“Rencontres Musicales de Vézelay” 2023: d’Heinrich Schütz à Alfred Schittke, A pleine voix !

Les “Rencontres Musicales de Vézelay” se sont déroulées du 24 au 27 août 2023, principalement dans le cadre privilégié de la Basilique Sainte-Marie-Madeleine et ses alentours, notamment sa Terrasse, mais aussi dans des villages voisins, Asquins , Saint-Père, et Vault- de-Lugny.

S’il y a bien une dénomination qui n’est pas usurpée, c’est celle de la “Cité de la Voix” ! En témoignent la richesse de la programmation, la diversité intelligente et l’excellence de ses intervenants.

Réunir en une journée “les Correspondances”, sous la direction de Sébastien Daucé, et “les Métaboles”, créé et dirigé par Léo Warinsky,  l’ensemble épatant des “Têtes de Chiens”, pour terminer la journée avec les Beatles “Sous les Etoiles” dans la performance malicieuse  de “Ma P’tite “Chanson”, c’est bien donner à “entendre”, ce qui se trame sous le vocable “voix”!

C’est un défi, relevé avec brio par ces “Rencontres” dont l’ambition est de donner de la voix…

L’Eglise Saint-Germain de Vault-de-Lugny abrite non seulement des peintures murales exceptionnelles du XVIème siècle retraçant la Passion du Christ, offre également une acoustique remarquable, idéale pour une écoute optimale de l’œuvre majeure de Dietrich Buxtehude, “Membra Jesu Nostri”, “Les très saints membres de notre Jésus souffrant”.

C’est donc une plongée dans la musique luthérienne qui est proposée dans ce programme intense, intensément axé sur la méditation, la passion et la mort, mais aussi sur l’au-delà: avec Dietrich Buxtehude, mais également avec Heinrich Schütz.

L’œuvre de Buxtehude se compose de 7 cantates, chacune correspondant à un membre du corps du Christ: les pieds, les genoux, les mains, le flanc (texte extrait du Cantique des Cantiques), la poitrine, le cœur (texte extrait du Cantique des Cantiques “: “Tu as blessé mon cœur, ma sœur, mon épouse”, à 3 voix) et enfin le visage.

Chacune des cantates comporte une introduction instrumentale, une première intervention du chœur, un aria pour un ou plusieurs solistes, puis une conclusion confiée au chœur.

Les “Correspondances” ont eu l’excellente idée d’intercaler au cœur même du cycle des cantates, deux autres œuvres:  le “Klaglied”  (Déploration), toujours de Buxtehude, mais aussi le fameux, bien que bref, “Die mit Tränen säen werden…” ( Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans la joie) de son aîné Heinrich Schütz. Cette mise en miroir s’avère des plus judicieuses, car tout en constituant une pause — nécessaire — au cœur de  “Membra Jesu nostri”, elle en approfondit la beauté mystique.

Quant au “Klaglied” il est interprété en soliste par Lucile Richardot (notée “Bas-dessus”, mezzo) qui nous enchante par son ambitus impressionnant.

L’effectif vocal (10 chanteurs, 5 femmes, 5 hommes) et instrumental ( 8 instrumentistes) est plutôt réduit, mais suffisant pour remplir l’Eglise de cette vibrante musique protestante.
La douceur, voire la tendresse, de la musique de Buxtehude fait écho aux dissonances funèbres mais jamais désespérées de celle de Schütz.

Deux bis sont réclamés par un public enthousiaste au terme du concert où la compassion l’emporte sur la tristesse.

Changement de décor et de musique pour le concert du soir du vendredi 25 août : “Symphonie chorale”.

La Basilique Sainte-Marie-Madeleine accueille l’ensemble “les Métaboles” dirigé par Léo Warinsky dans un programme éclectique, orienté principalement sur la musique du XXème siècle et d’aujourd’hui.

Seule concession à la musique ancienne: “Spem in alium” ( Je n’ai jamais placé mon espérance en aucun autre que toi, Ô dieu d’Israël)” de Thomas Tallis (1505-1585), à 40 voix…

Soudainement, la puissance et la beauté du chant choral s’imposent comme un vaisseau vocal s’avançant dans la nef de la Basilique.
Cette pièce mythique de la polyphonie anglaise est rarement chantée, on comprend pourquoi ! Les 8 chœurs de 5 chanteurs s’éloignent puis se rejoignent, s’éloignent à nouveau pour se rejoindre dans un nuage sonore enveloppant.

Place au XXIème  siècle avec une pièce du compositeur italien Francesco Filidei (né en 1973) intitulée “Tutto in una volta” (Tout d’un coup…).

Composée en 2020 sur un texte de Nanni Balestrini, cette pièce est pour double chœur et se présente comme un arioso continu.
L’intention du compositeur rappelée dans les notes de programme mérite d’être citée: “la musique accompagne la fluidité de la poésie en enchaînant des séries d’accords qui font muter légèrement la couleur à chaque instant dans un kaléidoscope d’images.”

Le pièce débute par un souffle à peine perceptible. Puis les fragments du poème sont entonnés, chantés, parlés, prononcés à voix haute ou murmurés, jusqu’à un dernier souffle presque inaudible.

L’ “Adagietto Symphony 5” de Gustav Mahler (1860-1911) offre une toute autre ambiance.
Il s’agit de la transcription pour chœur par le compositeur Gérard Pesson (né en 1958) du 3ème mouvement de la 5ème Symphonie de Gustav Mahler (1860-1911).

Le compositeur français s’est emparé de cette pièce devenue universellement célèbre par le film de Luchino Visconti, “Mort à Venise”(1971).

Il a transcrit cet “Adagietto Symphony 5″pour un ensemble de 13 voix sur un texte de fragments de “Sonnets vénitiens” et du “Journal” du poète allemand August von Platen (1796-1835) que le librettiste, Martin Kaltenecker, a choisi et a donné pour titre: “Kein deutscher Himmel” (Ce n’est pas un ciel allemand).

L’intérêt est réel, car il restitue avec un vrai lyrisme cette pièce bouleversante. Elle n’en est pas moins difficile vocalement, principalement pour les solistes qui interviennent tout au long de l’ouvrage. Même si certaines d’entre elles ont éprouvé de réelles difficultés à assurer leurs aigus, on garde le souvenir de la mélodie obsédante de Mahler se déployant sur le tapis sonore des basses.

Le dernier mot de cette journée de concerts consacrés à l’art vocal revenait au compositeur russe Alfred Schnittke (1934-1998) et à son extraordinaire “Concerto pour Chœur”.

Cette pièce date de la dernière période créatrice du compositeur, composée en 1986, et s’inspire explicitement des offices orthodoxes. Elle est répartie en 4 mouvements “Ô Maître de tous les vivants”, “Ce recueil de chansons…”, “A tous ceux qui saisissent le sens”, “Complète cette œuvre que j’ai commencée”.

C’est une composition religieuse, contemporaine de la conversion du compositeur au christianisme. Elle n’est pas liturgique, profondément russe, et intègre des formes musicales modernes au chant religieux orthodoxe.

Pour l’interpréter comme ce fut le cas, il fallait la qualité musicale exceptionnelle des “Métaboles”, leur implication sans faille et la direction rigoureuse et inspirée de leur chef Léo Warinsky.

Les Rencontres Musicales de Vézelay 2023

Vendredi 25 août 2023

Vault-de-Lugny

Eglise Saint Germain, 16h

Ensemble “Correspondances”

Direction musicale : Sébastien Daucé

Lucile Richardot, Mezzo soprano

Dietrich Buxtehude:

“Membra Jesu Nostri”

“Klaglied”

Heinrich Schütz:

“Die mit Tränen”

Vézelay

Basile Sainte Marie-Madeleine, 21h

Ensemble “Les Métaboles”

Direction musicale: Léo Warinsky

Thomas Tallis “: “Spem in allium” à 40 voix

Francesco Filidei: “Tutto in una volta”

Gustav Mahler: ” Adagietto Symphony5″ transcription de G.Pesson

Alfred Schnittke: “Concerto pour choeur”