Gabriel Fumet
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“La musique du Silence ou la dynastie des Fumet” : entretien avec Gabriel Fumet

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La musique du Silence ou la dynastie des Fumet constitue un livre passionnant édité chez Delatour. Il nous fait traverser le XXe siècle au travers d’une famille de musiciens hors du commun, les Fumet. Nous avons rencontré Gabriel Fumet.

 

Injustement oubliés, les compositeurs Dynam-Victor Fumet, (1867-1949) et son fils Raphaël Fumet,(1898-1979) font l’objet d’un grand engouement chez ceux qui croisent leur musique. Cet ouvrage accompagné d’un CD est l’occasion de découvrir ces riches personnalités.

 

Ce livre est superbe, un bouquet d’allusions ! La musique du Silence ou la dynastie des Fumet, pourquoi ?

Mon grand-père Dynam Victor Fumet et son fils Stanislas avaient fondé une revue dont le titre, Les échos du Silence, était par lui-même significatif. Elle faisait probablement suite à celle créée par Stanislas, La Forge, à l’âge de 15 ans… Mon grand-père Dynam souffrait probablement de l’incompréhension des institutions et du public en général à l’égard de sa musique et espérait par ce moyen s’expliquer sur sa création. Doué d’un don d’improvisation qui confinait au génie (Bernard Gavoty) il séduisait les foules et beaucoup d’artistes et de poètes et non des moindres comme Verlaine par exemple qu’il tutoyait. Pour sa musique écrite il était en revanche d’une exigence telle que le public et les interprètes ne le suivaient pas toujours à cette époque très conformiste…

Dynam Fumet (1867-1949) se lia à Jean Grave (1854-1939), Louise Michel (1830-1905), Pierre Kropotkine (1842-1921), les trois étant mentionnés dans votre livre. Sait-on dans quelles conditions il eut des contacts avec ces trois personnages ?

Dynam-Victor Fumet était doué d’un charisme exceptionnel et ce n’est pas pour rien que ses condisciples au Conservatoire l’avait surnommé Dynam. Il possédait en plus des dons extraordinaires d’improvisateur au piano et à l’orgue qui fascinaient ses auditeurs. Curieux de tout, à l’exception de ce qui détermine la carrière musicale il ne tarda pas à se lier avec les milieux anarchistes de son temps étant lui-même d’une nature naturellement révolté après avoir vécu dans son enfance l’autoritarisme exacerbé de son père. Il composa même un hymne que ses amis anarchistes beuglaient dans leurs assemblées. Après s’être lié à Jean Grave, Louise Michel, Pierre Kropotkine qu’il eut la chance de côtoyer il ne tarda pas à s’en éloigner plus ou moins indisposé par certains éléments peu intéressants. Il les quitta donc, non sans correspondre longtemps à leur critique de la société dont certaines injustices, écrasements et misères lui étaient insupportables.

Pouvez-vous évoquer vos réflexions sur l’apprentissage passif à l’oreille de la musique ?

Effectivement lorsqu’un jeune enfant est bercé dans un contexte musical hors pair où il entend  les chefs-d’œuvre du répertoire pour le piano et les sommets de la musique pour l’opéra ou l’orchestre joués par un musicien transcendant (mon père en l’occurrence) il se peut qu’il ait quelques difficultés à s’accrocher aux propositions peu enthousiasmantes d’une leçon de solfège… En ce qui me concerne ce phénomène m’a particulièrement affecté et n’a pas simplifié mon apprentissage musical. Très impressionné par le talent exceptionnel de mon père j’envisageais la musique sur un plan très large, beaucoup plus chargé de poésie qu’un simple recueil de solfège, ce qui ne faisait qu’alourdir mon initiation pédagogique.

Vous mentionnez votre émotion procurée par la lecture du roman Tristan et Isolde. Pouvez-vous nous en parler ?

Effectivement cela a été un grand choc pour moi bien qu’étant encore enfant et a eu une influence désastreuse sur ma future vie sentimentale en idéalisant l’amour hors de toute limite. Mon grand-père Dynam-Victor Fumet a écrit une œuvre pour orchestre dont le titre à lui seul explique tout : « Notre mirage, notre douleur… » Très longtemps je me suis laissé envahir par des sentiments exaltés pour des êtres dont je n’envisageais pas la réalité, tout obsédé que j’étais par mon rêve excluant tout ce qui ne s’y rapportait pas… cela explique sans doute une certaine solitude qui continue à m’habiter.

Comment expliquez-vous l’aveuglement des critiques officiels pour certains compositeurs de grande valeur et volontairement ignorés ?

Vous connaissez sans doute les âpres difficultés dans lesquelles se débattent la plupart des acteurs musicaux, qu’ils soient interprètes, compositeurs ou même critiques. Devant tant d’obstacles de tous ordres doublés de celle d’une concurrence redoutable il est recommandé d’être très prudent voire même d’un opportunisme systématique si l’on veut survivre dans ce contexte peu propice au déploiement d’une carrière artistique digne de ce nom. Cela dit, le métier d’artiste a toujours été difficile même aux époques où les lois de l’esthétique restaient immuables ce qui évidemment maintenaient une certaine cohérence dans la création. La difficulté pour la plupart des cas est de pouvoir concilier une force de caractère indomptable à l’ingénuité d’une inspiration pas toujours compatible avec cette même force. Combien d’artistes surdoués n’ont pu s’épanouir dans ce contexte âpre et dur de la création d’une carrière ?

Gabriel Fumet
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Vous évoquez l’Ermitage de Pompadour à Fontainebleau et votre rencontre avec Natalie de Noailles ? Que vous ont apporté vos relations musicales avec cette personnalité ?

Un de mes amis, Dominique Ponnau (ancien Directeur de l’Ecole du Louvre) tint à me présenter à un de ses amis proches, François Michel (historien de la musique), habitant à Fleury en Bière une ravissante maison où trônait deux grands Steinway qui lui permettaient de démontrer son immense talent de lecteur de partitions aux musiciens qu’il rencontrait, principalement des pianistes, dont certains très célèbres à l’époque comme Jean Bernard Pommier où même des compositeurs comme Pierre Boulez et parfois même Igor Stravinsky lui-même etc… Nous arrivâmes donc chez lui vers midi et il nous emmena immédiatement déjeuner à Fontainebleau chez Natalie de Noailles à l’Ermitage de Pompadour. Presque adossé au château de Fontainebleau cette propriété avait été commandée au 18ème siècle à l’architecte Gabriel qui en avait fait un « ermitage » (de quarante pièces tout de même…) selon le désir souverain de Madame de Pompadour qui régnait à l’époque. J’ai tout de suite été séduit par Natalie qui avait la passion des animaux que j’ai toujours partagée… En effet une quinzaine de chats se prélassaient dans des fauteuils Louis xv de toute beauté ainsi que de nombreux chiens qui se disputaient l’amour de leur maîtresse – le tout au milieu d’une fabuleuse collection de tableaux et de divers objets d’art à faire pâlir d’envie certains musées…

La sympathie qu’elle me porta immédiatement fut également réciproque en ce qui me concerne.

La sympathie qu’elle me porta immédiatement fut également réciproque en ce qui me concerne. Le temps passa jusqu’au moment où elle me demanda de lui trouver un clavecin, ce que je fis avec plaisir et me permis de donner de nombreux concerts avec mon partenaire de l’époque Richard Siegel avec un succès toujours renouvelé. Elle me demanda aussi de lui organiser des séries de concerts où je fis venir des pianistes de ma génération comme Alain Planès ou Bruno Rigutto ainsi que des quatuors à cordes comme celui de Via Nova ou celui de Budapest, etc… Lors de ces concerts j’arrivais toujours à introduire dans le programme des œuvres de mes ancêtres, ce qui me remplissait de joie.

Lors de ces concerts j’arrivais toujours à introduire dans le programme des œuvres de mes ancêtres, ce qui me remplissait de joie.

Natalie était un être très particulier à la fois fantasque et imprévisible montant tous les jours à cheval où elle faisait de nombreuses chutes parfois même avec comas, ce qui n’arrangeait pas une mémoire défaillante provoquée quelques années plutôt par une chute très grave qui l’avait laissée paralysée pendant de longs mois et dont certaines personnes de son entourage profitaient lâchement. Elle avait été une écuyère renommée et ne s’était jamais résignée à stopper l’équitation qui était sa vie. Fille de Marie Laure de Noailles (célèbre égérie du XX° siècle) elle en avait hérité certaines originalités pas toujours faciles à gérer. C’est égal, c’est la seule personne qui m’ait aidé sans la moindre réticence ni suspicion dans ma singulière démarche en ce qui concerne mes ancêtres compositeurs et je lui en serai reconnaissant toute ma vie…

Comment résumer l’esthétique musicale de votre grand-père et de votre père ?

Dynam-Victor Fumet apparaît comme un compositeur dont le fonds musical prend sa source dans une atmosphère mystique comme beaucoup de compositeurs à commencer par le grand Jean-Sébastien Bach, et bien sûr son maître César Franck. Cela lui a probablement nui à une époque où l’intelligentsia se revendiquait d’un athéisme pur et dur. Cela dit son art se justifie tout naturellement par sa science qu’il met au service de sa foi sans jamais utiliser cette même foi à des fins de justification musicale. On peut dire la même chose de son fils Raphaël Fumet.

Aujourd’hui, où peut-on entendre jouer l’œuvre de votre grand-père Dynam Fumet, et de votre père, Raphaël Fumet ?

Je dois le dire avec une certaine tristesse : nulle part – mis à part les CD, tous de premier ordre, que j’ai pu réaliser avec des interprètes de très haut niveau. Il règne actuellement dans le milieu musical un conformisme de bon aloi qui tend à éviter tout écart susceptible de remettre en cause l’avant-gardisme officiel qui exclut tout ce qui pourrait le contester en brandissant un drapeau historique qu’il s’est indûment approprié. Il y a aussi l’extrême difficulté de trouver un créneau dans cet extraordinaire empilement de chefs-d’œuvre, du moyen âge à nos jours, qui pour la première fois dans l’histoire de l’art remet en cause la spontanéité naturelle de la création.

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