Die Meistersinger von Nürnberg
Die Meistersinger von Nürnberg © Enrico Nawrath

Les Maîtres chanteurs de Nuremberg, multiplication des Wagner au Festival de Bayreuth

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La production de Barrie Kosky des Maîtres chanteurs de Nuremberg (Die Meistersinger von Nürnberg) est assez brillante et possède de multiples couches et degrés de lecture. C’est peut-être là, d’ailleurs, son principal inconvénient puisqu’elle a l’air de s’adresser d’abord à un public d’archi-connaisseurs de la question wagnérienne.

L’action du premier acte est située à Wahnfried, résidence que Wagner a fait construire à Bayreuth en 1872, aujourd’hui transformée en musée. Dès lors, la plupart des personnages prennent l’habit de membres de la famille Wagner. Eva devient Cosima Liszt-Wagner. Logiquement, Pogner est donc Franz Liszt (le père de Cosima). Richard se retrouve dans les traits de pas moins de trois des protagonistes, David, Walther et Sachs, incarnant trois époques différentes de la vie de Wagner et trois étapes de son parcours musical. Beckmesser, incarnation grotesque de la haine de Wagner pour les artistes juifs, les français et les critiques, est quant à lui représenté sous les traits du chef d’orchestre Hermann Levi, créateur de Parsifal en 1882. Lors de la scène où il marque les erreurs de Walther, il choisira de recenser bruyamment les incartades à la règle au dos d’un portrait du maître des lieux.

 

Wagner et antisémitisme

La question du judaïsme prend une place majeure lors du finale du deuxième acte – qui semble en filiation directe avec le finale du deuxième acte des Noces de Figaro de Mozart par son effet d’accumulation et de crescendos successifs – où Beckmesser est coiffé d’une tête caricaturale et qu’un énorme ballon gonflable, représentant la même horrible caricature, occupe tout le centre de la scène. Le rapport entre Wagner et l’antisémitisme est d’autant plus souligné que l’action est déplacée dès la fin du premier acte dans la salle où a eu lieu le fameux procès de Nuremberg entre 1945 et 1946. Lors du monologue final au sujet de la grandeur et de la suprématie de l’art allemand, le décor s’échappe et laisse apparaître un grand orchestre dirigé par Sachs/Wagner. Triomphe de l’art et auto-célébration du maître.

L’ensemble de la production est assez bluffant de maîtrise et d’intelligence. Toutefois, il suppose d’être déjà très familier de la vie et des écrits de Wagner, et on verrait mal ce spectacle s’exporter ailleurs que dans le temple bayreuthien où le public est supposément à même de saisir cet enchâssement complexe de différentes époques.

 

Michael Volle domine la distribution

Dans le rôle du poète Walther, Klaus Florian Vogt semble plus en tension que dans son formidable Lohengrin. Il a même quelques soucis de justesse dans ses couplets du dernier acte, « Morgenlich leuchtend in rosigem Schein ». Il en résulte une incarnation malheureusement assez fade et monochrome. En remplacement de Camilla Nylund toujours souffrante – dans le rôle d’Eva, Emily Magee n’est guère plus convaincante. Son costume accentue une vocalité qui la rapproche davantage de la matrone que de la jeune fille. De plus, le volume de la voix, sans être complètement problématique, fait tout de même disparaître un grand nombre de consonnes. En revanche, Daniel Behle est un magnifique David et conduit avec brio la scène de l’énumération des règles de la confrérie des Maîtres-Chanteurs. Johannes Martin Kränzle est parfait en Beckmesser, subtilement ridicule sans jamais sacrifier la ligne de chant (sauf quand le rôle l’exige). Michael Volle domine nettement la distribution dans une incarnation de Sachs tout à fait idéale. Ce personnage si complexe et riche d’une grande quantité de motifs thématiques (cordonnier, poète, passeur, médiateur, homme amoureux, homme blessé, figure paternelle…) trouve en Volle un de ses meilleurs interprètes. Günther Groissböck et Wiebke Lehmkuhl complètent admirablement le casting.

Philippe Jordan, qui a déjà dirigé l’œuvre à Bayreuth ainsi qu’à Paris, propose une superbe lecture de l’ouvrage, d’une extrême lisibilité, riche de détails et maintenant un bel équilibre entre la clarté, la précision et le naturel.

 


Die Meistersinger von Nürnberg
Opéra en 3 actes de Richard Wagner
Créé en 1868 à Munich, sur un livret de Richard Wagner

Hans Sachs : Michael Volle
Veit Pogner : Günther Groissböck
Kunz Vogelgesang : Tansel Akzeybek
Konrad Nachtigal : Armin Kolarczyk
Sixtus Beckmesser : Johannes Martin Kränzle
Fritz Kothner : Daniel Schmutzhard
Balthasar Zorn : Paul Kaufmann
Ulrich Eisslinger : Christopher Kaplan
Augustin Moser : Stefan Heibach
Hermann Ortel : Ralf Lukas
Hans Schwarz : Andreas Hörl
Hans Foltz : Timo Riihonen
Walther von Stolzing : Klaus Florian Vogt
David : Daniel Behle
Eva : Emily Magee
Magdalene : Wiebke Lehmkuhl
Ein Nachtwächter : Wilhelm Schwinghammer

Chœurs et Orchestre du Festival de Bayreuth
Direction : Philippe Jordan

Mise en scène : Barrie Kosky
Scénographie : Rebecca Ringst
Costumes : Klaus Bruns
Dramaturgie : Ulrich Lenz
Lumières : Franck Evin

Palais des Festivals de Bayreuth, 31 juillet 2019

Biberonné à la musique classique dès le plus jeune âge, j’ai découvert l’opéra à l’adolescence. En véritable boulimique passionné, je remplis mon agenda de (trop) nombreux spectacles, tout en essayant de continuer à pratiquer le piano (en amateur). Pour paraphraser Chaplin : « Une journée sans musique est une journée perdue »

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