Parsifal au Festival de Bayreuth 2018 © Enrico Nawrath
Parsifal au Festival de Bayreuth 2018 © Enrico Nawrath

Parsifal à Bayreuth : le vivre-ensemble au-delà des frontières religieuses

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La production de Parsifal d’Uwe Laufenberg revient à Bayreuth pour la troisième année consécutive. Günther Groissböck, Thomas J. Mayer, Andreas Schager et Elena Pankratova étaient sur scène et Semyon Bychkov dans la fosse avec l’orchestre du festival de Bayreuth

 

Initialement destiné à l’Opéra de Cologne, le Parsifal d’Uwe Laufenberg a été adapté et développé pour le Festival de Bayreuth après le renvoi du metteur en scène controversé Jonathan Meese.

Dans cette production, on passe de la ville de Montsalvat, dans le sud de l’Espagne, au Kurdistan irakien, comme le montre la vidéo projetée lors de la Scène de la transformation au premier acte. Le château du Graal est ici un monastère qui abrite des réfugiés, où une patrouille de soldats (américains) passe occasionnellement, reliant l’opéra à l’actualité.

En plaçant l’intrigue au Moyen-Orient, Laufenberg veut souligner que, malgré les persécutions, la religion chrétienne garde la foi en l’humanité et, en utilisant le cercueil d’Amfortas pour recueillir tous les symboles des différentes confessions, il suggère également un message d’amour au-delà des frontières religieuses.

Les femmes-fleurs sont ici réparties en deux groupes : les femmes en hijab (et niqab) et les danseuses du ventre. En tant que femmes voilées, elles se plaignent avec Parsifal de la mort de leurs maris, puis, en tant que danseuses du ventre, elles essaient de le séduire.

Instruments dans les mains de Klingsor, les femmes-fleurs montrent ainsi leur côtés pitoyable et séduisant. Leur rencontre avec Parsifal dans le palais de Klingsor est une scène à la fois forte et sensuelle, bien que certains ont interprété la connexion du hijab/niqab à Klingsor comme une critique envers l’Islam ou même un insulte.

Outre la controverse (présumée) sur l’Islam, la production présente quelques problèmes (réels) : le choix de Laufenberg d’avoir Amfortas sur scène pendant le deuxième acte ne fonctionne pas du point de vue narratif, et le laisser faire l’amour avec Kundry ne fait que souligner l’évidence (le péché sexuel en tant que cause de la décadence de la communauté du Graal).
La crise des réfugiés, le thème des tensions religieuses et les conflits au Moyen-Orient font de ce Parsifal une récit d’actualité, mais les différents scénarios a mis en œuvre par Laufenberg manquent de cohérence et paraissent un peu forcés.

Günther Groissböck reprend le rôle de Gurnemanz de Georg Zeppenfeld avec beaucoup de conviction. Sa basse profonde et sa présence scénique charismatique nous font attendre avec impatience son interprétation de Wotan en 2020, lorsque le nouveau Ring sera au programme à Bayreuth. Passionné et convaincante, Elena Pankratova gère le rôle exigeant de Kundy comme peu d’autres : elle est assertive, séduisante et maternelle, et montre grande maîtrise vocale et aisance théâtrale.

En tant que Parsifal, Andreas Schager passe de manière convaincante du “pur si fou” à l’homme qui guérit la blessure d’Amfortas et redonne un nouvel élan à la communauté du Graal. Sa voix est moins soyeuse que celle de Klaus Florian Vogt, qui a chanté le rôle la première année, mais néanmoins équilibrée et puissante. La prestation énergique de Thomas Mayer fait des souffrances d’Amfortas une expérience mémorable, et le Klingsor de Derek Welton, pour la deuxième année dans ce rôle, est tout aussi excellent. Avec son timbre obscur de baryton-basse, il magnifie la colère, le doute et la frustration du sorcier maléfique.

Après deux ans avec Hartmut Haenchen à la direction musicale, le flambeau est remis à Symon Bychkov, qui fait ses débuts à Bayreuth. Le chef d’orchestre russe utilise des tempi plus amples que son prédécesseur et donne davantage de gravité au rituel du Graal et à l’Enchantement du Vendredi Saint.

Quelque soit la mise en scène, Parsifal à Bayreuth est une expérience tout à fait exceptionnelle, s’agissant du seul opéra composé par Wagner avec l’acoustique du Festspielhaus en tete (et dans les oreilles). Là où les cuivres de Lohengrin et Tristan, par exemple, peuvent sonner en sourdine, l’orchestration de Parsifal est comme un paysage musical superbement équilibré, qui trouve dans le théâtre de Bayreuth son seul et véritable foyer.

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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