Aleksandrs Antonenko (Samson) dans Samson et Dalila © 2018 - Alain Hanel - OMC
Aleksandrs Antonenko (Samson) dans Samson et Dalila © 2018 - Alain Hanel - OMC

Samson et Dalila à l’Opéra de Monte-Carlo : nouvelle production et chanteurs rodés

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Pour la fête nationale monégasque, l’Opéra de Monte-Carlo prévoit chaque automne un spectacle fastueux au Grimaldi Forum, auquel assistent la famille princière et les notables de la principauté. Cette année le choix de Jean-Louis Grinda, directeur de l’opéra et metteur en scène de cette production, s’est porté sur Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns, composé entre 1859 et 1877, représenté d’abord à Weimar et ensuite à Paris en 1892. Cet opéra, très populaire jusqu’au milieu du XXe siècle fut un peu oublié par la suite, mais connait ces dernières années un véritable renouveau d’intérêt.  Il fut à l’affiche notamment à l’Opéra de la Bastille (octobre 2016), au Staatsoper de Vienne (en avril 2018), au Théâtre des Champs Elysées (en version concert, juin 2018), et au Metropolitan Opera de New York (en octobre 2018).  Les deux rôles principaux de la production monégasque, Anita Rachvelishvili et Aleksandrs Antonenko, ont déjà chanté ces rôles sur des scènes prestigieuses et apparaitront dans ces mêmes rôles au Metropolitan Opera de New York en mars 2019.

 

Si Grinda n’a donc pas pris de risque avec la distribution vocale, ni avec sa mise-en-scène traditionnelle et bienséante d’un opéra qui se prête si souvent à des visions plus politiques ou érotiques, il a néanmoins osé prendre plusieurs initiatives innovantes : premièrement, inviter Agostino Arrivabene en tant que scénographe et costumier, donnant à ce peintre italien l’occasion de collaborer à un opéra pour la toute première fois ; ensuite, faire assurer la direction orchestrale par Kazuki Yamada, (Directeur artistique de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo), un chef qui débute à peine dans le répertoire lyrique ; et enfin s’associer avec les ballets de Shangaï, une compagnie de danse chinoise traditionnelle.

Les costumes et décors d’Arrivabene servis superbement par les éclairages de Laurent Castaingt proposent une vision surréaliste, onirique et sensuelle de l’orient.  Pendant l’ouverture et les premiers chants du chœur des esclaves hébreux, on voit projeté sur le rideau de scène une toile d’Arrivabene représentant un désert stylisé qui rappelle les paysages bibliques des peintres néerlandais et flamands des XVIe et XVIIe siècles.  Le premier acte montre les Hébreux subjugués par les Philistins dans un espace qui évoque une salle souterraine.  Se détachant de cette masse, un garçonnet chétif à la peau, aux cheveux et aux vêtements d’un blanc étincelant, va vers Samson et lui inspire la force de libérer son peuple. Est-ce un ange ou l’incarnation de la conscience de Samson ? Cet enfant (qui n’apparait pas dans le livret) accompagne Samson jusqu’à la scène finale, où c’est lui (plutôt que Samson) qui détruit le temple de Dagon. Le décor du deuxième acte évoque une tente bédouine aux multiples voiles noirs, une toile d’araignée tissée par Dalila pour capturer Samson.  Au troisième acte une statue colossale de l’idole Dagon, dont on ne voit que la partie inférieure, se dresse au milieu de la scène.  Dans le fond de la scène, étrangement statique se tiennent les Philistins.  Ils observent Samson aveuglé et enchaîné à sa roue, ainsi que le sacrifice humain préparé pour remercier l’idole de la capture de Samson. Dalila, tête baissée et sobre dans une robe noire (mais arborant une coiffure horizontale impressionnante), semble à premier abord être destinée à être sacrifiée à l’idole, mais se révèle être la sacrificatrice vengeresse. L’écroulement final et la destruction des Philistins est confié aux effets spéciaux.

Anita Rachvelishvili (Dalila) dnas Samson et Dalila © 2018 - Alain Hanel - OMC
Anita Rachvelishvili (Dalila) dnas Samson et Dalila © 2018 – Alain Hanel – OMC

Les voix ne sont pas en reste dans cette production.  La mezzo-soprano géorgienne Anita Rachvelishvili (Dalila) révèle avec raffinement et justesse une héroïne tour à tour passionnée, voluptueuse, vengeresse et perfide. Sa voix ample est aussi juste et capiteuse dans les graves que dans les aigus, et sa diction parfaite du français, lui donne tous les atouts pour interpréter ce rôle difficile. Le ténor letton Aleksandrs Antonenko (Samson) est un partenaire digne, et partage avec elle un intense engagement dramatique.  Sa voix manque parfois de puissance et de justesse ; à la fin de « Mon cœur s’ouvre à ta voix » (Acte II), il atteint le si bémol aigu mais le ré bémol le précédant était trop approximatif.

Les rôles secondaires ont eux aussi été applaudis.  En particulier, Nicolas Courjal, (basse, le vieillard hébreu), Julien Véronèse (baryton, Abimelech, satrape de Gaza), à Valencia, André Heyboer (baryton, Grand prêtre de Dagon). Le chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, préparé par Stefano Visconti, a brillé dans cette œuvre exigeante ; le chœur fugato « Dieu ! Dieu d’Israël » au premier acte était majestueux.

Kazuki Yamada a donné beaucoup de relief à l’orchestration magistrale de Saint-Saëns. Les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo ont joué avec délicatesse et passion, de la première note plaintive du basson dans le prélude jusqu’aux accords assourdissants lors de la destruction du temple à la fin de l’opéra. Dans le duo « Oui, déjà par trois fois » (Acte II), le rythme obsessif dans les cordes est joué avec précision et énergie.

Malheureusement la belle sonorité de l’orchestre a été quelque peu gâtée par la décision incompréhensible de l’amplifier. Il est vrai que cet orchestre a le luxe de joué régulièrement dans la salle Garnier (524 places), à l’acoustique incomparable et minuscule comparée à la caverneuse salle des Princes du Grimaldi Forum (1800 places). Pourtant, l’amplification de l’orchestre n’est pas nécessaire, même dans des salles très vastes, comme celle du Metropolitan Opera de New York (3800 places).  La régie de la salle souhaitait-elle donner un petit coup de pouce aux instrumentistes ?  Le résultat était douteux, car il y eut même des moments où l’orchestre (jouant avec son plus grand effectif, avec deux harpes et une panoplie impressionnante d’instruments à percussion) était trop sonore pour les chanteurs.

Quel plaisir de voir les ballets à l’honneur dans ce Samson et Dalila.  La chorégraphie proposée par Eugénie Andrin pour les ballets de Shangaï tire parti de l’ancrage de cette troupe dans une tradition millénaire de danse chinoise, de leurs exceptionnels talents de gymnastes et de leurs expérimentations récentes avec de nouvelles formes de danse, comme la danse contemporaine et urbaine. La chorégraphie donnait quelques pistes d’interprétation de la trame de l’opéra.  Dans la danse des prêtresses de Dagon (Acte I), les danseuses se déhanchent malicieusement plutôt que voluptueusement, mais leurs gestes se transforment petit à petit en mouvements mécaniques et déshumanisés pour montrer leur vulnérabilité.  D’ailleurs dans la Bacchanale (Acte III), elles deviennent les proies des danseurs dans la représentation du sacrifice humain. Dommage qu’il soit devenu si rare de voir des ballets dans les opéras représentés à Monte-Carlo (peut-être à cause de l’exiguïté de la scène de la salle Garnier) alors qu’une collaboration avec les ballets de Monte-Carlo nous paraît si évidente.

 


SAMSON ET DALILA

Opéra en trois actes et quatre tableaux
Musique de Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Livret de de Ferdinand Lemaire

Création : Théâtre Grand-Ducal de Weimar, 2 décembre 1877

Nouvelle production Opéra de Monte-Carlo,
en coproduction avec les Chorégies d’Orange et l’Opéra de Shanghai

Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
Ballet de l’Opéra de Shanghai (SOHDE)

Direction musicale
Kazuki Yamada
Mise en scène
Jean-Louis Grinda
Décors et costumes
Agostino Arrivabene
Lumières
Laurent Castaingt
Chorégraphie
Eugénie Andrin
Chef de chœur
Stefano Visconti

Dalila
Anita Rachvelishvili
Samson
Aleksandrs Antonenko
Le Grand Prêtre de Dagon
André Heyboer
Abimélech, Satrape de Gaza
Julien Véronèse
Un vieillard hébreu
Nicolas Courjal
Un messager philistin
Frédéric Diquero
Premier philistin
Marc Larcher
Deuxième philistin
Frédéric Caton

 

Jacqueline Letzter et Robert Adelson, historienne de la littérature et musicologue, sont les auteurs de nombreux livres, dont Ecrire l'opéra au féminin (Symétrie, 2017), Autographes musicaux du XIXe siècle: L’album niçois du Comte de Cessole (Acadèmia Nissarda, 2020) et Erard: a Passion for the Piano (Oxford University Press, 2021). Ils contribuent à des chroniques de concerts dans le midi de la France.

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