A vos archets ! © H. Béraud /RF
A vos archets ! © H. Béraud /RF

A vos archets ! Frottements de cordes à la Maison de la Radio

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A vos archets ! Pour la frotteuse de cordes amateure qui écrit ces lignes, cette injonction résonnait comme un défi. Quelques jours plus tôt, un message de Radio-France était tombé sur nos messageries : il se voulait séducteur, d’un “week-end de cordes frottées” nous faisant la promesse. De défi lancé en caresses promises, il n’en fallait pas plus pour m’attirer bientôt au cœur de la maison ronde. Las, il fallut laisser mon crincrin et son archet au vestiaire, de plus habiles étant pressentis sur scène. Sans rancune car une fois le programme en main, je dus convenir que le casting était de bon augure : les musiciens du National, le quatuor Asasello, l’Ensemble Mare Nostrum et quelques autres, le tout sous la houlette d’Amaury Coeytaux, violon solo du Philharmonique de Radio-France et depuis quelques mois le nouveau 1er violon du quatuor Modigliani.

 

Le roi de la fête ouvre le bal : un archet est posé seul sur un tabouret. Le violoniste entre sans son instrument et nous raconte son histoire. C’est un archet moderne, tel que l’imagina et le perfectionna François-Xavier Tourte : bois de Pernambouc, crin d’étalon ou de hongre, concavité, frottement sur la corde, rosine, colophane ou arcanson. En piste ! Deux fois quatre huit, les musiciens du National se font octuor à cordes et élèvent dans le studio 104 les plaintes chromatiques de l’Octuor de Max Bruch. Difficile de ne pas repenser aux explications de notre maître archetier du début en entendant l’alto se frotter à l’archet dans le 3ème mouvement du sextuor “Souvenir de Florence” de Tchaïkovski, comme un chat contre un fauteuil douillet, comme une troïka crissant sur la neige.

Le quatuor Asasello rejoint la scène et joue un quatuor de Titz. Un quatuor allemand (son port d’attache est à Cologne) joue un quatuor allemand (Anton Ferdinand Titz est né à Nüremberg en 1742)… mais dans leurs archets on entend de nouveau le crissement de la troïka : Asasello, le démon empoisonneur du Maître et Marguerite, sautille d’un musicien à l’autre, ils viennent de Russie, de Pologne, de Suisse et de Finlande. Mais ce n’est pas tout : Titz est un des pères du quatuor à cordes russe, s’éteignant à Saint-Pétersbourg en 1835 après 40 ans passés à la Cour de Catherine II. On comprend mieux que, de la Sicilienne du début à la Polonaise finale, ce quatuor soit empreint d’une puissante poésie slave.

[epq-quote align=”align-left”]Les pizzicati entêtants du violoncelle délaissent l’archet, qui n’abdique pourtant pas. Son retour soulage et nous emporte dans les frottements grandioses du grand finale[/epq-quote]

Fin de l’épisode russe, les Asasello créent Five, de Philippe Schoeller, que le compositeur vient nous présenter. Le quatuor comme instrument entier. L’archet ne crisse plus, il souffle. Je ferme les yeux et j’entends une flûte, un traverso. Je les rouvre, ce sont les crins qui font souffler les cordes. Le son entre par des fenêtres qui éclairent les phrases qui le prolongent, jusqu’à l’évaporation finale. C’est la “forme vitraillée”, dit-il. Laissons-lui en l’explication, on peut se contenter d’écouter une musique faite de son, d’air et de lumière. Comment font-ils alors pour nous ramener à Beethoven, pour le moins russe des quatuors Razumovski , le dernier des trois ? C’est le secret des Asasello. Les pizzicati entêtants du violoncelle délaissent l’archet, qui n’abdique pourtant pas. Son retour soulage et nous emporte dans les frottements grandioses du grand finale.

Le dimanche s’annonçait plus léger. Starring : l’archet baroque, les violes de gambe. Un théorbe comme pincée de sel, une voix de baryton pour le miel… quelque peu malmené par un mauvais virus qui modifia un peu son programme jusqu’à se faire remplacer par la basse de viole du chef Andrea de Carlo.
Qu’à cela ne tienne, c’est justement le rapport entre la parole et la musique qu’explore cet ensemble, ce qu’il nous explique en frottant son bel accent italien à une syntaxe française presque parfaite : il nous raconte tout, l’archet, les violes, les cousinades entre ceux qui se pincent et ceux qui se frottent, ceux qui s’épaulent et ceux qui se coincent entre les jambes, en attendant ceux qui se piquent et ceux qui se grattent. Illustration immédiate avec les conversations frescobaldiennes (Fiori musicali, 1635), puis avec les madrigaux de Boschetto Boschetti (magnifique Uranio non dormir, qui annonce un tout proche “Non morir, Seneca“) et Mazzochi.

[epq-quote align=”align-left”]C’est justement le rapport entre la parole et la musique qu’explore cet ensemble, ce qu’il nous explique en frottant son bel accent italien à une syntaxe française presque parfaite[/epq-quote]

Dans une courte concession à l’univers non frotté, Simone Vallerotonda nous offre une sonate au théorbe de Giovanni Zamboni (1664-1721), sans doute la dernière du genre que peuvent s’offrir les luthistes confinés ensuite à l’accompagnement. Et c’est à Furio Zanasi, le baryton malade, qu’est revenu le redoutable honneur de terminer ce joli moment baroque, ce dont il s’acquitta — avec quelques frottements de voix mais non sans chaleur et générosité, par de très belles chansons populaires d’Alessandro Stradella.
Épilogue : je retrouve mon archet, je le caresse, le frotte sur la colophane, j’écoute le chuintement de la mèche. La ré sol do. Quelques minutes de cordes à vide. Et si, en plus d’avoir écouté de la belle musique pendant tout un week-end, j’avais peut-être amélioré ma sonorité ? J’en accepte l’augure.

 


A vos archets ! , 13-14 mai 2017, Maison de la Radio
Studio 104 : 3 concerts
Max Bruch : Octuor en si bémol majeur ; Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Sextuor à cordes op. 70 “Souvenir de Florence”. Musiciens de l’Orchestre National de France
Anton Ferdinand Titz : Quatuor à cordes n°3 en la mineur ; Philippe Schoeller : Five, for String Quartet (création mondiale) ; Ludwig van Beethoven : Quatuor à cordes n°9 en ut majeur opus 59 n°3 “Razumovski”. Quatuor Asasello
Girolamo Fescobaldi : Fiori Musicali ; Giacomo Boschetto Boschetti : Il Secondo Libro de Madrigali a 4 ; Giovanni Boschetto Boschetti : Il Primo Libro de Madrigali a 5 ; Domenico Mazzochi : Libro Primo dei Madrigali ; Hieronimus Kapsberger : Ballo, Uscita, Ballo, Gagliarda, Corrente ; Giovanni Zamboni : Sonate d’intavolatura di leuto ; Alessandro Stradella : Canzone. Ensemble Mare Nostrum, direction Andrea De Carlo.

Médecin à Morlaix, je suis violoncelliste amateure et passionnée de musique, avec une prédilection pour la musique de chambre et l'opéra. La scène bretonne et sa riche programmation me donnent l'occasion d'écouter des concerts de très grande qualité dans des sites d'exception. La musique et les lieux invitent au partage et inspirent l'écriture.

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