Le Budaspest Festival Orchestra
Le Budaspest Festival Orchestra © DR

Passionnant week-end Bartók à la Philharmonie

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Les membres du Budapest Festival Orchestra, conduits par Gábor Káli, nous ont conviés il y a quelques jours à un week-end de concerts autour de la musique de Béla Bartók à la Philharmonie.

Le programme de ces deux soirées est passionnant et très intelligemment construit. En quelques heures, toutes les facettes de la musique de Bartók sont abordées et mises en regard les unes avec les autres : les grandes œuvres savantes avec le Concerto pour orchestre et Le Mandarin merveilleux, l’art lyrique avec Le Château de Barbe-Bleue, les ouvrages à visée pédagogique et les œuvres d’essence folklorique.

Depuis sa création, le Budapest Festival Orchestra s’attache à promouvoir la musique de Bartók au-delà des frontières de la Hongrie. Les deux concerts devaient initialement être dirigés par le fondateur de l’ensemble, le chef Iván Fischer. Pour des raisons de santé, il a toutefois été remplacé par son assistant, Gábor Káli, qui fait pour l’occasion de très beaux débuts parisiens.

L’orchestre maîtrise son répertoire avec une perfection évidente. Il déploie dans les grandes pièces du répertoire (Le Mandarin merveilleux et le Concerto pour orchestre) une richesse de couleurs qui en renouvelle l’écoute : cordes denses sans être lourdes, bois scintillants avec une grande clarté, cuivres à la sonorité ronde. Les dynamiques varient sans cesse, sont soulignées sans être appuyées et sans qu’on sente jamais la moindre rupture entre des motifs perpétuellement mouvants.

On retrouve ce chatoiement orchestral dans l’opéra Le Château de Barbe-Bleue. La couleur musicale de chacune des portes est magnifiquement individualisée et le motif du sang (qu’on entend à chaque ouverture de porte) sonne avec une violence à l’intensité croissante. Hélas, on est un tout petit peu moins convaincu par les deux solistes du jour. Krisztián Cser a un timbre splendide et une voix ample. Cependant, son Barbe-Bleue est un peu univoque, presque trop uniformément sympathique et rassurant. Il manque à cette interprétation ce soupçon d’ambiguïté qui rappelle le côté effrayant du personnage dont on ne sait pas toujours s’il est le manipulateur ou le manipulé. La Judith de Ildikó Komlósi manque également un peu d’éclat. Là encore, l’évolution du personnage n’est pas aussi perceptible qu’on le souhaiterait. Les effets musicaux ménagés par la partition sont d’ailleurs souvent escamotés, jusqu’à ce contre-ut qui introduit l’ouverture de la cinquième porte, trop vite interrompu, à peine audible, privé de son impact si surprenant à la première écoute de l’œuvre.

En dehors de cette réserve toute relative, nous n’avons pour le reste du programme que des motifs de réjouissance. Ce qui pourrait passer pour du « remplissage » se révèle finalement la partie la plus excitante de ce double concert, puisqu’il présente Bartók sous son double aspect de pédagogue et d’ethnomusicologue, souvent négligé au concert.

Le gigantesque Mikrokosmos, recueil de pièces pour piano de difficulté progressive, est peut-être l’exemple le plus connu qui atteste la vocation pédagogique de Bartók. Au cours du premier concert du week-end, ce sont des extraits des Chœurs pour voix d’enfants et les Sept Chœurs avec orchestre qui nous sont présentés. Ces courtes pièces sont un ravissement de polyphonie (parfois plus complexe qu’il n’y paraît) et font entendre des voix incroyablement assurées compte tenu du jeune âge des interprètes.

Et puis il y a le Bartók « folklorique », le Bartók qui a passé de nombreuses années à découvrir le répertoire traditionnel roumain, hongrois et slovaque et en a décortiqué le langage pour nourrir son propre style de composition.

L’idée brillante de ce programme est de présenter un double couplage entre la tradition et la transcription symphonique. Les célèbres Danses populaires roumaines (dont il existe de multiples versions pour différents effectifs) sont d’abord entendues par un trio d’instruments traditionnels dont la sonorité surprend de prime abord, puis sont ensuite reprises, passées par le prisme de Bartók, par l’orchestre au grand complet. Rarement on avait senti à ce point que ces petites pièces étaient avant tout … des danses !

De même on entendra, avant les Chansons paysannes hongroises, quelques mélodies hongroises traditionnelles qui ont inspiré le compositeur. Le timbre de Márta Sebestyén, assez nasal et à l’émission haute, peut paraître déconcertant. Mais ces petites miniatures musicales finissent vite par déclencher d’imperceptibles mouvements du corps chez de nombreux spectateurs, manifestement conquis.

Conquis, nous l’étions aussi.

 


A csodálatos mandárin (Le Mandarin merveilleux)
Gyermek-és nőikarok (Chœurs pour voix d’enfants et de femmes)
Hét kórus zenekarral (Sept Chœurs avec orchestre)
Concerto zenekarra (Concerto pour orchestre)
Román népi táncok (Danses populaires roumaines)
Mag yar parasztdalok (Chansons paysannes hongroises)
A kékszakállú herceg vára (Le Château de Barbe-Bleue)

Budapest Festival Orchestra
Chœur d’enfants Cantemus de Nyíregyháza
Márta Sebestyén
Ildikó Komlósi
Krisztián Cser

Direction : Gábor Káli

30, 31 mars 2019, Philharmonie de Paris

Biberonné à la musique classique dès le plus jeune âge, j’ai découvert l’opéra à l’adolescence. En véritable boulimique passionné, je remplis mon agenda de (trop) nombreux spectacles, tout en essayant de continuer à pratiquer le piano (en amateur). Pour paraphraser Chaplin : « Une journée sans musique est une journée perdue »

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