Un studio d'entregistrement
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“Mozart / Piano Quartets” : quel est le rôle du réalisateur ?

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Le mercredi 13 avril prochain, La Petite Symphonie sera en concert à l’Oratoire du Louvre pour jouer les deux quatuors avec piano de Mozart. Rien de tel pour se préparer au concert que d’écouter leur disque qui vient de paraître le 1er avril dernier chez le label Muso et qui reprend ces deux quatuors de 1785 et 1786.

 

Retour sur une expérience auditive particulière

Tout d’abord, La Petite Symphonie. Qui sont-ils ? Fondé il y a dix ans sous l’impulsion du pianofortiste Daniel Isoir, cet ensemble est en train de besogner pour constituer une sorte d’anthologie du pianoforte et de son cœur de répertoire. Cet instrument, qui précède le piano de 1820 (celui que nous connaissons tous), est celui sur lequel a été joué toute la musique de la période classique : Jean-Chrétien Bach, Mozart, Haydn, le jeune Beethoven et Schubert. Et la Petite Symphonie est un ensemble en constante métamorphose autour du pianoforte : au fil des programmes et des années, l’orchestre n’excède jamais la quinzaine de musiciens pour accompagner ou se faire accompagner par l’instrument. L’orchestre évolue selon le répertoire : quelque fois simple trio à cordes, il peut aller jusqu’à l’orchestre complet avec tout le quintette des cordes avec en plus les vents (flûtes, hautbois, cors et bassons).

Et c’est ça l’idée derrière la Petite Symphonie : pouvoir avec un seul et même ensemble fournir toute la diversité d’une saison musicale, pouvoir interpréter le répertoire symphonique ou de la musique de chambre avec la même esthétique et les mêmes interprètes.

Voyons ce que ça donne en enregistrement. Le projet est annoncé clairement pour ces quatuors avec pianoforte (violon, alto, violoncelle et pianoforte) : « Proche du concerto pour la forme, œuvre de dialogue entre le pianoforte et le trio à cordes, mais s’épanouissant dans une ambiance plus intérieure et secrète, sans perdre totalement son côté brillant et extraverti. » (Daniel Isoir)

Et comment rendre audible cette ambiguïté entre musique de chambre et concerto ? « Loin de la clarté d’une salle de concert, dans la pénombre et le silence d’un manoir normand, point n’est besoin de projeter le son pour un auditoire nombreux. Le musicien a la possibilité de murmurer le message universel de Mozart à l’oreille de chaque auditeur, en toute intimité. » (Daniel Isoir)

D’un coup nous comprenons que l’exercice est différent de l’enregistrement habituel : alors qu’il s’agit communément de reproduire le confort et l’expérience du concert, il semblerait qu’il a été proposé aux musiciens de ne plus s’adresser qu’aux micros, l’intimité étant le mot d’ordre.

Écoutons le disque, l’expérience auditive promettant d’être unique. Mais suivons l’angle de la prise de son. Prenons le geste inaugural du disque : six notes, jouées avec caractère et fougue par tous les instrumentistes. Et quand nous tendons l’oreille, quelques microsecondes avant ces notes, le silence habituel qui précède l’enregistrement est en réalité habité par les bruits du manoir dans lequel l’enregistrement a eu lieu : nous ne sommes pas dans un studio d’enregistrement, mais bien dans une pièce à vivre et le son se répercute différemment. D’emblée, nous sommes avec les instrumentistes, dans le confort d’un salon, à quelques mètres des archets, des pupitres et de l’imposant pianoforte.

Il y a pourtant quelque chose qui conduit l’écoute, qui intrigue l’oreille et qui l’amène à vouloir en écouter plus : le projet de départ, celui de « murmurer à l’oreille de l’auditeur » semble prendre une tournure inattendue. Quand nous pensons avoir une prise de son au cœur même de l’instrument, quand nous voulons un royaume d’imperfections géniales et individuelles, qui rend hommage à ces magnifiques instrumentistes, nous avons ici une prise de distance qui intrigue. Quand il s’agit pour ces musiciens de profiter de l’enregistrement pour ne pas devoir projeter vers l’auditeur, nous nous retrouvons devant un matériau étrangement proche et lointain à la fois. Les cordes prennent une couleur un peu grise et lointaine, les attaques perdent en homogénéité d’un pupitre à l’autre.

Prise de son d’orchestre ? Enregistrer le son global pour créer un univers symphonique ? Égaliser tous les plans sonores, enlever toute hiérarchie musicale pour aboutir à une vue d’ensemble plus dense ? Autant de questions qui viennent occuper l’esprit de l’auditeur qui tout à coup veut avoir directement accès aux musiciens, sans l’intermédiaire du disque ; ce disque, étrangement, n’est pas un splendide hommage… au disque.

Le pianoforte de Daniel Isoir est accordé selon le tempérament Bach-Lehman, le fameux tempérament qui servait à accorder le clavier à l’époque de Jean-Sébastien et dont la clé, comme une carte au trésor, a été découverte dans la relecture des arabesques sur la couverture d’une partition du cantor de Leipzig. Le son du pianoforte est encore rare dans les oreilles du public, l’accord selon ce tempérament encore plus rare : si la Petite Symphonie a la vision du quatuor avec piano comme celle d’un concerto, alors pourquoi ne pas vouloir placer l’auditeur au cœur de l’instrument ? Les subtilités du tempérament, la beauté imparfaite et tellement expressive du pianoforte mériteraient plus d’égards en réalité.

Le trio à cordes, Stéphanie Paulet, Diane Chmela et Mathurin Matharel, est composé d’instrumentistes qui ont tous officié en solistes dans les plus grands orchestres baroques et classiques du moment : leurs qualités techniques et la perfection de leur timbre n’est plus à prouver. Et pourtant, les micros d’Aline Blondiau n’ont pu que partiellement capter le charme primitif de ces copies d’instruments anciens. Les hiérarchies de ces partitions qui se pensent à la fois concertos et musique de chambre. Les exaltants contrastes entre les tuttis, les passages « d’orchestre » (cordes seules) et les passages solistes (pianoforte seul) sont difficiles à mettre en hommage : ils ne semblent pouvoir que subir un traitement qui masque les immanquables intentions qui ont nourri la pensée d’Aline Blondiau. Il a peut-être manqué un peu de proximité avec les instruments et la musique : à vouloir avoir un concerto et de la musique de chambre, la seule porte de sortie était une prise de son globale qui ne rend pas vraiment service au musicien individuel et peine à rendre compte de la volonté orchestrale derrière le projet.

La tendance de la prise de son aujourd’hui est à l’examen attentif de toutes les richesses de l’instrument soliste, de profiter de l’efficacité sans concession du matériel d’aujourd’hui pour plonger au cœur du timbre et du matériau sonore. Alors que le projet de Daniel Isoir allait dans ce sens, en promettant aux instrumentistes qu’il suffisait de murmurer le message de Mozart, l’ambition et l’ambiguïté entre le concerto et la musique de chambre a porté au soleil ce disque sur des ailes de cire.

Le réalisateur de disque a la responsabilité de tout ce qui nous arrive aux oreilles, de la qualité du son à la performance musicale : outre la prise du son, il y avait dans certains traits violonistiques une qualité qui pouvait encore être améliorée après plusieurs prises. Nous restons après l’écoute du disque avec l’envie d’entendre la Petite Symphonie en concert, l’envie d’avoir accès à eux directement et de sentir l’interaction entre les musiciens, libres qu’ils seront de vraiment mettre en valeur le pianoforte et l’orchestre miniature qui accompagne et se fait accompagner.

 


Mozart – Quatuors avec pianoforte

Quatuor avec piano n°1 en sol mineur, KV 478
(Allegro – Andante – Rondo (Allegro))

Quatuor avec piano n°2 en mi bémol majeur, KV 493
(Allegro – Larghetto – Allegretto)

Daniel Isoir – pianoforte

La Petite Symphonie
Stéphanie Paulet – violon
Diane Chemla – alto
Mathurin Matharel – violoncelle

Direction artistique, prise de son et montage – Aline Blondiau

CD Muso, 2016
Site officiel de La Petite Symphonie

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