Quatuor Ludwig © Etienne Charbonnier
Quatuor Ludwig © Etienne Charbonnier

Quatuor à cordes pour solstice d’hiver : les Ludwig à Morlaix

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C’était quelques jours avant Noël, le 21 décembre, dans ces limbes de l’hiver qui ne laissent pas au jour le temps de rivaliser avec les illuminations de la nuit. La douceur de l’air et la bruine collaient mal avec les guirlandes et les sapins dans les rues et nous laissaient sceptiques quant à l’arrivée imminente du Père Noël sur son traîneau attelé de rennes. Qu’importe, il se débrouillerait bien pour arriver, ce soir c’est le Quatuor Ludwig qui entre par la cheminée !

En attendant, la bonbonnière du théâtre de Morlaix est pleine comme une hotte. On annonce un changement de programme – et de premier violon, Thierry Brodard étant aux prises avec l’ultime attaque virale de l’automne. Est-ce parce que l’Europe est suspendue aux nouvelles venues d’Espagne – on attend ce soir-là les résultats des élections régionales anticipées en Catalogne – que le quatuor de Chausson prévu initialement est remplacé par La oración del torero (op.34, 1926) de Joaquin Turina ? Tandis que dans sa chapelle le torero prie et confie son sort à Dieu, des arènes montent les clameurs de la foule. Un pasodoble aux motifs andalous convoque l’Espagne profonde dans notre petite ville bien assise entre Léon et Trégor, que n’anime pas (encore) de soif de sécession. Le premier violon invité au pied levé – à l’archet levé, plutôt – est Guillaume Antonini, le premier du quatuor Leonis. On ne sait pas s’ils jouent souvent ensemble mais c’est tout comme. Le thème passe de l’un à l’autre, saute de la chapelle vers les arènes, sol y sombra, revient, s’arrête aux yeux fermés du torero dans un quatrième mouvement, lento, tout en humilité offerte, en résignation devant la blessure et la mort. Le torero rouvre les yeux et sort, aveuglé de soleil. Reprise du pasodoble , il entre dans l’arène, la foule l’acclame, l’Espagne se redresse.

Comme la courte pièce de Turina, l’unique quatuor à cordes (en sol mineur, op.10, 1893) de Claude Debussy est cyclique, avec un thème mélodique qui circule d’un mouvement à l’autre au gré de métamorphoses de rythme, d’harmonie et de nuances. L’esprit chambriste des Ludwig est bien là, dans lequel se moule le premier violon malgré ses airs de mener la danse : du volume, du relief, une grande intelligence des quatre instruments qui transforme en évidente fluidité l’éclat imperceptible d’un regard ou le voile d’un sourire.

Élégant et dansant dans le premier mouvement, ostinato rauque et pizzicati obsédants dans le deuxième, modulations chromatiques dans le troisième, pour finir avec presque des accents de Chostakovitch dans le quatrième : les Ludwig ont à leur actif un très bel enregistrement des quatuors 1, 3 et 8 (Calliope et Indésens Records, 2011) qui a manifestement influencé, avec bonheur, leur vision de celui de Debussy.

Retour vers les Pyrénées et les thèmes, plutôt basques cette fois, du Quatuor en fa de Maurice Ravel (1904) et ses pizzicati virtuoses, particulièrement servis par l’acoustique chaude de notre petit théâtre à l’italienne. Première grande pièce écrite pour cette formation au XXème siècle, dédié à Fauré, inspiré par Debussy, héritier de Franck, il s’étire à califourchon sur le tournant du siècle, émergeant des cendres du romantisme et annonçant de futures audaces. Les Ludwig sont à leur aise, rendant à cette écriture tendre et facétieuse ce qu’il faut de gravité moderne. Dans un déluge, le Finale ramène les thèmes du début à nos pieds et nous laisse étonnés, essoufflés et heureux : le torero repart dans le soleil, sa prière a été entendue : solstice d’hiver, enfin les jours rallongent !

 


Théâtre du Pays de Morlaix, Morlaix (Finistère)
21 décembre 2017
https://www.theatre-du-pays-de-morlaix.fr/

Quatuor Ludwig :
Guillaume Antonini (violon), Manuel Doutrelant (violon), Padrig Fauré (alto), Anne Copéry (violoncelle)
https://www.quatuorludwig.com/lequatuorludwig

Joaquin Turina : La oración del torero (op.34)
Claude Debussy : 1er Quatuor en sol mineur (op.10)
Maurice Ravel : Quatuor à cordes en Fa

Médecin à Morlaix, je suis violoncelliste amateure et passionnée de musique, avec une prédilection pour la musique de chambre et l'opéra. La scène bretonne et sa riche programmation me donnent l'occasion d'écouter des concerts de très grande qualité dans des sites d'exception. La musique et les lieux invitent au partage et inspirent l'écriture.

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