L’Opéra national des Pays-Bas présente une nouvelle production de Tannhäuser, mise en scène par Christof Loy et dirigée par Marc Albrecht, avec Daniel Kirch, Svetlana Aksenova, Ekaterina Gubanova et Stephen Milling.
Dès la première à Dresde, en passant par Paris et Vienne (1876) Wagner révise Tannhäuser à plusieurs reprises, sans jamais en arriver à une version le satisfaisant totalement.
L’Opéra national néerlandais présente la version viennoise, la plus jouée (également à Bayreuth), dans une mise en scène signée Christof Loy.
Dans cette production, le metteur en scène allemand, fait référence à une des performances de Tannhäuser les plus controversées : celle de Paris de 1861.
Tannhäuser à Paris
Invité à amener Tannhäuser dans la capitale culturelle de l’Europe, Richard Wagner avait tout mis en oeuvre pour assurer le succès de son opéra : la musique avait été révisée, les décors conçus par trois artistes parmi les plus célèbres de leur temps et 164 répétitions avaient eu lieu jusqu’à la première.
Hélas, le Tannhäuser parisien fut un fiasco.
Cela ne tint aucunement à des raisons artistiques, mais à la superficialité d’un club d’aristocrates qui faisait la pluie et le beau temps à l’Opéra de Paris. Selon les conventions du Grand Opéra au XIXème siècle, un ballet devait être intégré aux opéras et il était d’habitude placé au deuxième acte, pour que les membres du Jockey club puissent y assister après leur dîner.
Wagner, qui déjà n’était pas un grand amateur de ballet, la plaça au début du premier acte — endroit le plus logique d’un point de vue narratif — en entraînant la colère des membres du Jockey Club. Ayant raté leurs ballerines bien-aimées, une des raisons principales de leur présence en salle, ils perturbèrent les représentations à tel point que Wagner fut obligé de retirer l’opéra, après seulement trois représentations.
Une question de point de vue
La scène imaginée par Christophe Loy, évoque donc ce contexte en représentant le foyer de la danse de l’Opéra Le Peletier, tel qu’on le retrouve dans les tableaux de Degas. C’est ici qui se déroule toute l’intrigue, du Venusberg à Wartbourg, car le metteur en scène conçoit les deux univers comme un seul.
Le monde du plaisir charnel et de Vénus, et celui d’Elisabeth, personnification de l’amour pur, sont, selon lui, uniquement des projections d’une perspective masculine.
L’hypocrisie est parfaitement dépeinte sur scène : le prélude à la bacchanale est identique à l’arrivée des invités au Château de la Wartbourg, sauf dans l’attitude des hommes; qui se comportent en prédateurs se croyant tout permis dans le premier acte et en gentlemen pieux dans le deuxième. A côté de la domination patriarcale, qui relègue la femme au statut d’épouse (frigide) et mère de famille ou de libertine; on retrouve celle de classe, où les danseuses, à l’époque toutes issues de milieux populaires, doivent accepter les avances de ces hommes riches et puissants, pour ne pas perdre leur emploi.



Des personnages convaincants
A ses débuts dans le rôle, qu’elle reprendra à Bayreuth, Ekaterina Gubanova incarne une Vénus à la voix sensuelle, puissante et riche en vibrato. De son côté, Svetlana Aksenova, à la voix limpide et à l’émission précise, est une excellente Elisabeth.
Cette femme vertueuse mais aussi humaine, comprend et partage les désirs de Tannhäuser et se sacrifie pour lui.
Comme d’habitude chez Wagner, pour que l’homme trouve la rédemption, il faut que la femme périsse. Et cette fois pour rien, car cette production se termine avec un retour à l’excès où, juste après le pardon du Pape, tout le monde s’adonne à une orgie sans fin.
Le Tannhäuser de Daniel Kirch, en quête d’amour et de luxure est un homme plus dérangé qu’héroïque et cela ne fait que souligner que les vraies protagonistes ici sont les deux femmes. Björn Bürger est un magnifique Wolfram, dont les lignes vocales solides et élégantes dessinent l’image d’un homme conscient et authentique, contrairement au reste du Jockey Club. Le wagnérien Stephen Milling, que l’on avait beaucoup apprécié à Bayreuth dans le rôle de Hagen, se démarque par un Landgraf Hermann solide et puissant, qui reviendra aussi au temple wagnérien cet été.
La belle découverte de la soirée a été Julietta Aleksanyan, dans le rôle du jeune berger, ici une femme de chambre. La jeune soprano arménienne, lauréate du programme Dutch National Opera Studio, nous offre un bref mais intense moment musical, où sa voix pure et propre resplendit dans la salle, a cappella.
Nous remarquons également le touchant choeur de l’Opéra national des Pays-bas et l’éloquence de l’orchestre dirigé par Marc Albrecht, qui nous donne souvent envie de fermer les yeux et nous laisser porter par la musique.