Jusqu’au dimanche 14 avril, le Théâtre des Bouffes du Nord propose Zauberland (le pays enchanté), une rencontre avec Dichterliebe de Schumann. Intéressante mise en perspective, tout en sobriété, entre la musique du compositeur allemand et celle de Bernard Foccroulle, mais aussi entre les textes de Heinrich Heine et Martin Crimp, sur fond de crise migratoire, orchestrée méticuleusement par Katie Mitchell. Julie Bullock incarne une héroïne convaincante.
Quel défi de mettre en regard les romantiques Dichterliebe de Schumann sur des poèmes de Heinrich Heine et une partition de l’organiste ex-directeur du Festival d’Aix-en-Provence Bernard Foccroulle sur un texte de l’auteur anglais Martin Crimp ! 19 nouvelles compositions viennent ainsi s’intercaler et prolonger les 16 lieder de Schumann, afin de faire dialoguer le romantisme allemand du XIX° avec la cruelle crise migratoire que connaît l’Europe. La soprano Julie Bullock y incarne une jeune femme enceinte ayant quitté le Proche-Orient, Alep en l’occurrence, pour rejoindre l’Allemagne. Elle trouve refuge à Cologne, y devient mère et laisse derrière elle en Syrie mari et enfants. Avant la mort de son époux elle entame un voyage onirique tissé des Dichterliebe de Schumann où vont ressurgir traumatismes et souvenirs heureux.
Elle est accompagnée dans cette aventure par le pianiste Cédric Tiberghien dans une mise en scène on ne peut plus sobre. 9 abat-jours noirs quadrillent le plafond, placés eux-mêmes sous des lignes de néons blanc. Le vide de l’avant scène éloigne malheureusement le public de l’action.

Situés dans la pénombre de l’arrière-scène uniquement, les protagonistes de cette fresque aux accents opératiques naviguent lentement. L’idiome de la metteure en scène Katie Mitchell se retrouve à travers ces déplacements qui seront récurrents jusqu’à la fin du spectacle, tout comme la réapparition systématique du mari mort. Par contre, lorsqu’il s’agit d’habiller ou déshabiller la chanteuse en fonction des situations, les mouvements des comédiens Ben Clifford, Natasha Kafka, David Rawlins et Raphael Zari se font cette fois-ci au pas de course. Les allées et venues rythment le spectacle et font office d’articulations entre les parties de Zauberland.
Les acteurs interviennent aussi pour figurer les voyages en train (avec une lampe torche et une fenêtre sur roues), toujours précisément et discrètement, au service du texte et de la dramaturgie. Rien de grandiloquent dans les effets scéniques, mais souvent un regard poétique ou cruel. De simples traînées de poudre descendent du ciel pour simuler les bombes, des poupées Barbie prisonnières de cages en verre sont les tristes allégories d’une vie passée…
Le pianiste Cédric Tiberghien défend avec passion la musique de Schumann et Foccroulle. L’univers de ce dernier cohabite habilement avec la profondeur schumannienne dans une parfaite cohérence harmonique. Foccroulle, entre passages aériens captivants et déferlements impétueux, réussit à transcrire les états d’âme de cette femme blessée par sa vie de migrante. Quant à la soprano Julie Bullock, aussi à l’aise dans les deux répertoires, elle sert avec lisibilité et persuasion les textes allemands et anglais. Sa voix d’une justesse irréprochable tout au long de la pièce en fait une héroïne à la hauteur des enjeux.
Même s’il est vrai que la récurrence de certaines situations dans la mise en scène peut finir par lasser le spectateur, le message politique humaniste et la qualité musicale de cette production mérite largement le détour. Encore deux dates !