Benvenuto Cellini de Berlioz est actuellement à l’Opéra de Paris, dans la production de Terry Gilliam créée à Londres en 2014, avec Pretty Yende, John Osborn, Maurizio Muraro, Audun Iversen et Michèle Losier
Entre 1558 et 1567, Benvenuto Cellini, célèbre orfèvre italien du cinquecento, écrit son autobiographie. Traduite d’abord par Goethe en allemand, puis par Denis-Dominique Farjasse en français en 1833, La Vita a un très grand succès et inspire de nombreux artistes dont Alexandre Dumas, Paul Meurice, Camille Saint-Saëns et Georges Meliès. En prenant quelques libertés narratives et en ajoutant une intrigue amoureuse, Léon de Wailly et Auguste Barbier en font un livret que Hector Berlioz mettra en musique en 1838.
L’histoire se déroule à Rome pendant le Carnaval. Nous sommes en plein dans la renaissance, où les artistes bénéficient d’une position sociale privilégiée : Benvenuto Cellini est orfèvre, architecte, sculpteur, dessinateur et maître de la monnaie pontificale.
Il souhaite épouser Teresa Balducci, mais son père, trésorier du pape, préfère un autre sculpteur : Fieramosca. Ce dernier n’est pas en bons termes avec Cellini car c’est à lui que le Pape Clément VII a commandé une prestigieuse statue destinée au peuple italien : Persée tenant la tête de Méduse – qui aujourd’hui orne la Loggia dei Lanzi à Florence.
Intrigues, duels et coups de théâtre sont au rendez-vous, car la vie de l’orfèvre, comme celle de Michelangelo, dont il connaissait le travail, est extrêmement turbulente. Son comportement violent et désinvolte, qui lui vaut l’exile plusieurs fois, le conduit à être accusé d’enlèvement et de meurtre, mais au final il se fait gracier… par le pape en personne !
Dans cette production créée à l’English National Opera en 2014, le dessinateur, acteur et réalisateur anglais Terry Gilliam, ancien membre des Monty Python, souligne le côté rocambolesque de la vie de l’artisan florentin, dans une mise en scène à l’enseigne de l’humour et du grand spectacle.
Avec des fascinants costumes colorés (par Katrina Lindsay), des marionnettes géantes et des numéros de cirque, des jongleurs et des acrobates se mêlent au public, sur lequel explose une pluie de confettis. La troupe monte ensuite sur scène, aux côtés de chanteurs, pour célébrer tous ensemble un carnaval stupéfiant et poétique, s’intégrant avec cohérence dans l’intrigue et en lui apportant une nouvelle vitalité.
On retrouve le même dynamisme dans les décors prenant place autour d’une reproduction géante de l’Arche gothique des Prisons imaginaires de Giovanni Battista Piranesi. Des voûtes, des escaliers, des alcôves et des étages superposés sont au fur et à mesure ajoutés, enlevés ou déplacés en permettant des changements de scène fluides et compréhensibles. Les belles vidéos de Finn Ross projetées sur le fond de la scène complètent de manière cohérente les décors et lumières de Paule Constable créant des atmosphères intenses et charmantes.
Tout comme les artistes de cirque, les chanteurs et les figurants s’intègrent avec naturel à cette ambiance loufoque la soulignant par des gags irrésistibles, chorégraphiés par Leah Hausman.
Entre Teresa qui embobine ses vieilles tantes (superbement rendues par les figurants) et son père ; Fieramosca qui se fait littéralement marcher sur les pieds et le Pape qui paraît tout droit sorti de La Vie de Brian, les 3h d’opéra passent très vite et nous laissent le sourire.
Pretty Yende, qui gagne en assurance et volume au cours de la soirée, est une Teresa attachante, déchirée (mais pas vraiment) entre son père et son amoureux. On apprécie sa voix stable, ses aigus puissants et son legato fluide et naturel. John Osborn, que l’on avait vu dans La donna del Lago au Met de New York en 2016, incarne un Cellini dynamique et réaliste, qui nous amuse, séduit et émeut. Très convaincant est également le Fieramosca d’Audun Iversen, qui paraît tout droit sorti d’un film de Tim Burton.
On remarquera leur hilarant et crédible trio dans la maison de Balducci, qui se termine par la fuite désinvolte de Cellini, et le lynchage du pauvre Fieramosca.
Maurizio Muraro est un Balducci crédible et amusant, tout comme le Pape Clément VII de Marco Spotti, qu’il est impossible de prendre au sérieux, après son arrivée sur scène en grande pompe sur un piédestal, des rayons (divins) de soleil perçant les nuages derrière lui.
Le rôle de travesti d’Ascanio est assuré avec flair par Michèle Losier qui sait à la fois capter l’attention, faire rire et nous toucher, grâce à sa voix au timbre chaleureux et caressant.
Dans la fosse Philippe Jordan souligne le côté cinématographique de la partition, pendant que le chœur de l’opéra de Paris assure du point de vue théâtral comme vocal, nous offrant des remarquables Honneur au maître ciseleur et Peuple ouvrier.
Tout comme l’orfèvre florentin renversait les schémas sociaux et dépassait les bornes de sa condition sociale, l’esprit irrévérencieux du mardi gras envahit l’Opéra Bastille, valorisant le côté spectaculaire et grandiose de l’Opéra de Berlioz.