Les Rencontres Musicales de Noyers sur Serein en Bourgogne qui viennent de s’achever fêteront l’an prochain leur 30ème anniversaire. Ce festival reconnu pour son exigence et la variété de sa programmation doit aussi son succès à la qualité des classes de maître dirigées entre autres par Anne Queffélec et Olivier Charlier.
Tractée par Sirène, la jument fraîchement arrivée à Noyers et déjà célèbre, l’élégante calèche de Clémence Vinay passe au petit trot la Porte Peinte, oblique à droite vers le Pré de l’Echelle.
A son bord, confortablement assis, et tout sourire, le violoniste Olivier Charlier, l’un des professeurs éminents des Rencontres Musicales de Noyers, vient présenter le concert de ses élèves, fruit de leur travail commun tout au long d’une semaine extrêmement studieuse en dépit de la canicule.

C’est dimanche, qui plus est le 14 juillet. Le village médiéval, l’un des plus beaux de France, est en fête. Hier une retraite aux flambeaux, ce soir le bal des pompiers qui sera suivi du traditionnel feu d’artifice. Exceptionnellement, les Rencontres Musicales ont déserté ce matin l’Église Notre Dame où se tiennent la plupart des concerts, pour se produire sous le chapiteau monté pour le bal. Une foule dense, joyeuse, familiale, s’y presse déjà pour accueillir les jeunes virtuoses qui s’échauffent à quelques pas, dans le jardin du salon de thé Les Granges, où ils ont déjeuné toute la semaine et prendront tout à l’heure le repas que leur a mitonné Haude Hodanger, leur dernier en commun pour cette fois.
Dix élèves venus du monde entier
Arrivé à bon port, Olivier Charlier a laissé Sirène et Clémence et se hisse sur le podium aux côtés de Chantal Bonnard, la présidente des Rencontres depuis une décennie. Dix élèves vont se succéder en scène, brillamment soutenus par le piano irréprochable et réconfortant de Pierre-Yves Hodique, l’accompagnateur de la classe de violon. Ils sont venus du monde entier pour passer la semaine ensemble dans l’écrin préservé de ce village médiéval de Bourgogne et profiter à temps plein des leçons du maître. Violon en mains aussi souvent que nécessaire, Olivier Charlier leur a consacré toutes ses journées dans la salle du Conseil Municipal spécialement aménagée en salon de musique où se tenait cette année sa classe.
Ils sont japonais, américain, allemand, espagnol, norvégien et français. Certains sont déjà professionnels, les autres aspirent à le devenir. Dans cette confrontation au public dont ils ne sont pas encore familiers, ils n’ont rien à perdre – ce n’est pas un concours -, mais beaucoup à prouver. Ils proposent un échantillon varié des morceaux de bravoure de la littérature pour violon. Avec beaucoup de concentration et de conviction, malgré le trac, palpable pour quelques-uns.

D’abord Mozart bien sûr dont le violon fut l’autre instrument. Floriane Naboulet, puis plus tard Marie Delaunay-Quenechdu nous emmènent toutes deux dans un Allegro du concerto N°5 (K219) de bonne facture. L’allemande Léonie Trips, a préféré l’Allegro du concerto N°4 (K218) auquel elle donne un tour disons plus germanique – elle vit et travaille à Salzbourg, ville natale du divin Amadeus -. Elise Breton-Ravez nous propose un pont vers le romantisme avec le déchirant (molto appassionato) Allegro du concerto N°2 de Mendelssohn. Reika Sako et Harry Dai Liang, venus tout spécialement à Noyers préparer un prochain concours aux Etats-Unis, nous réjouissent des envolées brillantes et virtuoses du polonais Wienawski (Variations opus 15 et Polonaise n°2 en do majeur). Elodie Fargeot mène vaillamment contre et avec le piano, le combat du Scherzo de la sonate FAE (Fa-La-Mi) composé à six mains par Schumann, Dietrich et Brahms qui signe ce mouvement. Gemma Monton, espagnole de Majorque, une habituée de Noyers, joue avec beaucoup de finesse et d’inspiration la très dansante Havanaise en mi majeur opus 83 du grand Camille Saint-Saens. Marc Guilloteau nous embarque dans les bouleversantes rêveries du grand Nord avec l’Allegro du concerto opus 47 de Jean Sibelius, puis l’américaine Leah Froyd, dans les frasques du grand Est avec le 1er mouvement de la sonate N°2 de Sergueï Prokofiev.
Ovation
Quel voyage ! Que de talent ! Que d’émotion ! Que de promesses ! Le public enthousiaste a vite pris conscience qu’il vivait là un moment véritablement exceptionnel de musique, de partage et d’amitié. Il réserve une ovation à ces virtuoses en herbe qu’il a si bien accueillis – élèves comme leurs maîtres sont logés gracieusement chez l’habitant – et qui le lui rendent si bien avec ce concert dominical, gratuit et d’un niveau si relevé. Les Rencontres Musicales de Noyers portent bien leur nom.
Elodie Fargeot, la plus âgée des concertistes du jour : « Je viens ici pour la deuxième fois. L’accueil est chaleureux, familial. On est très entouré. On prend soin de nous. Et puis il y a la vie du village. Je n’avais pas vécu un 14 juillet comme celui-là depuis mon enfance à Castelnau de Montmiral. Bien sûr, je viens d’abord pour Olivier Charlier qui est un immense musicien et un grand pédagogue. Il est sérieux, investi, humble, exigeant aussi pour nous comme pour lui-même, et surtout bienveillant. J’enseigne déjà au Conservatoire de Toulon, mais on a jamais fini d’apprendre.
D’ailleurs je crois que pour être un bon pédagogue, il faut jouer, être entendu par d’autres, se remettre en question. Je fréquente assidûment la leçon des autres stagiaires. Pour moi, c’est aussi un stage de pédagogie. Il n’est pas du tout exclus que je revienne l’an prochain ! »

Les Rencontres, une saine émulation
C’est la 4ème participation consécutive d’Olivier Charlier aux Rencontres. Il en est rapidement devenu l’un des piliers. Olivier Charlier se sent bien à Noyers. L’accueil, l’architecture, et tout le reste. “La masterclasse standard, c’est plusieurs profs, plusieurs dizaines d’élèves, c’est une autre échelle qui peut avoir des avantages, mais c’est un peu l’usine. Ici, l’état d’esprit est différent. Il y a autant d’exigence, mais c’est plus individualisé, plus humain. Les stagiaires forment un vrai groupe d’un niveau assez homogène. Ils sont dans une démarche déjà très professionnelle. Il n’y a pas de compétition entre eux, mais une saine émulation. On partage beaucoup. On prend les repas ensemble. En fait on vit et travaille ensemble. Pas en vase clos. Les fenêtres sont ouvertes. La porte aussi. Tous ceux qui le veulent peuvent passer nous voir. Et puis on est immergé dans la vie du village. Les stagiaires sont chouchoutés par leurs familles d’accueil. Ils se promènent librement. On ne peut pas se perdre ici ! C’est très attrayant. Je suis très attaché à ce rendez-vous.”
Pas de bachotage à Noyers
Olivier Charlier mène de front depuis une quarantaine d’années, une carrière de concertiste, de chambriste et d’enseignant. Il a une idée bien précise de sa mission pédagogique à Noyers.” Ici, on ne fait pas de bachotage. On est là pour faire du violon ensemble, en parler, le faire parler. J’essaie d’ouvrir leurs oreilles, leurs yeux aussi pour parvenir à une meilleure lecture de la partition, pour trouver et mieux rendre le sens de la musique écrite. Et corriger certaines mauvaises habitudes. Le reste de l’année, dans les conservatoires, ils ont un cours par semaine, et le reste du temps ils jouent seuls. S’ils font une erreur, elle s’ancre. Ici, on se voit tous les jours. Dans un stage de cette intensité, ils s’imprègnent plus, ça peut sédimenter.”
Et si l’on s’étonne de le voir presque en permanence dans ses classes se saisir de son propre violon pour donner l’exemple, quand l’éloquence ne suffit plus ou que l’archet le démange, Olivier Charlier précise : “ Il faut des fondamentaux solides avant de prendre des libertés. Je ne cherche pas à leur imposer un quelconque mimétisme. Je leur fais des propositions. Ensuite, c’est à eux de créer. D’ailleurs je leur pique de temps en temps des idées.”
Surprise
La tradition des Rencontres Musicales veut que chaque professeur donne aussi un concert, seul ou avec d’autres. Cette année, Olivier Charlier avait les honneurs du concert inaugural le 12 juillet, en solo, dans la superbe petite église romane de Poilly à une quinzaine de kilomètres de Noyers. “C’est important de se produire soi-même en concert là où on enseigne, de s’exposer en somme devant le public et les élèves. C’est exigeant aussi car il faut jouer pour soi après les heures de cours.” Le programme était entièrement consacré à Bach et, entre deux passages quasi obligés, la 2ème sonate et la 2ème partita, Olivier Charlier a glissé une surprise, la transcription pour violon de la 6ème suite pour violoncelle. Pour en apprécier l’intérêt, il fallait au mélomane averti faire taire sa mémoire, cesser de chercher à toute force la somptuosité du violoncelle dans le son du violon.
Mais Olivier Charlier a suffisamment de métier et de talent pour vous ramener à l’instant présent et à sa spontanéité, et une fois cet effort accompli, non seulement cette suite au violon avait la fraîcheur d’une musique nouvelle et inouïe, mais elle entrait dans une cohérence heureuse et quasi naturelle avec le reste du programme. “Les Rencontres de Noyers sont aussi un lieu d’expérimentation. Dans cet environnement amical, on peut céder à certaines tentations sans d’emblée être exposé à un tir nourri de critiques pas toujours bienveillantes ni musicologiquement fondées. C’est stimulant et ça encourage à proposer du neuf, tout en restant accessible. Je récidiverai avec plaisir. Je reviendrai d’ailleurs volontiers à Noyers l’an prochain si on m’y invite, car j’aime aussi la fidélité qui marque ces Rencontres. Les professeurs reviennent. Les élèves reviennent. On est dans le travail en profondeur et au long cours sur une certaine idée de la musique.”

S’il est une virtuose qui incarne cette fidélité, c’est bien la pianiste Anne Queffélec. Depuis 28 ans, chaque année en juillet, la pianiste revient à Noyers “comme à la maison”. “Ici, même s’il y a beaucoup de travail, je me pose un peu”, nous confiait-elle lors d’un de ces précédents passages. “C’est comme un temps de retraite dans une vie par ailleurs trépidante et nomade. On se sent au calme, en sécurité dans ce village plein de charme loin des boulevards touristiques. Et puis il y a le Serein, cette petite rivière schubertienne qui coule tranquillement. C’est très apaisant. C’est beau. Pour tout dire, je me sens tellement chez moi que je n’ai jamais pris ni le temps ni la peine de vraiment visiter en détail”. Une partie de la saga familiale s’est aussi jouée ici. Le fils d’Anne Queffélec, Gaspard Dehaene a décidé à son tour de se lancer dans la carrière au terme d’un stage de piano conduit par Anne Billant, autre professeur des Rencontres et pilier des lieux.
Anne Queffélec est donc fidèle à Noyers et Noyers le lui rend bien. L’église Notre-Dame affiche complet à chacun de ses passages. Et les concerts de ses élèves, triés sur le volet, sont également très courus. Cette année, Anne Queffélec proposait en concert le 21 juillet, une promenade très personnelle, presque intime, dans “le jardin secret de Chopin” où le prince du piano romantique, ses Nocturnes (opus 15 et 37), Berceuse (opus 57) et Fantaisie (opus 66), côtoyait les glorieux ancêtres Bach, Scarlatti, Haendel, Mozart mais aussi deux de ses héritiers notables, Claude Debussy (Reflets dans l’Eau, Clair de Lune) et Eric Satie (Gymnopédies). Merveilleuse croisière en vérité où la subtilité des enchaînements, la délicatesse de l’interprétation, la science musicale et la sensibilité d’Anne Queffélec n’ont pas manqué d’envoûter totalement le public qui s’est bien gardé d’applaudir, comme la pianiste le lui avait demandé, avant d’arriver, presque à regret, à bon port. Un pur moment de grâce.
Une certaine sérénité
“J’aime énormément cette église, cinq fois centenaire, je crois. Jouer dans des lieux historiques, qui ne sont pas conçus à priori pour ça, mais qui sont beaux, qui ont un vécu, qui sont chargés d’humanité, c’est porteur, c’est rassurant, c’est inspirant. Il y a une forme de paix dans ces lieux-là. Le public aussi est différent. C’est un temps estival, un temps de vacances. Les spectateurs sont plus disponibles, plus détendus. Ils viennent dans ces festivals avec les oreilles un peu plus ouvertes. Ils sont plus proches de la nature dans la journée. Et tout ça, ça contribue à une certaine sérénité.
A l’issue du concert, Anne Queffélec, selon son habitude, remercie le public pour la qualité de son silence et de son écoute. Elle conclut son bis (Satie), toujours selon son habitude, en rabattant le couvercle du Steinway qu’elle gratifie d’une caresse. Une intense semaine de cours l’attend pendant laquelle, des fenêtres de toutes les maisons du village disposant d’un piano, vont ruisseler les torrents de notes rafraîchissantes déversés sur les passants par les virtuoses de demain.
