Juillet s’est installé, déjà une canicule. Le ronronnement des festivals d’été s’amplifie. On commence déjà à ne plus savoir dans lequel aller : les prestigieux, les guindés, les éclectiques, les œcuméniques, les sans-chichis, les originaux, les inaccessibles, ceux qui sont près d’une gare, les hors-de-prix, les déjà-complets, les sans-regrets, les tout-nouveaux, les revivals, les institutions, les éphémères. Premier constat : on ne peut pas être partout. Le deuxième : on est bien content d’être là où l’on est. Le troisième : l’an prochain c’est promis, je m’organise à l’avance pour être partout.
Ce soir-là, il faisait bon être en Bretagne, par exemple. Thermomètre au-dessus de 35° partout à l’est d’une ligne Rennes-Nantes, tandis que l’Armorique respirait en-dessous de 25. On remerciait le Ciel d’avoir vu dans le programme de cette 7e édition du Petit Festival de Musiques en Trégor une bonne raison de rester au bercail avant de partir écumer les autres festivals de France… Et que de bonnes raisons : bien plus qu’un programme, c’est tout un univers qui se déploie pendant dix jours dans les lieux les plus insolites de ce petit Trégor. Un univers d’histoires extraordinaires, de mises en perspective des grands compositeurs, de découvertes d’instruments, de lubies d’artistes devenues rêves réalisés, de promenades à l’aube pour confronter les époques, de défis lancés aux cieux pour qu’un concert en plein air éloigne la pluie de lui-même, de rencontres entre ceux qui cultivent la terre, ceux qui écument les mers et ceux qui jouent des airs.
La veille, nous avions eu le plaisir de revoir et de réécouter Peau d’âne, cette féerie baroque imaginée par les musiciens de Ma non troppo, Cédric Hergault (mise en scène) et Cloé Rousset (récit, scénographie et textiles), réenchantée dans un hangar à légumes, à la lumière d’un interminable crépuscule d’été qui donnait aux étoffes des reflets que les lumières artificielles de février au théâtre de Morlaix ne nous avaient pas laissé soupçonner.
Plus classiquement, c’est dans le décor de l’église Saint-Etienne de Plouezoc’h que le Petit Festival avait jeté son dévolu pour accueillir la violoniste baroque Amandine Beyer, accompagnée au piano par sa sœur Laurence : une petite église bretonne enclose, un piano enclos par le public, un violon enclos par le piano, cercles concentriques pour une acoustique intime adaptée au programme. Affinités Bach, un florilège de pièces pour violon évoquant les œuvres du Cantor, contemporaines des siennes, postérieures ou contemporaines de nous. Œuvres sœurs jouées par deux sœurs, promenade dans la postérité de l’œuvre de Bach : son rejet, son oubli, sa redécouverte par Mendelssohn, les hommages de Schumann et de Kreisler qui ont mené à l’adulation qu’a voué le XXe siècle à l’œuvre et à l’homme, souvent mesurés à l’aune de la perfection et du divin. Le violon d’Amandine Beyer nous transporte à travers Mozart, Beethoven, Schumann, Fritz Kreisler et Tristan-Patrice Challulau, qu’il illumine de sonorités baroques et de références à l’œuvre, même quand elles ne sont pas explicites comme dans le Printemps (sonate en fa majeur op. 24) de Beethoven ou la sonate en sol majeur KV373a de Mozart.
C’est une lettre d’amour qu’a écrite Amandine Beyer à Bach avec son violon, pour notre plus grand plaisir. Avec un regard gourmand, je jette un œil à la suite du programme du Petit Festival : une légende bretonne dans un jardin, une soirée consacrée à André Caplet, le quatuor Leonis dans Schubert, une promenade musicale dans un château, l’intégrale des trios à cordes de Beethoven, une rando-concert de musique italienne du début du XVIe au lever du jour et l’inoubliable Fairy Tales de Son Ar Mein Consort en clôture. Je me dis que décidément, l’an prochain il faudra être partout à la fois…
Affinités Bach
Le 7 juillet 2015, Église Saint-Etienne, Plouézoc’h
Amandine (violon) et Laurence Beyer (piano)
Tartini, Mozart, Challulau, Schumann, Mendelssohn, Beethoven, Kreisler
Petit Festival de Musiques en Trégor
du 2 au 11 juillet 2015
Son Ar Mein, 29620 Guimaëc