Pelléas (Jean-Sébastien Bou) et Mélisande (Patricia Petibon) dans la mise en scène d'Eric Ruf au Théâtre des Champs-Elysées © Vincent Pontet
Pelléas (Jean-Sébastien Bou) et Mélisande (Patricia Petibon) dans la mise en scène d'Eric Ruf au Théâtre des Champs-Elysées © Vincent Pontet

Pelléas et Mélisande : le drame poignant et éloquent de Debussy

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C’est dans la nouvelle production de Pelléas et Mélisande, coproduite par le Théâtre des Champs-Elysées, l’Opéra de Dijon, le Stadttheater Klagenfurt et le Théâtre du Capitole que nous avons pu redécouvrir les nuances de la partition de Claude Debussy, associées à l’éloquence du livret qui prend son inspiration dans le poème de Maurice Maeterlinck. Sous l’appropriation éclairante d’Eric Ruf, Patricia Petibon et Jean-Sébastien Bou ont enflammé la salle de l’avenue Montaigne pour notre plus grand plaisir. 

Chassant dans la forêt, le prince Golaud, petit-fils du roi Arkel, se perd. Lorsqu’il arrive aux abords d’une fontaine, il découvre en pleurs la mystérieuse Mélisande. Effrayée, elle décide tout de même de le suivre. Via Pelléas, le demi-frère du prince, les nouveaux époux demandent alors à rentrer au château en adressant une lettre au vieux roi. Un jour, Mélisande retrouve Pelléas. Jouant avec son alliance, cette dernière la fait tomber au moment même où son mari est victime d’une chute de cheval. La malédiction est en marche. La jeune épouse avoue qu’elle n’est pas heureuse. Quand Golaud s’aperçoit de la disparition de l’anneau, il exige qu’elle se rende dans la grotte où elle prétend l’avoir égaré afin de la retrouver. Quand il découvre qu’elle batifole de manière enfantine avec son demi-frère, il lui demande d’éviter Mélisande qui, la veille, l’emprisonnait dans sa chevelure démesurée, tombant le long de la tour devenue la prison de son cœur. Maladivement jaloux, Golaud se sert de son fils Yniold pour jouer les espions mais cela ne pourra que finir dans un bain de sang.

Pelléas (Jean-Sébastien Bou) et Mélisande (Patricia Petibon) dans la mise en scène d'Eric Ruf au Théâtre des Champs-Elysées © Vincent Pontet
Pelléas (Jean-Sébastien Bou) et Mélisande (Patricia Petibon) dans la mise en scène d’Eric Ruf au Théâtre des Champs-Elysées © Vincent Pontet

La mélodie de Debussy s’est ouverte de manière délicate et nuancée. La direction musicale proposée par Louis Langrée est exceptionnelle. Oscillant entre douceur et fragilité, il se laisse glisser sur l’onde des notes d’une oeuvre si envoûtante. Il s’empare de la partition de manière précise, ciselée, détaillée et exaltante, faisant entendre un Orchestre National de France en grande forme, à l’affut de chaque nuance. L’éloquence des silences se marie parfaitement avec la mise en scène d’Eric Ruf, d’une limpidité désarmante. Gardant le côté légende médiévale, il fait évoluer les protagonistes dans un univers relativement sombre. Gommant les aspérités oniriques et psychologiques, il choisit le reflet scénique d’une musique aquatique en livrant sa vision d’un océan d’amour transcendant. L’administrateur général de la Comédie-Française s’approprie parfaitement l’œuvre et la restitue avec pertinence en l’ancrant dans les ténèbres. C’est magnifique, ensorcelant, à l’instar de la chevelure interminable de Mélisande, double de la Raiponce des contes de notre enfance. Enfin, sa scénographie évoque et accentue l’univers maritime, très présent dans l’œuvre puisque c’est par la mer que Mélisande est arrivée au château et que c’est cette même étendue d’eau qui menace de la séparer de Pelléas.

Au lever de rideau, les cordages et les pontons qui les encadrent nous plongent dans un univers fantasmagorique, quasi irréel. Mais lorsque le filet se lève et ruisselle sur les rochers, formant la toile d’araignée d’une menace latente qui plane au-dessus des protagonistes, nous découvrons un autre niveau de lecture de la mise en scène parfois un peu trop littérale d’Eric Ruf. Ce dernier accorde une grande importance aux déplacements et à la théâtralité, même s’il se sait restreint par la contrainte lyrique des interprètes. Néanmoins, il soigne particulièrement la vertigineuse scène de la tour où, par jeu de séduction inconscient, Mélisande capture dans ses filets le jeune Pelléas, le menant à sa perte, au moyen d’une chevelure flamboyante démesurée. Cela n’est pas sans rappeler sa scénographique époustouflante de Roméo et Juliette à la Comédie-Française la saison dernière avec l’inoubliable scène du balcon. Il ne fait pas non plus l’impasse sur de nombreuses respirations scéniques tandis que la musique, enivrante, se déploie. La seconde partie, un peu moins statique, bénéficie également de très belles images comme les constructions éphémères en papier, déposées par Yniold et voguant à la surface de l’eau avant que la mort ne vienne y noyer toute espérance. Le tableau final où Mélisande, blessée, repose sur un lit aux draps immaculés sur lesquels les eaux se miroitent est triste et émouvante, à en faire pleurer les pierres, dans une beauté suspendue et renversante, qui peuple encore notre esprit comme une légende ancrée.

Au niveau du plateau vocal, la distribution est éblouissante. Patricia Petibon était très attendue dans le rôle de Mélisande. Elle use d’une voix limpide et claire comme l’eau de la fontaine où Mélisande laisse couler ses larmes comme un océan de tristesse. Elle donne à voir une jeune femme sensible, touchante et profonde, tantôt grave tantôt légère, telle une vague tourmentée en plein été. Femme-enfant, elle se laisse guider par son cœur après avoir tenté de lutter contre ses sentiments naissants. Cela la rend fragile et bouleversante, loin de la beauté fatale que l’on retrouve dans bon nombre de productions. Jean-Sébastien Bou, habitué de la partition de Pelléas (sa première prise de rôle a été en 2000) a la candeur et la générosité du personnage. Kyle Ketelsen est un Golaud qui manque un peu d’intensité dans ses scènes-clés. Il est néanmoins impulsif et oscillant entre raison et jalousie. Ses voyelles rondes et presque étouffées en font un homme presque hésitant dans sa ligne de chant. Dans les rôles secondaires, Jean Teitgen est poignant en campant un vieux roi Arkel empli de douceur tandis que sa femme est incarnée par la remarquable Sylvie Brunet-Gupposo. Notons également la très belle performance vocale de Jennifer Courcier en Yniold enfantin mais pas si dupe que cela. Enfin, Arnaud Richard complète cette distribution fabuleuse.

La direction musicale sensible, la mise en scène délicate et le plateau vocal harmonieux forment le trio gagnant pour cette nouvelle production qui fera date dans les Pelléas et Mélisande d’exception.


Pelléas et Mélisande

Du 9 au 17 mai 2017 à 19h30, Théâtre des Champs-Elysées

Drame lyrique en cinq actes et douze tableaux (1902) en langue française

Compositeur : Claude Debussy

Livret : poème de Maurice Maeterlinck, d’après sa pièce Pelléas et Mélisande

Direction musicale : Louis Langrée

Mise en scène et scénographie : Eric Ruf

Costumes : Christian Lacroix

Lumière : Bertrand Couderc

Distribution :

Mélisande : Patricia Petibon

Pelléas : Jean-Sébastien Bou

Golaud : Kyle Ketelsen

Arkel : Jean Teitgen

Geneviève : Sylvie Brunet-Grupposo

Yniold : Jennifer Courcier

Le médecin / Le berger : Arnaud Richard

Orchestre National de France et Chœur de Radio France

France Musique diffusera cet opéra le dimanche 4 juin 2017 à 20h.

Professeur des écoles le jour, je cours les salles de Paris et d'ailleurs le soir afin de combiner ma passion pour le spectacle vivant et l'écriture, tout en trouvant très souvent refuge dans la musique classique. Tombée dans le théâtre dès mon plus jeune âge en parallèle de l'apprentissage du piano, c'est tout naturellement que je me suis tournée vers l'opéra. A travers mes chroniques, je souhaite partager mes émotions sans prétention mais toujours avec sensibilité.

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