Cecilia Bartoli
Cecilia Bartoli

Pour fêter ses 50 ans, Cecilia Bartoli s’offre un nouvel orchestre baroque

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Ce vendredi 8 juillet eut lieu le concert inaugural d’un nouvel ensemble baroque de l’Opéra de Monte Carlo, ‘Les Musiciens du Prince’, sous la direction artistique de Cecilia Bartoli, qui avec Jean-Louis Grinda, directeur de l’Opéra de Monte-Carlo, est aussi l’initiatrice de ce projet. C’est la première fois depuis la fondation de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo en 1856, qu’un nouvel ensemble instrumental voit le jour.

 

Les Musiciens du Prince nous rappellent d’une tradition du mécénat princier déjà présente à Monaco aux dix-septième et dix-huitième siècles, mais éclipsée par l’âge d’or de l’Opéra de Monte-Carlo au dix-neuvième et début du vingtième siècles. Au dix-septième siècle le Prince Honoré II (1597-1662)  fit monter des opéras-ballets à l’exemple de ceux qu’il avait vus à Versailles.  Son petit-fils Antoine I (1661-1731) fit mieux encore.  Au lieu de se concentrer sur les études militaires, pour lesquelles il fut envoyé à Paris, il s’incrusta à l’Opéra et devint l’ami et l’élève de Jean-Baptiste Lully.  De retour à Monaco il attira les meilleurs chanteurs et musiciens de l’époque qu’il chargea de donner écho immédiatement à tout ce qui se jouait à Paris. Antoine pouvait se targuer de la qualité exceptionnelle des spectacles monégasques, ‘J’ose dire au surplus avec vérité qu’à l’exception de Paris, il n’y a nul  endroit où l’on exécute mieux qu’ici.’  Pour faire rejaillir l’éclat de la principauté, il envoya ses musiciens en tournée, notamment à Gênes et à Aix-en-Provence.

 

Comme Antoine I, Albert II fera voyager Les Musiciens du Prince.  Leur première tournée aura lieu en novembre et décembre 2016.  Ils donneront une version du programme inaugural Haendel aux Concertgebouw d’Amsterdam, Théâtre des Champs Elysées de Paris, Kölner Philharmonie, Die Glocke de Bremen, Bozar de Bruxelles, Barbican Center de Londres, Prinzregententheater de Munich, Musikverein de Vienne et de Graz, Müpa de Budapest et Tonhalle de Zürich. En février 2017, ils seront de retour à Monaco pour le bicentenaire de La Cenerentola de Rossini, qu’ils joueront aussi en tournée. Enfin, ils participeront au Festival de Salzbourg (Pentecôte et août 2017) avec une version scénique d’Ariodante d’Haendel et une version concertante de La Donna del Lago de Rossini, laquelle sera précédée d’un enregistrement pour la firme Decca.

 

L’équipe de l’Opéra de Monte Carlo a soigné le gala d’ouverture dont la cour d’honneur du Palais Princier était l’écrin: un programme en papier glacé donne les textes des airs (très utile!), les ouvreuses et ouvreurs sont en tenues festives, les musiciens en livrée, et le Prince Albert et la Princesse Caroline présents.

 

Le programme consiste d’airs et de quelques intermèdes orchestraux tirés d’opéras de Haendel.  Haendel les composa pour faire briller les prestances vocales des chanteurs.   Cecilia Bartoli est l’interprète rêvée pour continuer a faire opérer cette magie. Sans surprise, le public est subjugué par ‘Lascia la spina’ d’Il Trionfo del Tempo e del Disinganno (1707) HWV 46a (mieux connu dans sa réutilisation plus tardive ‘Lascia ch’io pianga’ dans Rinaldo), chanté et accompagné dans un pianissimo d’une intensité inoubliable.  Dans ‘Scherza in mar’ de Lotario (1729) HWV 26, Bartoli saute de registre en registre avec une souplesse et une facilité inégalées.   ‘Da tempeste’ de Giulio Cesare un Egitto (1724) HWV 17 illustre le génie de la cantatrice pour démarquer les parties contrastées des airs da capo de l’opera seria.  A son habitude, Bartoli ne se contente pas de chanter,  elle joue ses personnages, s’imprégnant de leur psychologie pour rendre les plus subtiles transitions d’une émotion à une autre.  Ce concert marque la première fois que Cecilia Bartoli chante en public en plein air, mais l’acoustique peu résonnante de la cour d’honneur n’a guère diminué le plaisir d’entendre sa voix sublime.

 

La violoniste Ada Pesch, de l’ensemble La Scintilla à l’Opéra de Zurich, dirige Les Musiciens du Prince, composé de musiciens baroques venus des quatre coins du monde. Jouer à l’extérieur présente des obstacles que cet orchestre a vaillamment surmonté: garder les instruments accordés malgré l’humidité et se faire entendre d’un bout de la scène à l’autre.  Les musiciens ont joué debout et, dans les airs avec un instrument obbligato, les solistes ont joué de mémoire.  Deux morceaux pour orchestre avaient été choisis pour souligner le caractère ‘princier’ de la soirée : la Battaglia et la Marcia du troisième acte de Rinaldo (1711) HVV 7. Le troisième était l’ouverture d’Il trionfo del tempo e del disinganno (1707) HWV 46a, dans lequel les échanges entre le luth de Michele Pasotti, le théorbe de Miguel Rincon Rodriquez, et les castagnettes de Michael Metzler, étaient remarquables.  Dans  ‘Felicissima quest’alma’ d’Apollo e Dafne (c. 1709-10) HWV 122,  la flûte de Jean-Marc Goujon, douce et ravissante, était accompagnée par deux musiciens jouant de sifflets pour imiter le gazouillis des oiseaux. D’autres contributions à saluer sont celle du hautboïste Pier Luigi Fabretti et du trompettiste Thibaud Robinne: ce dernier ayant joué  un programme particulièrement exigeant en raison du choix du bis, ‘A facile vittoria’ d’Agostino Stefani, dont la cadence en forme de duel de virtuoses a même intégré un tour de be-bop sur la trompette naturelle ainsi que quelques phrases de ‘Summertime’ de Gershwin chantées par Bartoli.

 

Le monde musical ne peut que saluer l’initiative de créer ce nouvel orchestre baroque, à un moment où d’autres formations illustres (par exemple, La Petite Bande en Belgique) sont en grande difficulté. Vers la fin de sa vie, Antoine I écrit à son cousin au sujet de ses musiciens à la cour monégasque : ‘Nous musiquons du matin au soir, et les journées nous paraissent courtes. Oh ! dolce vita ! Que ne pouvez-vous durer à jamais.’ Nous formons le même vœu pour les Musiciens du Prince.

Jacqueline Letzter et Robert Adelson, historienne de la littérature et musicologue, sont les auteurs de nombreux livres, dont Ecrire l'opéra au féminin (Symétrie, 2017), Autographes musicaux du XIXe siècle: L’album niçois du Comte de Cessole (Acadèmia Nissarda, 2020) et Erard: a Passion for the Piano (Oxford University Press, 2021). Ils contribuent à des chroniques de concerts dans le midi de la France.

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