De retour au Palais Garnier, La Cenerentola de Rossini mise en scène par Guillaume Gallienne s’offre une reprise triomphale grâce à une distribution renouvelée et séduisante.
L’arrivée de Guillaume Gallienne dans le cercle restreint des metteurs en scène d’opéra avait pourtant eu presse mitigée lorsque la première mouture du spectacle avait été présentée l’année dernière.
Mais si la mise en scène, austère, ne met pas franchement l’accent sur l’aspect déjanté du livret, le charme opère néanmoins grâce à la la singularité de la performance de Marianne Crebassa dans le rôle titre et les prestations jubilatoires de Florian Sempey et d’Alessandro Corbelli, assurant la dimension comique avec un plaisir visible.



Certes, la vision de Gallienne étonne par son parti pris sombre mais convenu, presque janséniste. L’atmosphère est grave et scellée par l’urgence des éléments : le palazzio napolitain de Don Magnifico est marqué par le temps et les intempéries, tandis que l’aspect magmatique du sol est censé situer l’action sous la menace d’un volcan. Il y a pourtant une dimension onirique dans ce décor lunaire et ténébreux signé Eric Ruf et ces costumes sortis tout droit d’une comédie italienne des années 70 : tout cela ne semble tenir qu’à un songe. On repense alors au choeur final du premier acte : “Mais je crains que sous terre un feu ne couve […] J’ai peur que mon songe ne se dissipe en fumée !”
Dans cet écrin esthétique sombre mais cohérent, la scénographie semble d’abord manquer cruellement d’audace et de dynamisme : les chanteurs restent statiques pendant de longues minutes, sans qu’aucun mouvement ne vienne rythmer les tutti infernaux censés marquer le désarroi des protagonistes.
On est loin de l’exubérance d’un opéra bouffe, et pourtant l’intérêt du parti pris de Gallienne se fait jour à mesure que l’intrigue se met en place : cette sobriété et cette retenue lui permettent de laisser émerger des personnages contrastés, à fleur de peau, pour mieux mettre en lumière les recoins dramatiques de l’oeuvre.
A fleur de peau, c’est bien le mot pour caractériser la performance vibrante de Marianne Crebassa. Son timbre singulier, son vibrato serré en font une Angelina touchante et convaincante aussi bien en souillon malheureuse qu’en princesse vertueuse. Si sa virtuosité lui fait légèrement défaut dans les difficultés du rondo final, sa voix unique et sa présence scénique lui valent les ovations du public pour une prise de rôle des plus réussies.
Rossinien d’exception, Florian Sempey emporte également l’adhésion par son aisance scénique et vocale. Jubilant dans son rôle et dans les coloratures de la partition, il propose un Dandini des plus savoureux, dont on retiendra son impayable one-man-show sur Come un’ape ne’ giorni d’aprile !



Du côté de l’odieuse famille adoptive, Alessandro Corbelli prend visiblement du plaisir à forcer le trait d’un Don Magnifico qui vient compléter à merveille la dimension comique de la production. Si son timbre semble le trahir par moment, son élocution sidérante et sa bouffonnerie inimitable en font une prestation absolument réjouissante.
Révélation de la soirée, Adam Plachketa s’offre un triomphe pour ses débuts à l’Opéra de Paris dans le rôle d’Alidoro, grâce à sa voix profonde, ardente et d’une tenue impeccable.
Quand au Don Ramiro de Lawrence Brownlee, il est vocalement éblouissant : son timbre solaire, sa voix vif argent et sa technique irréprochable jusque dans les suraigus en font un prince magnifique.
Soulignons enfin la qualité de la direction musicale, assurée par un Evelino Pidò visiblement complice avec l’Orchestre de l’Opéra de Paris qui tient la maison comme on s’y attend. On aurait peut-être aimé plus de frénésie dans certains tutti, mais la précision rythmique et la dynamique de l’ensemble donne vie aux aspects dramatiques de la partition.
Dans ses conditions vocales et musicales idéales, on se dit alors que la vision de Gallienne d’une Cenerentola contrastée, oscillant entre la comédie et le drame autant qu’entre le songe et la réalité, est loin d’être le pire des partis-pris pour un chef d’oeuvre dont la profondeur dépasse le cadre du simple opéra bouffe !