L'ensemble Graindelavoix au festival Royaumont © François Mauger / Royaumont
L'ensemble Graindelavoix au festival Royaumont © François Mauger / Royaumont

Le « Florid Style » : chanter la Vierge à l’anglaise

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C’est toujours un plaisir de revenir au Festival de Royaumont pour entendre, dans la chaleur des nuits d’automne, l’ensemble Graindelavoix qui a offert, à l’occasion de la journée Mythes et mystères, un répertoire religieux d’une rare beauté, plongeant l’auditoire dans une méditation contemplative, où l’introspection devient apaisement.

 

Pendant plusieurs années, Björn Schmelzer, anthropologue et ethnomusicologue de formation, s’est intéressé à la généalogie des répertoires vocaux anciens et à leur interprétation. Ses recherches l’ont amené à explorer la tradition vocale de la méditerranée depuis le Moyen Âge, dans un travail mêlant anthropologie, histoire, géographie humaine et ethnomusicologie.

Dans le but de mettre en pratique le fruit de sa recherche, en 2000, Björn Schmelzer a fondé l’ensemble vocal Graindelavoix (dont il est également le directeur artistique) avec Anne-Kathryn Olsen, Carine Tinney, Razek-François Bitar, Tomàs Maxé, Albert Riera, Andrés Miravete, Marius Peterson et Arnout Malfliet.
C’est avec son premier enregistrement, Missa Caput d’Ockeghem (2006) que cet ensemble d’artistes polyvalents issus de différentes traditions a attiré l’attention de la scène internationale par son approche innovante (historiquement éclairée, mais audacieuse) de la musique ancienne.

Dans le cadre de la journée Mythes et mystères à Royaumont, où il est en résidence depuis 2015, l’ensemble a présenté un programme autour de chants à la Vierge, montrant sa démarche de “musicologie affective en action”.

Des voix à nu, dans une draperie musicale en hommage à la Vierge

C’est dans une disposition circulaire, caractéristique de leur ensemble, que Graindelavoix nous a fait découvrir cet hommage à la Vierge Marie, une déclaration d’amour maternel aux teintes universelles.

Une voix féminine s’empare des premières notes, puis profonde et tellurique, elle s’élève dans un silence respectueux et religieux. Une voix d’homme la rejoint et les couleurs de leurs timbres se fondent les unes aux autres de manière éloquente. Le Kyrie Rex Virginum, dont on ignore l’auteur, a des allures de chant corse, avec des sonorités à la fois très ancrées et légères, qui nous troublent et aiguisent notre curiosité.

Avec un éclairage minimaliste composé de quatre ampoules, dispositif très adapté à ce petit ensemble regroupant huit chanteurs et un chef, les bras sombres de la nuit nous recouvrent les épaules et nous invitent à la méditation, tandis que les voix célestes suivent la courbe d’une oscillation parfaite.
On retrouve ensuite deux compositeurs anglais inconnus : Thomas Ashewell, qui fut probablement maître de John Taverner, et John Browne, que l’on connaît par sa présence dans le célèbre Eton Choirbook, un des rares recueils de musique liturgique latine ayant survécu au schisme anglican.

L'ensemble Graindelavoix au festival Royaumont © François Mauger / Royaumont
L’ensemble Graindelavoix au festival Royaumont © François Mauger / Royaumont

De la Missa Ave Maria de Thomas Ashewell, on remarquera le superbe Agnus Dei, où les lignes vocales éthérées contrastent avec le style vocal de l’ensemble où les voix se mettent à nu dans tout leur spectre et leur “grain”, soulignant l’humble hommage de l’humain au divin.

Après le saisissant Stabat Mater, petit bijou d’élégance dans l’entrelacement des lignes vocales, où les cadences régulières invitent au silence et à la méditation, le Salve Regina clôt le concert, toujours dans une atmosphère d’apaisement et d’élévation spirituelle qui accompagne nos pas sur le carrelage coloré du réfectoire des moines de l’abbaye de Royaumont, que nous quittons en silence.

Professeur des écoles le jour, je cours les salles de Paris et d'ailleurs le soir afin de combiner ma passion pour le spectacle vivant et l'écriture, tout en trouvant très souvent refuge dans la musique classique. Tombée dans le théâtre dès mon plus jeune âge en parallèle de l'apprentissage du piano, c'est tout naturellement que je me suis tournée vers l'opéra. A travers mes chroniques, je souhaite partager mes émotions sans prétention mais toujours avec sensibilité.

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