Eivind Aadland © Knut Bry
Eivind Aadland © Knut Bry

A Monaco, Eivind Aadland évoque les aurores boréales

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Le 2 juin à l’Auditorium Rainier III, le chef norvégien Eivind Aadland a dirigé l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo dans un programme basé sur la formule traditionnelle ouverture-concerto-symphonie, une formule qui pourrait paraître démodée — l’équivalent musical de l’entrée-plat-dessert — quand la mode des concerts plus courts et plus léger exige de plus en plus des programmes sans entracte. Or, Eivind Aadland réussit à dynamiser cette formule, en présentant des œuvres peu programmées et interprétées avec passion.

Le concert a commencé avec l’ouverture Im Herbst (En automne) d’Edvard Grieg (1843-1907). Quand le jeune Grieg termina cette ouverture en 1866, il la montra au compositeur danois Niels Gade (1817-1890), qui, mécontent, le renvoya à sa table de travail. Grieg retravailla l’orchestration et la publia vingt ans plus tard.  Im Herbst est une œuvre imagée, avec des sonorités qui rappellent la musique de Peer Gynt (1875). La direction d’Aadland inspire les musiciens de l’orchestre ; le solo pour cor est particulièrement bien exécuté.

Ce programme principalement scandinave aurait logiquement continué avec le Concerto pour violon de Sibelius, mais c’était un excellent choix de privilégier la variété plutôt que la contigüité et de programmer le Concerto pour violon en ré mineur de Robert Schumann, une œuvre plus rarement entendue. Ce concerto n’est rentré dans le répertoire que depuis un bon demi-siècle. Schumann le composa en 1853 pour le violoniste Joseph Joachim, mais Joachim (en concertation avec Brahms et Clara Schumann) jugea qu’il portait trop les traces de la maladie mentale qui emporterait le compositeur trois ans plus tard, et ils décidèrent de le cacher au public pour cent ans après la mort de Schumann. Le manuscrit du concerto fut pourtant retrouvé en 1933, à la suite d’une séance de spiritisme lors de laquelle les petites-nièces de Joachim auraient entendu la voix de Schumann leur demandant de récupérer la partition cachée. Le régime Nazi accueillit le concerto à bras ouverts, espérant qu’il détrônerait le concerto de Mendelssohn, dont les origines juives posaient problème. Ceci ne se passa pas évidemment car le concerto de Schumann est trop différent de celui de Mendelssohn : moins explicitement virtuose et plus introspectif.

Baiba Skride © Marco Borggreve
Baiba Skride © Marco Borggreve

La sonorité que la violoniste lettone Baiba Skride tire de son Stradivarius (« Yfrah Neaman » de 1724) est sombre et veloutée, ressemblant à celle d’un alto, ce qui est parfaitement adapté à ce concerto, particulièrement dans la partie lyrique au milieu du premier mouvement quand les phrases du violon, du hautbois et de la clarinette se chevauchent.  Skride joue avec une assurance technique exemplaire ; les passages en double – et triples – cordes vers la fin du premier mouvement sont impressionnants.  Le deuxième mouvement est interprété avec douceur mais intensité, dans un dialogue intime avec la mélodie syncopée du violoncelliste Thierry Amadi. Le dernier mouvement aux rythmes de Polonaise est joué assez lentement, soulignant son caractère massif et sérieux. Le concerto de Schumann n’est pas une œuvre qui met en valeur une virtuosité extravagante, mais Skride a offert un bis éblouissant, Imitazione delle Campane de Johann Paul von Westhoff (1656-1705), un petit bijou quasi-minimaliste qui démontre la rapidité de son archet et ses pianissimi sublimes.

Le concert s’est terminé avec la première symphonie de Jean Sibelius (1856-1957), composée en 1899. Cette œuvre commence d’une manière aussi insolite que dramatique : après un doux roulement de timbales, le thème principal, long et désolé, est joué par une clarinette seule. Marie-B. Barriere-Bilote a exécuté ce solo avec une grande expressivité, rendant audibles les nuances subtilement différenciées entre piano, pianissimo et pianississimo.  Aadland est un excellent interprète de cette musique, mais parfois on aurait voulu qu’il laisse un peu plus de temps pour les silences entre les parties du mouvement pour donner à la musique un caractère plus expansif. La conclusion du scherzo, en accelerando, était à couper le souffle.  Même si dans le feu de la passion certains détails étaient un peu négligés (les dernières notes de la symphonie, en pizzicato, n’étaient pas parfaitement coordonnées), le dévouement et la concentration hors du commun d’Aadland et des musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo ont rendu ce concert hautement mémorable.

 


2 juin 2017, Auditorium Rainier III, Monaco

Eivind Aadland, chef d’orchestre

Baiba Skride, violon

Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo

Edvard Grieg, ouverture Im Herbst

Robert Schumann, Concerto pour violon en ré mineur

Jean Sibelius, Symphonie n° 1

 

Jacqueline Letzter et Robert Adelson, historienne de la littérature et musicologue, sont les auteurs de nombreux livres, dont Ecrire l'opéra au féminin (Symétrie, 2017), Autographes musicaux du XIXe siècle: L’album niçois du Comte de Cessole (Acadèmia Nissarda, 2020) et Erard: a Passion for the Piano (Oxford University Press, 2021). Ils contribuent à des chroniques de concerts dans le midi de la France.

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