Avant de chanter prochainement les rôles de Des Grieux et Manon en version scénique à l’Opéra de Vienne, Juan Diego Flórez et Nino Machaidze sont passés par le Théâtre des Champs-Élysées pour une unique représentation de concert. Attirés par cette double prise de rôle, on ressort malheureusement déçus par cette Manon qui ne tient pas toutes ses promesses.
A la tête du Belgian National Orchestra et du Chœur Octopus, le chef Frédéric Chaslin livre une vision de Manon assez plate. Une fois l’ouverture passée, vive, enlevée et prometteuse, le reste de l’œuvre sonne de manière très monochrome et parfois assez lourde. La partition a pourtant plus à offrir qu’un mélodrame sirupeux et regorge au contraire de quantités de jolis effets (comme ce clin d’œil à la musique du XVIIIe siècle dans l’acte du Cours-la-Reine) dont on ne peut ici goûter la pleine saveur.
Dès l’entrée du rôle-titre, on a de quoi s’inquiéter encore davantage en entendant les mots « étourdie » et « engourdie » sonner rigoureusement de la même façon. Si on croit d’abord volontiers à une erreur de texte (bien pardonnable pour une prise de rôle), la suite de la soirée confirme hélas la diction catastrophique de Nino Machaidze, qui n’aborde pourtant pas le répertoire français pour la première fois. Qu’on ne comprenne pas une seule ligne du texte de la chanteuse est une chose en soi regrettable, mais ce qui est encore plus fâcheux, c’est que cette dernière ne comprend manifestement pas non plus très bien ce qu’elle chante. Au-delà de simples erreurs textuelles, la caractérisation du personnage est ainsi complètement absente. La fausse ingénuité, la coquetterie, le regret, l’ambition, l’humour, l’amour sincère… toutes les facettes de Manon qui en font un personnage si riche (d’ailleurs abordé par plusieurs autres compositeurs) sont traitées avec les mêmes poses stéréotypées et la même absence de nuances.
Juan Diego Flórez, qui après Werther et Hoffmann, continue son exploration du répertoire français, laisse deviner qu’il pourrait être un formidable des Grieux dans des conditions plus favorables et porté par un entourage plus investi. Son français est très clair, et l’air « Ah, fuyez, douce image » est riche de nombreuses nuances, de délicatesse dans les piano et d’intelligence musicale. Toutefois, au-delà de la beauté sonore évidente, il est permis de penser que le Des Grieux de Flórez attend encore un peu d’approfondissement pour convaincre totalement.
On trouvera heureusement plus de satisfaction dans les seconds rôles. Jean-Gabriel Saint Martin a ainsi une diction remarquable et, en dépit d’un vibrato assez serré (parfois un peu envahissant) et d’un gros moment de flottement au cours du 3e acte, son Lescaut a plutôt de quoi réjouir. Dans la même veine, on admire la noblesse de ton de Marc Barrard dans le rôle très court (mais si déterminant) du Comte des Grieux ainsi que l’impeccable trio de coquettes (Jennifer Michel, Tatiana Probst et Éléonore Pancrazi) dont les interventions sont à chaque fois délicieuses. Jean-Christophe Lanièce incarne un Brétigny assez élégant bien que très retenu. Enfin, Raphaël Brémard est un Guillot de Morfontaine formidable qui ne sacrifie jamais la qualité du chant à la drôlerie ridicule du personnage.
Les autres personnages sont tenus par des membres du Chœur Octopus dont l’accent épouvantable, les problèmes de justesse, et les faux départs fréquents, ont malheureusement tendance à ruiner la crédibilité de leurs interventions.
A l’issue de cette représentation, on ne peut s’empêcher de s’interroger. Ce spectacle a-t-il bénéficié d’une préparation suffisante et d’assez de répétitions ? Toujours est-il que cette Manon est moins l’objet d’émerveillement et d’émotions que de frustration et d’ennui.