Depuis plusieurs années la Fondation Royaumont accueille des ateliers de formation professionnelle dédiés aux jeunes musiciens.
Une formation consacrée à l’interprétation de la musique de Chopin a eu lieu récemment. Elle a permis d’exposer un groupe de jeunes pianistes à la pratique historiquement informée grâce au pianiste Edoardo Torbianelli et à la musicologue Jeanne Roudet, en collaboration avec le pianiste-chanteur Ulrich Messthaler et le musicologue Keith Chapin.
De jeunes pianistes de différentes provenances, des étudiants du CNSM de Paris, du master en musique ancienne de la Sorbonne ou de la Schola cantorum de Bâle, se sont retrouvés pour une formation Chopin à Royaumont, réunis par leur passion pour la musique ancienne.
Il est rafraîchissant de voir autant de jeunes intéressés à cet univers étroitement lié à la recherche historique et musicologique. Cet univers en développement, qui doit encore faire ses preuves, peut faire peur, mais les musiciens ici présents, étaient en “confiance et ouverture totale”, comme nous l’explique Sylvie Brély, directrice du programme claviers à Royaumont, qui depuis sa création en 2010 s’est concentrée sur les instruments historiques. “En effet, on met les étudiants dans un contexte d’information musicologique et de séminaire afin qu’ils puissent poser des questions et s’exprimer librement” continue Sylvie Brély.
Les étudiants découvrent ainsi de nouvelles façons de s’exprimer au piano, en suivant les conseils des professeurs, comme Ulrich Messthaler qui, par exemple, leur fait travailler “la vocalité au piano”. Cette technique, qui se base sur l’école du bel canto italien et sur sa façon de conduire et de tenir le son, a pour but de transposer au piano le souffle du chanteur : “Chopin disait que la respiration du pianiste est le poignet”, souligne encore Sylvie Brély.
Le pianiste-chanteur allemand aide aussi les jeunes musiciens à trouver dans l’écriture pianistique ce qui pourrait évoquer la technique du chant, à mettre toutes leurs émotions dans les phrasés, à étendre au maximum la mélodie et à donner son éloquence au mouvement musical. Les musiciens travaillent donc l’interprétation dans les détails les plus subtils : les nuances et les couleurs afin de trouver la beauté du son et du timbre, le rythme et les dynamiques au service de l’expression, la maîtrise du toucher au service du phrasé et de la cohérence du discours musical.
Messthaler encourage ses élèves à chanter chaque ligne mélodique afin de mieux les mémoriser et de faire en sorte que le corps s’imprègne de la mélodie, ce qui est primordial dans le répertoire romantique, car cela donne une dimension beaucoup plus intime à l’interprétation.
Le pianiste Edoardo Torbianelli, de son côté, veille à ce que les étudiants deviennent maîtres de leurs gestes, en les incitant à créer un lien entre leurs doigts et le reste de leur corps. Il recherche des “gestes organiques”, en faisant prendre conscience de la respiration diaphragmatique, des tensions et des relâchements, et de la nécessité de trouver un équilibre.
“Le travail sur les pianos anciens demande plus de sensibilité, il faut avoir une connexion plus directe avec l’instrument et avec son propre corps” nous raconte un des stagiaires, élève de la formation à Royaumont et de celle de la Sorbonne. “Le parallèle avec le chant est très parlant, effectivement les muscles qui permettent aux cordes vocales de produire les sons se tendent et se détendent, comme les mains quand on fait une attaque au piano”, ajoute-t-il.
L’utilisation des instruments anciens est très spécifique — “la première fois qu’on joue un instrument ancien on “sent sa mécanique”, nous confie encore l’élève. “Ce qu’il faut faire est se donner le temps d’appréhender le piano, il faut écouter sa sonorité sans le brusquer, recevoir ce qu’il nous transmet et construire quelque chose à partir de là. C’est très intéressant car cela équilibre la relation entre pianiste et instrument”, nous dit-il encore.
L’interprète doit donc trouver une coordination différente par rapport à celle de l’école de piano moderne, s’habituer à des sonorités très différentes et faire beaucoup plus attention à son jeu afin de bien gérer les nuances.
La compréhension de ce que le piano peut “dire” à la personne qui le joue est très importante pour pénétrer l’esprit de Chopin. Comme nous explique Edoardo Torbianelli. “Il est évidemment impossible de savoir exactement comment le célèbre pianiste et compositeur polonais jouait, par rapport à la technique pianistique du XIXe siècle, mais en lisant les recensions des concerts, et les méthodes de l’époque, on peut trouver des outils et des consignes techniques qui peuvent mieux orienter les interprètes”.
“Le plus fascinant c’est qu’au final je me rends compte que cela me pousse à être plus libre, à tous les niveaux : du point de vue technique et de l’expression, j’ai par exemple appris à faire passer l’intensité aussi par la rythmique et pas uniquement par la dynamique du forte, du point de vue musicologique. Ce type de travail m’a permis de me libérer des théories les plus strictes et de trouver ma place dans tout cela” se confie un autre étudiant. “En suivant le cours de Jeanne Roudet à la Sorbonne en juin dernier, j’ai fait l’expérience qu’une lecture des signes sur une partition peut changer véritablement une interprétation, car chacun peut les interpréter différemment” affirme-t-il.

Les jeunes musiciens sont donc encouragés à la recherche et à prendre l’habitude de chercher de meilleures sources ou des partitions plus fidèles. Cela leur donne aussi la possibilité d’approfondir, de prendre bien le temps de se familiariser avec une œuvre et son contexte, puis d’attendre que tout mûrisse. “L’idée est de former les jeunes, non seulement à l’interprétation mais aussi à la recherche”, nous explique Sylvie Brély.
Un autre aspect intéressant qui ressort de l’atelier est la place de l’improvisation : “Chopin improvisait et participait à des soirées d’improvisation, ici j’ai appris que la musique doit être liée à l’instinct et qu’il faut donner l’impression que l’on improvise, comme fait Edoardo, qui a un discours au piano très libre”, nous confie un jeune pianiste. Et il rajoute : “Je suis très admiratif du fait qu’il assume sa démarche — qui se fonde tout de même sur une recherche approfondie et sur une prise de conscience. Je pense aussi que sa vision des choses peut vraiment faire évoluer l’interprétation et aider les musiciens à mieux s’exprimer”.
Participer aux ateliers de Royaumont donne également la possibilité de créer des liens avec les autres participants et de participer à d’autres projets organisés par la Fondation.
Il y a quelques années, les jeunes pianofortistes Laura Fernández-Granero et Ajay Ranganathan se sont rencontrés à une formation ; ils ont constitué un duo professionnel qui ensuite a été sélectionné au Festival de Bruges avant d’être invité à “La Seine musicale” de l’île Seguin en juin 2017 dans le cadre du festival Mozart maximum. “J’aimerais que toutes les formations aboutissent à ça !” nous confie encore Sylvie Brély.
La formation, qui s’est terminée pendant le festival, en parallèle avec un colloque international sur l’éloquence romantique au piano, a apparemment enthousiasmé et motivé les étudiants, qui ont pu profiter d’une formation de haut niveau dans une ambiance d’ouverture et de dialogue, jouer sur des pianos anciens en parfaite condition, échanger avec de très grands interprètes invités au festival (tels qu’Alexei Lubimov et Malcolm Bilson), le tout dans ce cadre exceptionnel et hors du temps qu’est l’abbaye de Royaumont.