L’Opéra de Giuseppe de Verdi, créé sur un livret d’Antonio Ghislanzoni d’après une intrigue d’Auguste-Edouard Mariette est repris à l’Opéra Bastille jusqu’au 16 juillet 2016 dans la mise en scène de l’actuel directeur du Festival d’Avignon, Olivier Py, qui vaut surtout pour sa belle distribution féminine avec la présence de deux reines vocales.
Après près d’un demi-siècle d’absence à l’Opéra de Paris, Olivier Py a signé en 2013 le grand retour d’Aïda mais revient à Bastille en 2016 avec deux reines vocales qui sauvent considérablement la proposition jugée trop faible par sa distribution lors de sa création. Il s’appuie dans un premier temps sur l’éblouissant esthétisme qui se dégage de la scénographie habile de Pierre-André Weitz. Le décor, imposant et luxueux, est remarquable mais réduit quelque peu les déplacements des chanteurs majoritairement statiques mais nécessaire au regard de la partition vocale ardue qu’ils doivent interpréter. Olivier Py choisit de déplacer l’intrigue de l’Antiquité au XIXe siècle et de transposer géographiquement l’action. L’Egypte devient l’Autriche-Hongrie et l’Ethiopie se révèle sous les traits de l’Italie. Les soldats en treillis, arborent le plateau et restent en adéquation avec ce choix osé. La direction d’acteurs, plutôt faible par moment, est tout de même réussie mais la mise en scène dorée et massive du directeur du Festival d’Avignon alourdit cet opéra fort heureusement magnifié dans sa partie vocale grâce à une séduisante distribution.
Le chœur, bien mis en place, est convaincant avec des passages vraiment impressionnants. Il se montre même envoûtant avec une intrusion de pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Les étrangers dehors », « Nationalisme » ou encore « La mort, les étrangers » avant l’entracte. Ce rayonnement se ressent également dans les apparitions d’Orlin Anastassov dans le rôle du roi. Soulignons aussi la très belle prestation de George Gagnidze en Amonasro et la puissance vocale du messager de Yu Shao. Mais là où nous sommes subjugués, c’est dans le trio principal, avec quelques réserves cependant concernant le ténor. En effet, si Aleksandrs Antonenko se montre merveilleux et particulière à l’aise dans les parties forte des interventions de Radamès, il manque d’émotions à transmettre et partager bien que le plus beau moment de sa partition soit sans aucun doute possible le sublime Celeste Aida. Du côté du duo féminin, on frôle la perfection. Anita Rachvelishvili, qui sera Carmen la saison prochaine à Paris avant une prise de rôle dans Samson et Dalila, une nouvelle production, est une mezzo-soprano dont la puissance vocale nous emporte dans une tornade musicale rarement aussi dévastatrice que celle entendue ce soir-là. Elle donne vie à une Amnéris cruelle car non aimée en retour. Elle transmet à merveille et avec une grande facilité ses émotions dans un rôle verdien très riche, soulignant la noirceur de la princesse avec finesse. Son Abborrita rivale atteint un état proche de la grâce. Mais à l’applaudimètre, et c’est amplement mérité, Sondra Radvanovsky remporte tous les suffrages. La soprano aborde ce rôle complexe d’Aïda avec douceur et sensibilité pour en faire une esclave touchante dans sa vulnérabilité. Sa technique, irréprochable, met parfaitement en avant les nuances perceptibles de la partition. Elle nous fait frissonner de plaisir par une voix pure, de toute beauté, semblable à celle d’une pierre précieuse à peine sortie de son écrin. Nous garderons en mémoire l’Air du Nil, magistral et le Patria Mia, bouleversant de par une abyssale douceur. Le Duo des rivales de l’acte II reste également un moment jubilatoire tout comme le tableau final entre Aïda et Radamès, d’une grande intensité avec des notes tenues qui ont élevé notre âme auditive au firmament.
L’éblouissante reprise d’Aïda à l’Opéra Bastille souffre néanmoins d’une faiblesse au niveau de la direction musicale de Daniel Oren que l’on a senti peu ou pas assez appliqué et impliqué pour que l’orchestre nous transporte totalement par les notes nuancées de Verdi. Cependant, la distribution enchante, principalement grâce aux deux rôles principaux et féminins. Ne manquait plus qu’une meilleure cohésion entre force et douceur au sein de la direction musicale pour que cette reprise figure en bonne place dans notre vision solaire et enchantée du talent de Verdi, porté aux nues par une montée en puissance de la tension dramatique, des envolées lyriques et de l’intensité vocale d’une distribution en or, à l’image de la scénographie somptueuse.