Entre autres soutiens précieux, le Festival Pablo Casals de Prades peut compter sur la présence de l’ADAMI ou encore sur celle de la Spedidam qui milite pour les droits des artistes-interprètes. Ainsi, deux concerts ont retenu notre attention durant cette 65e édition, entre les révélations classiques de huit jeunes instrumentistes ou chanteurs lyriques et le récital de piano de Tanguy de Williencourt. L’occasion de découvrir les artistes de demain qui brilleront sur les scènes internationales d’ici peu.
Les statues dorées, la lumière reflétant comme un diamant le moindre détail et l’acoustique exemplaire du site religieux qui réside au creux de l’église Saint-André de Catllar : tel était le cadre idyllique, l’écrin de sérénité proposé pour accueillir le concert des révélations classiques de l’ADAMI. Au pied de l’autel, ce rendez-vous des grands maîtres et de la nouvelle génération était très attendu et a tenu toutes ses promesses. La fidélité et la qualité du programme n’ont pas déçues une fois de plus et parmi les huit artistes, certains ont su se démarquer encore plus que d’autres. Nul doute qu’une brillante carrière leur tend les bras.

C’est le pianiste Jonathan Fournel qui a ouvert le bal des révélations avec Jésus que ma joie demeure, sous l’œil des statues de Saints Patrons constituant le décor du chœur de l’église. Dans une transcription signée Wilhelm Kempf, il a offert une œuvre inspirée et inspirante, dans le silence religieux et bienveillant des auditeurs. Certainement un peu stressé et intimidé, il n’en a pas moins donné une exécution exemplaire avant de poursuivre avec un morceau radicalement différent, un Scherzo de Chopin qui nécessite une grande dextérité et une belle dose de virtuosité, alliant vitesse, fluidité et émotion. Il a plongé l’assistance dans les eaux troubles du talent porté par cette jeune génération d’instrumentistes voués à une carrière de solistes renommés. Ce sera certainement le cas également de Caroline Sypniewski, à moins qu’elle ne préfère enseigner le violoncelle ou intégrer un orchestre. Accompagnée par Emmanuel Normand au piano, elle s’est lancée dans la Sonate de Poulenc avec une énergie quasi plaintive. La complicité des deux instrumentistes a permis de mettre en lumière un réel dialogue musical. Néanmoins, la violoncelliste a su se montrer beaucoup plus sensible et investit dans la Nocturne de Tchaïkovski qui a réussi à nous émouvoir aux larmes.
Nous aurions aimé voir ce moment se prolonger. S’il y a des solistes que nous avons peu l’occasion d’entendre, ce sont bien les cornistes. Difficile en effet de concevoir un concert entier avec le cor. Pourtant, Nicolas Ramez a du talent et il a su nous le prouver avec l’Adagio et Allegro de Schumann. Les notes romantiques qui se marient parfaitement au son du piano se sont imposées dans le second mouvement dont la douceur était comparable à du caramel dévalant les pentes glacées d’un sorbet. Enfin, Manuel Vioque-Judde a fait résonner au son de son alto deux partitions qu’il a lui-même retranscrites. Le Brahms se voulait douceur, grâce et volupté au cœur d’un calme salvateur avant une deuxième partie plus grave, sombre et mystérieuse, au rythme très marqué, qui nous a subjugués par tant de beauté tandis que Fauré s’est fait entendre plus vrombissant avant de mourir dans un geste languissant.

Pour alterner avec les instrumentistes, le concert des révélations de l’ADAMI a choisi quatre artistes lyriques qui ont fait sensation. Il faudra suivre de près la carrière du baryton Jean-Christophe Lanièce. Son Mercutio, tiré du Roméo et Juliette de Gounod, niché entre maturité et insouciance, a su nous convaincre. Fier et conquérant, séduisant et plutôt sûr de lui, il a su ensuite investir pleinement l’Air d’Harlekin de Strauss avec une teinte de désespoir et de souffrance. Tantôt plein d’allégresse, tantôt dans une vivacité folle, son regard captivant a saisi les auditeurs qu’il a emmenés dans son univers. Peu de temps pour dessiner les contours nets d’un personnage d’œuvre lyrique et pourtant il a su relever ce pari un peu fou, tout comme la soprane Marianne Croux dont les aigus puissants de Mozart ont laissés place à une Micaëla (de l’opéra Carmen de Bizet) bien moins naïve et impulsive que celle entendue à Aix-en-Provence dans la mise en scène de Tcherniakov. Plus posée, priante mais pas suppliante, c’est une superbe prestation qui a amorcé le grand final.
Cependant, notre coup de cœur s’est porté pour les deux autres artistes lyriques de la soirée, dont les prénoms résonnent déjà dans nos têtes et dans nos cœurs. La mezzo-soprano Ambroisine Bré a certes attaqué un peu durement la Desdemone de Rossini mais son vibrato a tout rattrapé en une fraction de seconde. Ardente, incandescente, elle dégage quelque chose d’ensorcelant et atteint des sommets d’extase qu’elle partage généreusement avec les auditeurs. Elle s’embrase comme un buisson ardent tandis que sa voix s’élève, à faire pâlir ou trembler les pierres de l’édifice religieux. Déjà, elle dessine une clarté ténébreuse dans l’Orphée de Gluck, très poignant, montrant une tessiture mature et étendue. Il en fut de même avec l’exceptionnel ténor Kaëlig Boché, magnifique Pylade dans l’Iphigénie en Tauride de Gluck. D’abord agressif puis radoucit comme un bonbon devenu tendre sous l’effet de la chaleur, il a montré une facette nostalgique et reconnaissante du héros. Attendrissant et résigné, ce fut magnifique. Dans le répertoire de Britten, il a su se transcender et être encore plus à l’aise. Intense, grave et habitée, sa puissance vocale a fait l’unanimité. Les huit révélations de l’après-midi se sont ensuite fait plaisir et se sont retrouvés pour tout donner dans un bouquet final exaltant, extrait de La Périchole, Le Muletier et la Jeune Personne d’Offenbach. Un régal !
Deux jours plus tard, c’est à l’église de Corneilla de Conflent que nous attendait le pianiste Tanguy de Williencourt pour son récital dans le cadre du Concert Génération Spedidam. L’organisme, qui est une société de perception et de redistribution des droits des artistes interprètes, a misé sur un artiste moins connu mais qui gagne à l’être. Son programme, quelque peu chamboulé, a permis de déployer une version inspirée par la fougue et la passion de Trois transcriptions sur Tannhaüser de Wagner et Liszt. Le temps semble s’être arrêté, immortalisé. C’est comme si le sol se dérobait sous nos pieds pour laisser apparaître l’immensité d’un monde nouveau, enrobé de douceur et de quiétude avant de lever le voile sur une forme d’euphorie tempérée. Dans les dédales de notes, nous découvrons de splendides paysages auditifs. Nous gravissons des sommets pour dévaler presque immédiatement et simultanément de vertigineuses pentes.
Cette sensation s’est prolongée avec une partie des Six préludes du 1er livre de Debussy dont la profondeur des Danseuses de Delphes nous a transportés en Orient avant de nous jeter dans La Cathédrale Engloutie à la respiration semblable à un souffle en apnée brève et saccadée. Enfin, avec une main gauche perlée, ce sont plusieurs œuvres de Chopin qui se sont succédées, dont la brillante Valse en Ut dièse mineur, opus 64 n°2 que nous n’avions pas entendue depuis longtemps avec autant de déliés et de grâce. Une certitude : les grands talents de demain étaient hier au Festival Pablo Casals de Prades !