Pierre Hantaï @ DR
Pierre Hantaï @ DR

Virtuosité et pédagogie au premier Paris Clavecin Festival

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Lancer le premier festival parisien autour du clavecin : le pari était osé ! Du 23 au 25 juin, master class, concerts, conférences ont rythmé un week-end ancré à La Sorbonne et s’achevant au Musée de la musique de la Cité de la musique – Philharmonie de Paris. Le « Paris Clavecin Festival », qui a pour objectif de redonner ses lettres de noblesse à un instrument injustement peu valorisé, a tenu ses promesses.

Le premier soir, le récital d’ouverture était donné par le parrain du festival – le concertiste international Pierre Hantaï – au sein de l’amphithéâtre Richelieu à La Sorbonne. Le samedi matin, nous avions de nouveau rendez-vous dans ce bel écrin situé au cœur de la prestigieuse université. Au programme ? Une master class publique du maître ! En effet, les quatre fondateurs de ce premier festival, également étudiants à La Sorbonne – Héléna Delmas-Pastor, Jean-Lin Frossard-Thomé, Damien Naud et Violette Viannay – ont souhaité placer la pédagogie au centre de l’événement en organisant des conférences musicologiques, une master class et un concert-commenté.

Pierre Hantaï a donc distillé ses conseils à quatre jeunes clavecinistes durant près de trois heures. Un Prélude de Louis Couperin inaugurait la matinée. Portant la mention« A l’imitation de Monsieur Froberger », cette pièce fut l’occasion d’étudier les similitudes entre les oeuvres de ces deux grands compositeurs. Pierre Hantaï joua de brefs extraits de pièces de Froberger pour que l’on puisse saisir ces analogies. Et l’interprétation ? « A l’époque, le clavecin est considéré comme un grand luth a affirmé le musicien devant des élèves timides et peu loquaces, impressionnés par l’érudition du claveciniste. Lorsque vous jouez, pensez surtout à la voix et non au clavecin ! » ajouta-t-il.
La
Toccata de Frescobaldi qui suivait laissa plus de liberté à l’interprète. Puis, le célèbre Concerto italien de Bach fut « décortiqué » sous nos yeux : rythme, indépendance des 2 mains, syncopes, autant d’éléments à assimiler pour celui qui part à l’assaut de ce chef-d’œuvre !
Pour conclure, les
Sonates de Scarlatti n°310, 56, 212, 213 résonnèrent brillamment dans l’amphithéâtre. « Là, ce sont les couleurs qui guident la musique » assura le professeur.
Après cette matinée riche en enseignements, les élèves partirent avec un bagage musical supplémentaire, nécessaire à la construction de leur future carrière !

La master class à peine achevée, place à la préparation du concert du jeune prodige Justin Taylor et à celui de l’Ensemble Stylus Phantasticus, qui donnaient un récital le soir même.

Le lendemain matin, c’est au Musée de la musique de la Cité de la musique – Philharmonie de Paris, au cœur de l’étage XVIII° siècle, que Lillian Gordis régalait les auditeurs, parmi lesquels on apercevait aussi de simples visiteurs, attirés par le récital. Lors du concert-commenté intitulé « Un clavecin mal et bien tempéré : une histoire sociale », la musicienne, originaire des Etats-Unis et disciple de Pierre Hantaï, expliqua le principe du tempérament et illustra ses propos par l’interprétation de nombreuses pièces. En effet, cette façon d’accorder des instruments à sons fixes comme le clavecin, a évolué au fil des siècles : du tempérament mésotonique, qui nous paraît aujourd’hui légèrement âpre à l’oreille, au tempérament inégal, pour finir par le tempérament égal, utilisé de nos jours.

La transcription pour clavecin d’un madrigal à 5 voix de Gesualdo, réalisée par Lillian Gordis et jouée sur un instrument au tempérament mésotonique, nous fit comprendre le caractère particulier de cet accord, basé sur un intervalle pur de tierce. De plus, à l ‘époque, « les inégalités sociales trouvent un écho dans les inégalités de ce tempérament » précisa l’interprète, enchainant ensuite des pièces de Frescobaldi, Bull, Rameau ou Louis Couperin.
Pour jouer la redoutable
Fantaisie chromatique et fugue de Bach, un changement d’instrument s’imposa ! En effet, en Allemagne du XVIII° siècle, le tempérament inégal était quant à lui basé sur un intervalle de quinte…
Pour terminer, Lillian Gordis offrait au public quatre sonates de Domenico Scarlatti, remarquablement interprétées, et servies par un toucher précis. Isolé socialement au cours de sa vie, ce contemporain de Jean-Sébastien Bach, fit « le grand écart entre bourgeoisie et pauvreté » nous confia la claveciniste, justifiant de nouveau les liens existants entre tempérament et histoire sociale. Hélas, le Siècle des Lumières viendra sonner le glas du clavecin… avant son retour au milieu du XX° siècle.

Avec ce nouveau festival, défendu par de talentueux musiciens, le clavecin a enfin un nouvel espace d’expression au cœur de la capital !

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