Vadym Kholodenko
Vadym Kholodenko © DR

Vadym Kholodenko à la salle Gaveau, un piano réfléchi et exigeant

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Vendredi 30 novembre, Vadym Kholodenko était à la salle Gaveau pour un grand récital Russe alliant des oeuvres de Tchaïkovsky, Rachmaninov et Scriabine. On en retiendra une exécution pensée et millimétrée, qui révèle une attention de tous les instants à la nuance et à la couleur. 

“Acclamé comme une star du rock” (Cincinnati Inquirer) lorsqu’il remportait la médaille d’or du concours Van Clyburn en 2013, loué par le Guardian pour sa “virtuosité intelligente et sa jeunesse pleine de feu”, Vadym Kholodenko est depuis quelques années une étoile montante du piano.

Depuis, beaucoup voient en lui le nouveau porte-flambeau d’une certaine école Russe : sonorité vaste, expression ample, implication du corps entier à travers de larges mouvements des avant-bras, tout cela au service d’une sentimentalité enivrante. Et c’est justement dans un grand programme Russe que nous avons pu l’entendre : Grande Sonate en sol majeur de Tchaikovsky, préludes de Rachmaninov, Poème satanique et Sonate n°5 de Scriabine.

Il faut bien dire que Kholodenko ne choisit pas la voie de la légèreté en commençant par l’austère et tragique Grande Sonate en sol mineur de Tchaïkovsky. Mais si le style est magistral, une certaine pesanteur semble empêcher la magie d’opérer pleinement : est-ce l’effet d’une utilisation exagérée de la pédale, d’un jeu trop appuyé, trop déclamatoire ? Ce qu’on remarque en revanche, c’est un perfectionnisme, une intention et une vision indéniablement mûres. L’interprétation est concentrée, pensée en amont. Le jeu de Vadym Kholodenko se caractérise par une sonorité dense et ronde, un travail permanent de la couleur et des nuances, et une certaine obsession du bon goût stylistique.

On retrouve la même intelligence musicale et la même exigence stylistique dans les préludes de Rachmaninov, à commencer par le célèbre Prélude Op.3 n°2 en do dièse mineur. Là encore, Kholodenko privilégie la texture, l’ampleur du son et le contraste des nuances, entre pianissimos susurrés et fortes puissants. Ce récital était d’ailleurs l’occasion d’entendre un piano Fazioli, instrument rare et précieux dont la richesse harmonique des basses apporte une profondeur sonore qui fonctionne à merveille dans Rachmaninov. On retiendra en particulier le Prélude Op.23 n°4 en ré majeur, dans lequel Kholodenko montre une facette plus délicate de son jeu, tout en conservant cette richesse de texture et ce sens constant de la couleur qui le caractérisent : une réussite.

Mais c’est au final dans Scriabine que le pianiste ukrainien convainc le mieux. Son récent album Scriabine enregistré pour Harmonia Mundi – enregistré sur le même modèle de piano Fazioli – laissait en effet présager le meilleur !

Immergés dans une matière sonore dense et maîtrisée, on mesure le perfectionnisme et l’immense travail d’interprétation de Vadym Kholodenko : un phrasé sophistiqué et une atmosphère mystique sont à l’oeuvre dans le Poème satanique, tandis que la Sonate n°5 semble se déployer dans l’immensité d’une cathédrale et suspendre le temps, aux antipodes de l’interprétation frénétique et exaltante d’un Richter.

Ce soir là donc, pas de rock star ni d’incendie à la salle Gaveau. En revanche, nous avons pu entendre un piano d’une grande noblesse, peut-être un peu martial, mais qui révèle une profonde réflexion sur les oeuvres. Vadym Kholodenko est un intellectuel, un exégète avant tout au service des compositeurs dont il s’efforce de restituer l’intention initiale.

Cette exigence stylistique, cette intelligence musicale et cette majesté sonore emportent l’adhésion du public, qui ne manque pas de faire un triomphe à ce jeune pianiste dont la maturité à un stade aussi précoce de sa carrière a de quoi fasciner.

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