Nous étions à l’amphithéâtre Bastille pour Kurt Weill story : un voyage musical entre France, Allemagne et États-Unis en compagnie des jeunes de l’Académie de l’Opéra de Paris
Pour le mois de mars, les artistes issus de l’Académie de l’Opéra de Paris ont présenté Kurt Weill story : un spectacle autour du répertoire du compositeur allemand à l’amphithéâtre Bastille.
Nous nous retrouvons dans les coulisses d’une répétition, un régisseur (l’assuré et crédible Danylo Matviienko) prépare la salle afin d’accueillir le chef d’orchestre, le metteur en scène, les chanteurs, les régisseurs et les pianistes.
Petit à petit, chacun prend sa place et la répétition commence, dans une ambiance sérieuse et professionnelle.
Mais la journée n’est pas destinée à se dérouler comme prévu : une série d’événements, d’incidents et des coups de théâtre en changent rapidement le cours.
Pour commencer, la première chanteuse est en retard : “Désolée il y a des manifs !” (qui nous amène à la réalité de l’actuel bras de fer entre l’État et les cheminots) dit la candidate étrangère, qui en toute cohérence chante I’m a stranger here myself. Outre l’évidente prononciation anglaise impeccable, on apprécie le timbre velouté et l’éloquence de la mezzo Jeanne Ireland.
Suit une scène très divertissante, qui voit le contraste entre la timide interprétée par Farrah El Dibany habillée en petite fille aux longues nattes, et sa professeur de chant, la diva par excellence (une superbe Sofija Petrovic), qui ne se fait aucun souci à interrompre la répétition pour chanter à la demande de ses admirateurs. Avec son pianiste privé (Enrico Cicconofri), elle nous offre un Vissi d’Arte complètement hors sujet, chanté à pleine voix, comme s’il n’y avait pas de lendemain, en terminant à genoux dans un pathos d’antan, que l’auditeur contemporain ne regrette pas.
Finalement Farrah El Dibany étonne tout le monde en chantant l’air d’une prostituée mélancolique, avec un air de femme fatale insoupçonné. Son allemand parfait et sa voix dense et large donnent du relief au texte de Brecht du Nanna’s Lied.
On retrouve le même charisme chez Angélique Boudeville, qui dans sa tenue années 30, prend place près du piano pour un Surabaya Johnny réaliste, voir trop réaliste, vu qu’elle commence à s’en prendre à tous les hommes présents, à commencer par le sympathique pianiste Alessandro Praticò. Entre temps Marianne Croux profite de la perte de ses chaussures pour séduire Maciej Kwaśnikowski et Juan de Dios Mateos.
Accompagné au piano par un éloquent Benjamin Laurent, Danylo Matviienko nous offre une amusante version alternative de Tchaikovsky (and Other Russians) où le piano reprend les œuvres les plus connues de certains des compositeurs cités dans la liste. Ce n’est qu’à l’arrivée sur scène d’un autre pianiste (Benjamin d’Anfray), se plaignant du tempo trop lent, qu’on pourra écouter la version originale de la pièce, en appréciant le jeu décontracté du pianiste et l’articulation souple du baryton.
Le moment romantique de la soirée, le duo It never was you où Sarah Shine fait preuve de grande aisance scénique et Jean-François Farras captive par son timbre chaleureux, est vite interrompu par un duo de la Jalousie, où Pauline Texier fait la peau (musicalement) à Sarah Shine. On remarque la belle projection et l’expressivité de la chanteuse, qui nous offre à la fin un touchant Je ne t’aime pas.
Les ensembles sont aussi très réussis, de l’amusant Ice cream sextet, que les chanteurs exécutent pendant une dégustation de glaces (dont le public pourra profiter en fin de soirée), au sombre mais amusant Le grand Lustucru, ou à la Tango Ballade, où se rajoute un piano à quatre mains.
On retrouve bien évidemment aussi l’Alabama song, très bien amenée par les chanteuses, noyant leur chagrin dans de l’alcool issu d’un casier magiquement transformé en bar. Et le célèbre Youkali, qui termine en beauté la soirée dans un tutti pétillant et entraînant, où se rajoutent aussi les cinq musiciens (Gerta Alla, Hanna Zribi, Marie Walter, Hsing-Han Tsai, Gerard Mc Fadden).
Nous remarquons aussi l’habileté et l’inventivité de toute l’équipe de création, de la metteuse en scène Mirabelle Ordinaire, la scénographe Philippine Ordinaire, la costumière Laurianne Scimemi, le dramaturge Joël Huthwohl et le régisseur lumières Philippe Albaric, qui ont imaginé un spectacle fluide et crédible, amusant et éloquent.
Si certaines voix étaient plus en forme que d’autres et l’aisance scénique était inégale, les chanteurs de l’Académie font tous preuve de grand professionnalisme, et nous démontrent que leur chemin vers les scènes de Garnier et de Bastille sera très bref.