Pour cette quatrième édition du festival Dans les Jardins de William Christie, le chef franco-américain – et surtout vendéen depuis 30 ans ! – a choisi pour concert d’ouverture des Rencontres musicales en Vendée organisées en sa demeure de Thiré, des extraits des Fêtes vénitiennes d’André Campra données en janvier dernier à l’Opéra Comique. Une journée « Grand Siècle » dans les jardins où, au décours d’un après-midi de Promenades musicales rythmées de mini-concerts au plus près des artistes, le miroir d’eau prit des airs de Grand Canal (mi-Versailles, mi-Venise) et se transforma en décor d’opéra.
Souvenez-vous, suite au très réussi concert Un Jardin à l’italienne, l’Accademia d’Amore proposé en mars dernier par la septième promotion de l’Académie du jardin des voix des Arts Florissants à la Cité de la musique, je vous invitais à prolonger ce moment baroque et bucolique en assistant aux Promenades musicales que Bill Christie organise désormais chaque été dans sa demeure vendéenne de Thiré. Eh bien, si vous avez choisi de terminer votre mois d’août sur une plage corse, Classicagenda s’y est rendu pour vous.
Tout commence par une visite guidée du domaine (12 hectares, dont 2,5 de jardins), classé Jardin remarquable depuis 2004 et dont la bâtisse, formée d’un logis principal fin XVIe, début XVIIe, semblable à une longère, mais d’aspect plus imposant et plus noble, lui-même flanqué sur sa gauche de dépendances non moins charmantes (un clocher à 5 carillons rythmant les promenades), a été ajoutée à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 2006.
Au vu des parterres de buis et autres massifs d’ifs, révélant tout l’art topiaire de ses créateurs, du miroir d’eau et ses rocailles ou de la colonnade de charmes ajoutés dans le prolongement des terrasses, on serait tenté de dire que le propriétaire a su recréer le petit Versailles dont la musique lui est si chère.
Mais « à la française » n’est pas un qualificatif exact en ce sens que l’axe principal du jardin est en décalage de part et d’autre de la demeure (un « big no-no » selon notre guide !), et qu’on y trouve nombre d’éléments paysagés italiens (pergola, pins parasols), anglais et même américains (le fameux « Arts and Crafts »).
Nous apprenons aussi que le parc entier et son apparente symétrie ont été créés de toute pièce : seul le logis existait au départ, pigeonnier et grand portail y ont été remontés pierre par pierre, notamment par les musiciens des Arts Flo. En somme, il s’agit d’un jardin « à la William Christie », d’allure classique mais truffé d’espiègleries baroques, tout droit sorti de l’esprit visionnaire du chef.
Revenons à la musique, même si nature et culture s’entremêlent sans cesse lors de ces promenades. Les festivités ont commencé après la remise du prix Jardin éphémère – Maryvonne Pinault aux Arplanteurs, jeunes duos d’architectes paysagistes qui sont su transformer avec poésie la prairie d’herbes hautes située aux abords du pont chinois.

Le public avait alors la possibilité d’emprunter ce dernier pour enjamber la rivière Smagne et découvrir les danses baroques du Scapino Ballet de Rotterdam, qui revisitèrent avec beaucoup d’intensité les airs tourmentés de Vivaldi interprétés par la mezzo Emilie Renard, ou de profiter un peu plus du Jardin Ephémère en écoutant le Trio des Grâces formé par les sopranos Maud Gnidzaz, Juliette Perret et Virginie Thomas (airs de Lambert et Rossi accompagnés au luth).
Une manière de compléter l’esprit Grand siècle des lieux en les habillant – faisons un peu de prosodie baroque – des chants les plus doux et des accords les plus touchants, tout en nous préparant au grand voyage en Italie promis par le concert du soir.
Ces flâneries musicales nous conduisirent aussi dans le spectaculaire Théâtre de verdure, bosquet d’ifs délimitant à l’est la cour d’honneur et entièrement sculpté en chinoiseries, où les lauréats du Jardins des voix 2015 chantèrent des airs anciens des cinq nations dont ils sont originaires (Italie, France, Espagne, Etats-Unis, Angleterre).
Aux abords du logis, dans le très intime Jardin rouge, William Christie au clavecin, Thomas Dunford au théorbe et le ténor Reinoud Van Mechelen nous offrirent des improvisations sur les Barricades mystérieuses de Couperin ou des extraits de tragédies (Orphée aux enfers de Charpentier).

A la tombée du jour, le public a pu prendre place face au miroir d’eau pour des extraits des Fêtes vénitiennes d’André Campra données en janvier-février dernier à l’Opéra Comique, avec pour invités les musiciens de la Juillard School de New York (William Christie y donne des masterclasses), et dont la mise en scène de Robert Carsen a été adaptée par Didier Kersten pour la scène flottante.
Ce théâtre naturel se para alors de teintes rouges et noires, portant l’intrigue à un niveau quasi stendhalien sur le plan psychologique, vision fantasmée d’une Sérénissime régie par l’argent, la jalousie, la fête et les trahisons masquées, tout en conservant le comique propre à la commedia dell’arte, basé notamment sur la ruse, le travestissement ou l’interversion d’identité.
Ne sachant dire si ce résumé dénature le propos du livret, je rappellerai toutefois que cet opéra-ballet de 1710, qui connut un triomphe durable avec plus de 300 représentations données jusqu’en 1760, fut expérimenté dans différentes configurations par Campra et son librettiste Antoine Danchet, qui créèrent jusqu’à neuf entrées aux synopsis distincts (deux sont représentées ce soir).

« Mêler avec la délicatesse de la musique française, la vivacité de la musique italienne » était le propos. D’ailleurs, la dramaturgie de ces Fêtes importe moins que l’esprit de divertissement recherché (on imagine les spectateurs de l’Académie royale de musique la suivre d’un œil distrait), à l’instar du dernier des Divertissements de Versailles de 1674 qui eut lieu la nuit du 31 août et pendant lequel « les parterres, terrasses, degrés et le grand canal sont illuminés aux flambeaux et le roi, la reine ainsi que toute la cour, embarquent sur des gondoles envoyées en présent par le doge de Venise ». D’un Grand Canal à l’autre…
Dans une première entrée (Les sérénades et les joueurs), on a ri du catfight à l’éventail entre Isabelle (Emilie Renard) et Lucille (Emmanuelle de Negri), avant de les voir faire le tour complet du miroir d’eau telles deux furies à la recherche de leur amant volage (au risque de se faire charger par les deux cygnes autochtones et intermittents d’un soir !). Et quelle performance d’Elodie Fonnard, grimée en table de roulette (encore le rouge et le noir) à jarretelles, qui nous chante que l’amour et la fortune sont souvent les fruits du hasard. On ne peut s’empêcher d’y voir une raillerie de la cour, où les fortunes pouvaient se faire et se défaire en une soirée au cours de longues parties de tric-trac.
Sur fond d’amours indécises et d’interversion d’identité entre maître et valet, la deuxième entrée (Le bal) se moque aussi du conflit entre metteur en scène et compositeur, souvent exploité à l’opéra. On y retrouva aussi tout le talent des danseurs du Scapino Ballet de Rotterdam pour les scènes de danse.
Enfin, pour clore cette journée pittoresque et nous remettre des folies vénitiennes, nous étions conviés, après une traversée des jardins aux flambeaux, à rejoindre l’église de Thiré pour le premier concert de la série des Méditations à l’aube de la nuit proposée par le ténor et chef associé Paul Agnew, pour écouter en silence et sans applaudissements les solistes du Jardin des voix interpréter à la lueur des cierges des œuvres pour complies du compositeur anglais Thomas Tallis, dont un superbe Misere à sept voix.

Après une semaine rythmée de concerts, ateliers musicaux ou de jardinage pour les plus jeunes, et de rencontres avec les artistes, la boucle franco-italienne s’est bouclée le weekend dernier (28 et 29 septembre) avec une reprise attendue sur le miroir d’eau du concert Un Jardin à l’italienne, l’Accademia d’Amore par les solistes du Jardin des voix.
A voir et à revoir sur http://www.arts-florissants.com/artsflosmedia ou sur culturebox.francetvinfo.fr.
Promenades musicales
Série de mini-concerts de musique, chant et danse dans les jardins.
Concert du soir sur le Miroir d’eau
Les Fêtes vénitiennes, André Campra (1660-1744)
Opéra mis en scène (extraits)
Direction musicale : William Christie
Mise en scène : Robert Carsen, adapté pour le Miroir d’eau par Didier Kersten
Chorégraphie : Ed Wubbe
Costumes : Petra Reinhardt
Lucía Martín-Cartón, Emmanuelle De Negri, Élodie Fonnard, sopranos
Emilie Renard, mezzo-soprano
Cyril Auvity, Reinoud Van Mechelen, hautes-contre
Marcel Beekman, ténor
Jonathan McGovern, baryton-basse
João Fernandes, basse
Chœur et orchestre des Arts Florissants
Musiciens de la Juilliard School
Arts Flo Juniors
Danseurs du Scapino Ballet Rotterdam
Samedi 22 août 2015 – Jardins du Bâtiment, Thiré (85)
Méditations à l’aube de la nuit
Musique sacrée de Thomas Tallis (1505-1585)
Musique pour Complies :
Plain-chant : In manus tuas
Thomas Tallis : In manus tuas
Pièce pour orgue : Clarifica me Pater I
Thomas Tallis : Telucis ante terminum
Pièce pour orgue : Clarifica me Pater II
Thomas Tallis : Salvator mundi domine
Pièce pour orgue : Clarifica me Pater III
Plain-chant : Misere mei
Thomas Tallis : Misere nostri (à 7)
Les solistes du Jardin des Voix 2015 :
Lucía Martín-Cartón, soprano
Lea Desandre, mezzo-soprano
Carlo Vistoli, contre-ténor
Nicholas Scott, ténor
Renato Dolcini, baryton
John Taylor Ward, basse
Paul Agnew, Direction musicale et plain-chant
Samedi 22 août 2015 – Eglise de Thiré (85)