistique. Ainsi la reprise de Carmen et de Manon (1898), mais aussi la création de Louise (1900), Pelléas et Mélisande (1902) et L’heure espagnole (1913), voient le jour dans un habit de grand couturier. La nouveauté de ses nombreuses mises en scène tient notamment à l’emploi des ensembles, souvent enrichis par des figurants. Loin de former des blocs juxtaposés, les chanteurs et figurants effectuent des mouvements étudiés par petits groupes de personnages, animant la scène avec ordre.
Alfred Bruneau, compositeur qui avait collaboré d’abord avec Carvalho, puis avec Carré, a laissé, dans ses mémoires À l’ombre d’un grand cœur, un témoignage de leurs deux façons opposées de concevoir la mise en scène :

« Sa méthode […, celle de Carré notamment pour L’Ouragan, 1901, Opéra Comique] différait entièrement de celle dont Carvalho nous avait offert [un] saisissant exemple [création du Rêve, 1891, Opéra Comique]. Son prédécesseur ne préparait rien avant de se joindre à nous et improvisait tout sous nos yeux, ce qui l’obligeait à des continuels tâtonnements, à d’incessants oublis, car il ne prenait aucune note de ce qu’il faisait et perdait ainsi un temps précieux. Mais il avait le profit de la trouvaille que pouvait uniquement lui fournir l’accent de la musique exécutée et non lue, c’est-à-dire vivante et non figée. Lui, Carré, méditait longuement son projet et le modifiait rarement. […] Défenseur, comme Antoine, de la vérité dramatique, il mêlait souvent aux immobiles personnages ou chantants des figurants actifs qui atténuaient l’allure conventionnelle d’un air ou d’un duo. Et il groupait ses chœurs, les animait avec une prodigieuse maîtrise. Son influence, très légitime, fut énorme. »

Metteurs en scène et régisseurs : Pélléas et Mélisande, mise en scène d'Albert Carré
Pélléas et Mélisande, opéra de Maurice Maeterlinck et Claude Debussy, mise en scène d’Albert Carré : documents iconographiques © Gallica – Bibliothèque nationale de France

 

Quelques régisseurs

S’il est possible de retrouver avec une certaine aisance les traces des activités administratives et, en partie, des mises en scène des directeurs de théâtre les plus connus au XIXe siècle, cela n’est pas le cas pour les régisseurs. Leur rôle, essentiellement lié aux pratiques théâtrales, ne donne pas lieu à des documents d’archive qui ne soient pas conservés (quand on est chanceux !) dans des fonds privés, souvent laissés en héritage. Seule exception, les documents d’inscription que certains régisseurs présentaient pour adhérer à l’ART. Dans ces précieuses archives conservées à la bibliothèque historique de la Ville de Paris, dont nous avons déjà eu l’occasion de parler ci-dessus au sujet des livrets de mise en scène dramatiques et lyriques, sont recueillies environ 800 fiches de régisseurs pour une période d’activité qui s’étale entre 1911, date de fondation de l’ART, et aujourd’hui2. Pour devenir membre, chaque régisseur devait justifier de son activité auprès des divers établissements de spectacle en France ou à l’étranger et présenter son casier judiciaire. Les dossiers sont toutefois assez inégaux : parfois le chercheur est face à de nombreuses informations, mais dans d’autres cas les pages principales manquent3.

Paul-Edmond (1866-1929)
De son vrai nom Paul Autier, Paul-Edmond débute au Théâtre-Libre où il devient régisseur (1896) au service d’André Antoine. Il continue son activité d’abord au Gymnase, puis au Théâtre de l’Apollo. Spécialiste de la mise en scène des opérettes viennoises, il rejoint l’équipe de la Gaîté-Lyrique de Paris en 1913 en qualité de metteur en scène. Entre 1924 et 1927 il intègre le Théâtre des Variétés.

Paul Stuart (1861-1914)
Paul-Aimé Stuardi débute à Lyon et développe sa carrière en France et à l’étranger : il devient d’abord le chanteur particulier du sultan Abdul-Hamid II, puis il part en Amérique du Sud. Entre 1904 et 1912 il est régisseur, puis metteur en scène lyrique exerçant en France et en Europe : Théâtre de Monte-Carlo, Opéra Comique de Paris, Grand-Théâtre de Bordeaux, La Monnaie de Bruxelles. Grâce à sa connaissance des pratiques théâtrales, il termine sa carrière en qualité de metteur en scène à l’Opéra de Paris sous la direction d’André Messager et Leimistin Broussan. Il est également nommé directeur du Grand-Théâtre de Bordeaux, mais la mort survenue, il ne prendra jamais ce poste.

Maurice Stréliski (1870-1950)
« Enfant de la balle », il débute à 16 ans en qualité de second régisseur dans les pas de son père, travaillant surtout en province. Sa voix de basse ne correspondant pas à son physique, il n’avait pas pu démarrer une carrière de chanteur. En 1896 il est nommé régisseur lyrique par Albert Vizentini, nouveau directeur du Grand-Théâtre de Lyon, dont l’une des premières productions est la création française de La Jacquerie de Lalo (posthume) et Coquard. Directeur de la scène à Liège (1911), il est mobilisé pendant la Grande Guerre (1914-1916) avant de revêtir le même rôle à la Gaîté-Lyrique de Paris (1923).

Léonce (1879-19..)
Raymond Sudre est un célèbre trial d’opéra-comique, sa voix étant très appréciée ainsi que son physique svelte et ses capacités d’acteur. Il intègre en qualité de régisseur l’équipe du Grand-Théâtre de Strasbourg (1927-1930) avant de rentrer au Trianon-Lyrique de Paris (1930-1932). Dès 1935 il devient premier régisseur à la Gaîté-Lyrique de Paris où, la même année, signe également la mise en scène de la création de Malvina de Reynaldo Hahn.

 


1 Un travail sur les diverses carrières des régisseurs adhérant à l’Association de la Régie Théâtrale (ART) est actuellement en cours par l’auteur de la présente contribution.

2 Voir aussi Françoise Pélisson-Karro, Régie théâtrale et mise en scène : l’Association des régisseurs de théâtre, 1911-1939, avant-propos de Giusy Pisano et préface de Serge Bouillon, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2014.

3 Les données pour la réalisation de ces courts profils des régisseurs sont en large partie tirées du fonds de l’ART et reconstituées par l’auteur de ce texte.

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