Alors qu’un peu partout les saisons se terminent pour laisser place au lancement des festivals de l’été, l’Opéra de Paris clôt sa programmation par deux ballets d’un genre différent. Tandis que La Sylphide envoûte le Palais Garnier, le Drumming Live d’Anne Teresa de Keersmaeker fait son entrée au répertoire du Ballet de la maison parisienne, sur les percussions envoûtantes de Steve Reich.
Le sol orange rappelle celui des Damnés dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes pour l’ouverture du Festival d’Avignon 2016. A jardin trônent quelques cylindres. Pendant l’installation du public, ils sont déjà sur le plateau. Les femmes sont en blanc, les hommes en noir et blanc. Juliette Hilaire porte une longue chemise en mousseline dans les tons orangés. C’est elle qui va ouvrir la chorégraphie au son des percussions par un solo éblouissant avant une phase en miroir avec Adrien Couvez. On dirait un papillon virevoltant dans la lumière. Les instruments sont disposés en ligne, au fond de la scène et résonnent comme un écho sublime contre les parois de l’Opéra Bastille. Le rythme est vif et soutenu. Les sauts, cambrés, ports de bras toniques, courses circulaires et demi tours se succèdent et font entrer progressivement tous les danseurs dans cet envoûtant ballet.
Pour la chorégraphe flamande, tout mouvement est mathématiques. C’est la raison principale pour laquelle les lignes au sol servent de guide aux interprètes dans une partition dansée fondée comme un véritable programme de construction géométrique. La musique répétitive de Steve Reich dialogue avec les danseurs et prend vie dans l’œil et l’oreille du spectateur, subjugué. Sur le programme, douze noms sont proposés mais ils ne seront que onze sur le plateau, un nombre impair qui pourtant ne déséquilibre en rien la chorégraphie. Parmi eux, nous retrouvons les premières danseuses Muriel Zusperreguy et Sae-Eun Park ainsi que le premier danseur Florian Magnenet à la présence charismatique. Entre eux, tout passe par le regard, furtif mais précis, en corrélation avec le discret décompte, maître du temps, en fond de scène, tourné vers le public (et un second vers les musiciens). La démarche d’allégresse se fait hypnotique mais impossible de dessiner sur notre rétine la totalité de la chorégraphie qui emplie tout l’espace.
Juliette Hilaire est semblable à une flamme venue embraser l’espace. Sa trajectoire croise celle de ses partenaires tandis que des duos et trios se forment un peu partout sur le plateau. Leur marche est comme un moteur qui vient relancer la machine par un tempo modifiant le rythme général. La danseuse attire tous les regards par une énergie communicative, incarnant el fuego dans une lumière sur le déclin alors que les musiciens, se déplaçant de droite à gauche, font valser leurs baguettes sur les tambours avant que le bruit ne se meure progressivement dans une passation tacite de témoin. Le rythme est relancé par les xylophones donnant à la pièce une dimension plus insouciante et légère dans la fraicheur et une pureté virginale. Les portés, gracieux, s’animent sur une musique entêtante avec de superbes passages, notamment des duos masculins d’exceptions. Lorsque les sonorités se font plus métalliques, comme de petites clochettes imitant le pépiement des oiseaux, une sérénité nous enveloppe. Des corps, parfois inertes sont évacués et ne reste qu’une main tendue vers le public. Déjà, les vingt dernières secondes s’amorcent, la lumière se meure, le cylindre est lancé à pleine vitesse, stoppé net par un danseur, instant millimétré mettant brutalement fin à la pièce.
Le ballet, créé en août 2008 par la Compagnie Rosas aux Sofiensale de Vienne a pris le nom de Drumming Live deux ans plus tard quand la musique a été intégrée à la scène. Elle est interprétée par l’Ensemble Ictus. Après sa mise en scène du Così fan tutte de Mozart, l’entrée au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris du Drumming Live d’Anne Teresa de Keersmaeker marque un pas en avant dans l’art de l’épure et la rigueur du duo danse / musique. Une œuvre magistrale à ne pas rater.
Drumming Live
Musique : Steve Reich
Chorégraphie : Anne Teresa de Keersmaeker
Scénographie et Lumières : Jan Versweyveld
Costumes : Dries Van Noten
Musiciens : Ensemble Ictus
Voix : Synergy Vocals
Avec : Sae Eun Park, Muriel Zusperreguy, Caroline Robert, Juliette Hilaire, Laurène Lévy, Miho Fujii, Awa Joannais, Sofia Rosolini, Florian Magnenet, Jérémy-Loup Quer, Daniel Stokes et Adrien Couvez
Du 1er au 15 juillet 2017 à l’Opéra Bastille