Maria Mudryak (Violetta) et William Davenport (Alfredo) dans la Traviata au Teatro Carlo Felice de Gênes © DR

La Traviata : un spectacle scintillant « made in Genoa »

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Le Teatro Carlo Felice de Gênes finit l’année 2016 en beauté avec La Traviata de Verdi dans une nouvelle production signée par une équipe génoise : le metteur en scène Giorgio Gallione, le chorégraphe Giovanni Di Cicco, et le costumier et scénographe Guido Ferrato. Dans leur vision de l’opéra, la mort est omniprésente. En robe de bal blanche, Violetta défunte assiste dans un flash-back à son propre sort tragique au sein de la bourgeoisie parisienne, représentée tout en noir portant des parapluies—allusion à la peinture de Caillebotte.

 

Pendant que l’orchestre joue les premières notes du prélude (le thème des violons annonçant la mort de l’héroïne) Violetta regarde son reflet-fantôme dansant parmi les spectres de femmes mortes, des danseuses couchées sur la scène. Lors de ce pantomime un homme fixe Violetta d’un regard intense. Il est silencieux et présent dans presque chaque scène, sans que nous devinions son identité. Ce n’est que lorsqu’il chante à l’Acte II, scène 2 que nous comprenons qu’il s’agit du Docteur Grenvil (joué par Manrico Signorini), l’un des rôles mineurs de cet opéra, mais rendu primordial par Gallione pour nous rappeler l’avancée implacable de la maladie.

Les décors de cette production sont stylisés et imaginatifs, organisés autour d’un arbre ayant perdu son feuillage. Parfois l’approche symboliste est un peu réductrice, comme pendant le brindisi d’Alfredo au premier acte, où l’on voit apparaître un rideau de coupes de champagne. D’autres effets scéniques sont plus réussis, comme le tapis de pommes rouges marquant l’automne, la séduction et la chute au début du deuxième acte. La toux ensanglantée de Violetta est représentée comme un fond de scène rouge dégoulinant et par des tâches de lumière rouge projetées sur sa robe blanche par l’éclairagiste Luciano Novelli. La dernière scène se déroule devant un miroir géant qui renvoie aux spectateur le reflet-fantôme de Violetta faisant une danse de la mort pendant que l’autre Violetta chante son dernier duo avec Alfredo.

Mansoo Kim et Maria Mudryak dans la Traviata au Teatro Carlo Felice de Gênes © DR
Mansoo Kim (Germont) et Maria Mudryak (Violetta) dans la Traviata au Teatro Carlo Felice de Gênes © DR

Dans la représentation du 20 décembre, c’est Maria Mudryak qui a chanté le rôle de Violetta. Coiffée et habillée à la Marilyn Monroe, son apparition a évoqué pour les spectateurs de Gênes la Marilyn d’Andy Warhol à cause des nombreuses affiches à l’effigie de Marilyn annonçant l’exposition Warhol au Palais Ducal, juste à côté du Teatro Carlo Felice. Synesthésie réussie car la Violetta de Mudryak est, comme l’icône américaine, sexy, victime et magnifique. Mudryak a, par ailleurs, un énorme talent, tant comme soprano que comme actrice. Sa voix argentée porte même dans l’acoustique exigeante de la salle, et son sens du rythme dynamise ses passages les plus brillants. Son « Sempre libera », dont les roulades de coloratura sont impeccables, est rendu paradoxal par Gallione, car pendant que Violetta chante on voit le reflet-fantôme de Violetta, trainé dans un drap vers sa tombe.

Dans cette mise en scène Alfredo est faible et soumis à Germont, son père dominateur. Le ténor William Davenport incarne bien ce rôle ingrat d’anti-héros ; sa voix est légère et presque fragile, comparée à celles de Violetta et de Germont. Pour ceux qui sont habitués à un Alfredo plus héroïque, chanté par des ténors comme Domingo ou Villazon, Davenport surprend d’abord par sa faiblesse, mais on comprend vite qu’il s’agit de l’interprétation de Gallione, qui fait d’Alfredo une sorte de Don Ottavio (dans Don Giovanni de Mozart), un amant dévoué mais lâche, dont les airs ne sont que des platitudes. A la fin de l’opéra, au moment où Violetta meurt, Alfredo s’effondre lui aussi ; sans Violetta, il n’est plus rien.

Giorgio Germont est chanté magistralement par le baryton Mansoo Kim. Sa voix pleine et imposante accentue le côté manipulateur et sadique de son personnage, surtout dans ses duos avec Violetta. Vêtu d’une capeline noire avec une grande croix autour du cou, il ressemble à un prêtre jésuite. Gallione souligne la dévotion religieuse des mœurs bourgeoises critiquées par Dumas fils, et ensuite par Verdi et son librettiste Francesco Maria Piave. N’oublions pas que Germont insiste que Dieu le guide « Dio mi guidò », dans son grand air « Di Provenza il mar » du deuxième acte.

La distribution est harmonieuse, et tous les rôles secondaires sont chanté avec subtilité. L’Orchestre du Teatro Carlo Felice, dirigé par Massimo Zanetti, est superbe, en particulier les parties pour clarinette solo, jouées avec un legato impressionnant.

Jacqueline Letzter et Robert Adelson, historienne de la littérature et musicologue, sont les auteurs de nombreux livres, dont Ecrire l'opéra au féminin (Symétrie, 2017), Autographes musicaux du XIXe siècle: L’album niçois du Comte de Cessole (Acadèmia Nissarda, 2020) et Erard: a Passion for the Piano (Oxford University Press, 2021). Ils contribuent à des chroniques de concerts dans le midi de la France.

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