Vendredi 12 avril à Radio France, l’orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Myung Whun Chung donnait une 6e Symphonie de Bruckner généreuse et souveraine, précédée du concerto pour violon de Dutilleux, l’Arbre des Songes, avec Leonidas Kavakos au violon, qui en a livré ce soir-là, une version de référence.
L’Arbre des Songes, le concerto pour violon et orchestre d’Henri Dutilleux, faisait un grand retour à la maison ronde. Composé en 1980 sur une commande de Radio France justement, cette pièce se développe en quatre mouvements démarqués par des interludes, sans pause. Elle est une métaphore de l’arbre qui bourgeonne et se déploie en une vaste orchestration vers un final fougueux et intense avec une coda lumineuse. Le violon soliste en lien étroit avec la partie orchestrale, développe un chant qui s’entremêle aux « branches » de l’orchestre, dont la variété des timbres est augmentée par l’emploi de claviers (piano, célesta, vibraphone), de la harpe, des crotales, mais aussi d’autres sonorités rares comme le hautbois d’amour et le cymbalum. C’est un effectif très copieux que Chung fait scintiller de mille couleurs.
Au violon, Leonidas Kavakos, bien qu’il garde la partition sous les yeux, est en pleine maîtrise de ses moyens et de l’œuvre. Velouté du timbre, précision des attaques, se jouant avec brio des difficultés techniques, justesse, nuance et cohérence du discours … C’est une version de référence qu’il a livrée : de celles qui peuvent être étudiées et scrutées par les étudiants violonistes, mais qui constitue aussi une merveilleuse introduction à la musique de Dutilleux pour les néophytes, tout comme une énorme satisfaction pour les connaisseurs de l’œuvre.
Sans surprise, il est généreusement ovationné, et après plusieurs rappels, Kavakos saluant une dernière fois le public, saisit la partition et la brandit haut à la vue de tous, comme pour signifier que le vrai maître est le compositeur. Un hommage émouvant à Dutilleux, avec lequel il a travaillé cette œuvre et pour lequel il a visiblement non seulement du respect, mais aussi de l’affection.
Noblesse de la 6e Symphonie de Bruckner
L’autre retour attendu était celui de Chung à la tête de l’Orchestre Philharmonique. Il était déjà venu en janvier dans un programme Tchaïkovsky, mais cette fois c’est Bruckner qu’il mettait sur la table. Et plus précisément, la 6e Symphonie surnommée « die Keckste » – la plus effrontée, de 1880, une des plus courtes d’Anton Bruckner (50 mn environ) et une des seules qu’il n’ait pas retouchée. Comme souvent chez Bruckner, l’effectif de l’orchestre est considérable. Et pourtant, ce soir là, il n’aura jamais été pesant.
Aux différents pupitres, Levionnois, Gaugué, Macarez, Mosnier, Doise, Baldeyrou, Duquesnoy, Ganaye, Baty, Dreyfuss, Gengembre … Tous les briscards de l’orchestre sont au rendez-vous de ces retrouvailles avec le maître prodigue qui a su porter leur orchestre si loin. Seule la jeune violon solo Ji Yoon Park, qui se mêle admirablement dans cet ensemble de haut vol, est relativement nouvelle.
Ensemble, ils vont livrer un premier mouvement tout en grandeur et majesté, qui évolue par blocs de timbres, développant un son ample et généreux sans brusquerie. Les cuivres présents tout au long de l’œuvre jouent avec magnificence, on sent l’admiration de Bruckner pour Wagner, tandis que les cordes, particulièrement animées ce soir, alternent vigueur et poésie avec pureté.
A leur tête, Chung dirigeant sereinement par cœur, fait chatoyer les nuances de cette monumentale symphonie. Sa direction minimaliste contraste singulièrement avec l’amplitude sonore qu’il insuffle à l’orchestre. Il lui suffit d’ouvrir les bras pour que l’orchestre entier sonne dans un crescendo glorieux. Satisfait, tout juste hoche-t-il discrètement de la tête en approbation à ses musiciens. Puis simplement en refermant les doigts d’une main, il obtient un decrescendo vertigineux. On comprend qu’à ce niveau de maîtrise technique, de compréhension musicale, de connaissance précise de l’œuvre, un chef n’a en réalité plus besoin de partition, plus besoin de gestes emphatiques… En amont, il a préparé chaque entrée avec les musiciens qui lui font entière confiance, il a construit avec eux le son recherché, l’architecture, le phrasé. Dès lors, au concert, dépouillé de toute préoccupation technique ou pratique, il est libre de se concentrer sur l’essence de l’œuvre. Et on accède alors à quelque chose de très beau, loin des clichés sur Bruckner.
L’adagio atteint ainsi un sommet de beauté émouvante. D’ailleurs, Chung, conscient de l’effet produit, laisse quelques instants au public pour se ressaisir avant de reprendre sur un troisième mouvement vif, un scherzo enjoué, sans vaine précipitation. Jusqu’au bout, les tempi du Maestro permettent au son de se développer largement, sans jamais tomber dans une langueur ennuyeuse. Et ainsi le final, énoncé avec une maîtrise hors du commun, révèle la vaste architecture de l’œuvre et rayonne puissamment jusque dans les bravos du public qui s’en font écho.
Le concert, retransmis en direct sur France Musique, est disponible en podcast sur le site de France Musique. L’enregistrement perd probablement la sensation spatiale du son dans la symphonie, ce côté enveloppant, particulièrement agréable dans cet auditorium de Radio France, mais cela vaut bien une écoute, ne serait-ce que pour la version de référence du concerto de Dutilleux.