Après un poignant discours sur les attentats de Nice et une minute de silence unissant tout le public du Grand Théâtre de Provence d’Aix, Peter Sellars a présenté deux œuvres d’Igor Stravinski, Œdipus Rex et la Symphonie de Psaumes, avec une sobriété incroyable, dans une scénographie minimaliste laissant éclater toute la puissance du chœur masculin et des mots de la tragédie antique ou des cantiques bibliques.
Grand moment d’émotions au Festival lyrique d’Aix-en-Provence. Pour uniquement deux dates, Peter Sellars nous donne à voir et à entendre Œdipus Rex puis la ymphonie de Psaumes d’Igor Stravinski. Il a choisi de présenter ces œuvres en latin, comme pour revenir à l’essence même du mythe antique. A l’ouverture, des trônes en bois sculptés sont disposés sur le plateau. Il y en aura un pour chaque personnage. C’est alors qu’entre un chœur d’environ soixante-dix hommes qui occupent tout l’espace de manière impressionnante. Ils sont le peuple, la cité, ceux qui sont témoins de la tragédie d’Œdipe qu’ils supplient de délivrer Thèbes de la peste. Différents langages se mêlent sur scène, celui du chant bien évidemment mais aussi de la parole et du corps.

Pauline Cheviller est une impressionnante Antigone. Récitante, elle nous bouleverse à chaque intervention. D’une voix bienveillante, elle raconte dans une économie de mots comment son père, Œdipe, a compris qu’il était coupable de parricide sur Laïus. A ses côtés, la danseuse Laurel Jenkins nous enveloppe d’une grande douceur. Si Violeta Urmana est une Jocaste rassurante et Joshua Stewart un berger touchant, nous avons été impressionnés par Sir Willard White, tour à tour Créon, Tirésias ou Messager. A chaque changement de rôle, il parvient à donner des couleurs propres à chacun et à nous toucher par son jeu scénique et la puissance de sa voix de baryton-basse. Il est parfait de bout en bout et éclipserait presque la sublime prestation de Joseph Kaiser, époustouflant Œdipe qui nous offre ses doutes et ses désillusions avec une générosité sans pareille. Cependant, il est un protagoniste encore plus envoûtant et à couper le souffle : c’est le peuple, incarné par un chœur amateur finlandais, qui a su faire chavirer notre cœur et faire monter nos larmes. Le public ne s’y est pas trompé et l’a longuement ovationné en fin de représentation, et cela à juste titre.
La direction musicale que fit Esa-Pekka Salonen en ce soir de première fut irréprochable. Le Philharmonia Orchestra, merveilleux, a su trouver le ton juste, tantôt présent à l’excès quand il le fallait, tantôt en retrait pour laisser toute la place à l’émotion. Conjugué au talent de Peter Sellars qui ne garde que l’essentiel pour le sublimer, Esa-Pekka Salonen fut en adéquation avec de nobles intentions. Tout n’est que humble sobriété, jusque dans les trois psaumes illustrant l’exil d’Œdipe jusqu’à sa mort. Dans une dernière prière qui s’élève en chant rédempteur, la parole devient murmure et l’amour reprend sa place de choix, trônant fièrement au cœur de la proposition.
Rarement il n’a été donné version aussi émouvante et épurée du mythe d’Œdipe, maintes fois adaptés dans toutes les disciplines artistiques. Nous savourons notre chance d’avoir pu entendre ce joyau auditif qui restera l’un des temps forts de ce festival lyrique d’Aix-en-Provence.