La Passion de Simone.

La Passion de Simone. Carnet de critiques.

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Cet article peut constituer le second volet de notre réflexion sur l’oratorio moderne (voir Vice Versa, un oratorio de Pixar). Donnée il y a un peu plus d’an à Clermont-Ferrand, La Passion de Simone (2006) de Kaija Saariaho est un « chemin musical en 15 stations. » Ce choix de mots qui mélange laïc et sacré laisse présager une œuvre qui interrogera le statut de sainte sociale de Simone Weil, interrogation mise en livret par Amin Maalouf.

Le 14 novembre 2014, à Clermont-Ferrand, j’assistais à la représentation de la Passion de Simone sous la direction de Clément Mao-Takacs. La mise en scène était d’Aleksi Barrière. La partition, pour orchestre symphonique et choeur a été réduite en version de chambre par la compositrice elle-même en 2013, pour la compagnie La Chambre aux échos et le Secession Orchestra, les mêmes qui étaient sur scène ce soir là. Le texte et les parties vocales n’ont pas été modifiés, le chœur réduit simplement à un ensemble de quatre chanteurs.

Je feuillette les pages de mon carnet de critiques, retrouvant des indications griffonnées sur l’instant.

 

« … Côté atelier new-yorkais : les coulisses sont visibles. Les acteurs de la soirée arrivent naturellement, passant du backstage à la scène sans se plier au decorum du concert ou de l’opéra aujourd’hui. Les musiciens chauffent. Le chef consulte son conducteur ; assister à cette préparation, même contrefaite, provoque la concentration du public ainsi plongé dans le processus de fabrication de l’instant théâtral et opératique… »

Il semble qu’il y a chez Aleksi Barrière, tout comme chez Peter Sellars (le premier metteur en scène de la Passion) la volonté d’intégrer la représentation théâtrale à la vie du spectateur : le décloisonnement entre ce qui se passe sur scène et ce qui se passe dans le public, à travers ce principe de coulisses visibles, offre le parfait écrin à l’évocation de Simone Weil, canonisée par cette œuvre. Weil est une sainte dans une monde profane, proche du monde, tout comme cette mise en scène se veut proche du spectateur. Inutile de chercher le rôle de Simone Weil dans la distribution : c’est tout l’orchestre, ce sont tous les chanteurs qui ce soir sont Simone Weil.

 

« … Définition des personnages. INVENTION d’un personnage qui fait comprendre. Elle n’est pas Simone. Elles ne sont pas Simone. Elles ne sont ni Simone ni censées la représenter de toute façon. Elles vivent sa vie sur scène, elles lisent ses textes : un tableau vivant qui n’offre pas d’intermédiaire didactique et hypocrite entre Simone et le public. Naturel absolu qui est la seule solution CREDIBLE pour évoquer quelqu’un… »

Le narrateur, en haut à gauche de cette scène en forme de tableau, est à un bureau. Une faible lampe projette sur elle une lueur maladive. Elle lit. Elle se déplace. Elle vient croiser la soprano solo qui produit ce texte, illustré par des intervalles impossibles et déchirants. Elles centralisent la puissance dramatique de la Passion mais n’incarnent pas Simone : elles semblent l’expliquer. Mais pas pédagogiquement. Sensiblement.

 

« … Il y a à voir partout. Les lumières ont reçu une attention particulière… »

Pas facile d’éclairer le naturel. Et pourtant c’est très réussi : Etienne Exbrayat suggère plus qu’il ne souligne ; l’ombre semble raconter aussi quelque chose. Tous les détails sont visibles et pourtant, l’impression générale est celle d’une pénombre.

 

« …Livret en forme de prière… »

Le texte d’Amin Maalouf vient s’entremêler aux écrits de Simone Weil. Le ton est suppliant, elle doute, elle implore, elle demande de la force.

 

« … Mise en valeur des paroles de Weil par la nudité du livret de Maalouf. La chanteuse se réapproprie les paroles de Simone pendant qu’elles sont parlées en même temps… »

La prose simple de Maalouf suffit à poétiser la moindre indication, même purement circonstancielle, de Weil : le meilleur hommage qui puisse lui être fait.

 

« … Jeu de l’actrice : elle a vécu, et peut évoquer Simone à tous les stades de sa pensée. On assiste réellement à la fabrication de sa vie intérieure. Sa fraîcheur et aussi sa maturité donnent une progression organique au texte… »

 

« …Refus de la forme. Succession de tableaux ou continuité ininterrompue… »

Oratorio moderne, certes, mais qui se place de toute façon dans une tradition, rejetée ou non : le remaniement de la partition se fait réorchestration. Comment ne pas penser à la musique réorchestrable à l’infini de ces partitions, avant la période classique, qui n’indiquaient pas qui devait jouer quoi ? La musique devient alors musique pure, pouvant passer d’un instrument à l’autre, d’un timbre à l’autre. Et pourtant il ne s’agit pas d’une version de poche ou d’une musique interchangeable : le paradoxe est que Saariaho a su conserver la richesse de son spectre de timbres dans cette réorchestration, jouant ainsi à la frontière entre réécriture et réduction.

La dissolution des tableaux semble aussi entrer dans le cadre du décloisonnement de ces opéras à numéros (type Mozart) qui ont été remis en cause au XIXe siècle au profit du durchkomponiert dont Wagner est l’un des acteurs les plus célèbres.

 

« … Mouvement des acteurs en cohérence avec la force des images projetées [Sellars, ça, tiens]… »

 

« … Le chœur ajoute quoi ? Réitération de la chanteuse ? »

 

« … Le chef semble s’intégrer à la chorégraphie des acteurs chanteurs : lui aussi est en mouvement, lui aussi est sur scène. Les gestes de la direction d’orchestre font aussi partie du dispositif scénique lorsqu’il est sur scène, puisqu’il est visible… »

 

« … [morte à] L’âge du Christ, celui que tu as voulu imiter »

 

« … A96630 WEIL »

 

Retrouvez les notes d’intention de cette mise en scène, un complément de compréhension sur la musique ici.

Vidéos et photos de la mise sur la page Passion de Simone de La Chambre aux échos.

 

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