Vendredi 26 janvier 2018, au Quartz Scène nationale à Brest, l’Orchestre symphonique de Bretagne proposait un voyage d’un soir dans le Nouveau monde, où nous emmenait l’archet précis et subtil de la violoniste Tai Murray à travers la musique du XXème siècle.
Il y a tout juste cent ans, âgé de 23 ans, William Grant Still est incorporé dans l’US Navy qui se déploie sur le théâtre européen de la Première guerre mondiale. L’histoire ne dit pas s’il intègre les bands de soldats Noirs américains qui débarquèrent à Brest en jouant une Marseillaise pentatonique et introduisirent le jazz en Europe sous la houlette de James Reese Europe. Probablement pas, car très vite il rentre à New York pour continuer la carrière musicale qui en fera le premier compositeur Noir américain bénéficiant d’une reconnaissance académique et joué par des orchestres de premier plan (et de musiciens blancs). Pourtant, un siècle plus tard, c’est bien à Brest qu’a débarqué Still, emplissant la scène de la douce sérénade de Mother and Child et de son motif de blues : sol fa sol fa… le vibrato tout en délicatesse de Tai Murray berce le Quartz, que la trépidante introduction de Jennifer Higdon (1962-), Machine peuplée de cuivres cinglants et de percussions tonnantes, avait brusquement tiré de la congélation ordinaire d’un soir d’hiver.



Quel plaisir que d’entendre de Samuel Barber autre chose que son Adagio pour cordes… Son concerto pour violon n’est pas souvent joué. Bien sûr, les grincheux diront qu’en 1939, il a bien du mal à se faire une place au soleil à côté d’un concerto pour violon de Bartok (n°2), d’une symphonie de Chostakovitch (n°6), du concerto d’Aranjuez (Joaquin Rodrigo), du Requiem de Ropartz et du concerto pour orgue, cordes et timbales de Poulenc… pour n’en citer que quelques-uns ! Et que la vigueur néo-romantique de Barber ne peut pas rivaliser avec le foisonnement créatif de ses contemporains : on en conviendra. Mais les grincheux se privent parfois (souvent) de petits et grands bonheurs : la nonchalance mélancolique de l’Allegro, l’Andante marqué par les sombres pizzicati des violoncelles et les pianissimos évanescents du violon, la virtuosité captivante du Presto final. Le tout magnifiquement servi par la soliste, manifestement en communion avec l’univers paradoxalement un peu suranné d’un Nouveau monde qui vit les dernières heures avant le spectacle de la déflagration générale.
Ayant renoué avec le continent européen le temps d’un entracte, nous repartons vers l’Amérique, cette fois poussés par le souffle mordant de l’Avel Viz, le vent d’Est. J’ai déjà dans ces pages évoqué le très beau travail de la compositrice Frédérique Lory et de la chanteuse Marthe Vassallo sur les liens entre les lieder du Voyage d’hiver et les chants traditionnels bretons collectés par les routes et les villages de Basse Bretagne. Cette improbable rencontre entre Schubert et les gwerziou, incarnée dans cet Avel Viz, Complaintes du vent d’Est, est admirablement servie par la voix large et le timbre cuivré de Marthe Vassallo. A l’arrivée, le Nouveau monde est à nos pieds, fait de nostalgie du pays natal et de soif de conquête. Personne mieux qu’Antonin Dvorak n’incarne ce mélange subtil d’un folklore originel fantasmé et repensé et de la quête de nouvelles influences, alchimie sur laquelle repose toute la richesse de sa 9ème symphonie. On aurait tort de la bouder au prétexte, cette fois, qu’elle est trop connue et trop jouée, trop souvent taillée en pièces. Alors on la savoure car c’est justement ça qui est bon : la connaître, la reconnaître, l’écouter.
Now the old place is deserted,
And the walls are falling down;
All who made the home life cheerful,
Now have died or moved to town.
But about that dear old cottage
Shall my mem’ries ever cling,
For ‘twas there I spent the moments
Of my, youth,—life’s happy spring.
Paul Laurence Dunbar, 1913
The old homestead, in Miscellaneous Poems