Classicagenda a rencontré la pianiste Lise de la Salle à Bucarest, à l’occasion du dernier Festival George Enescu.
Intégrale des concertos de Rachmaninoff, Liszt, Ravel… Ces œuvres de difficultés redoutables constituent la discographie de la jeune pianiste virtuose. On trouve Lise de la Salle habituellement dans des récitals et des grands concertos. La voilà au dernier Festival George Enescu pour y interpréter la 3e sonate du compositeur roumain, ce qui était une belle manière de lui rendre hommage. La pianiste française s’est produite également en formation de chambre aux côtés des musiciens du Quatuor Danel. Le public de Bucarest se souvient de leur interprétation du Quintette de César Franck dans une belle adrénaline foisonnante.
Votre précédente venue au Festival Enescu date de quand ? Et quelles sont les œuvres jouées ?
C’était il y a quelques années, je ne me souviens plus en quelle année exactement… j’ai joué le Concerto en Sol de Maurice Ravel. Cette année le festival m’a demandé de jouer une des sonates de Enescu. La 3e sonate est une très belle oeuvre singulière de forme classique en 3 mouvements.
Quels sont les caractéristiques de la 3e Sonate de Enescu ?
C’est une pièce très complexe qui contient des aspects folkloriques. Je me suis d’abord imprégnée de la musique. Enescu l’a composée dans un moment grave de sa vie. C’est une période noire où il s’occupait de sa femme qui était en dépression. Le seul moyen pour lui de retrouver la lumière était de composer ; la sonate est joyeuse et pleine de vie dans les 2 mouvements extérieurs et le 2e mouvement est en revanche très aérien et lumineux, ce qui rappelle un peu Ravel.



Vous menez une carrière essentiellement comme soliste. Cette fois-ci vous êtes chambriste dans une partie du programme. Comment est né le projet avec le Quatuor Danel ?
Nous nous sommes rencontrés pour la première fois dans un festival en Norvège, c’était un coup de cœur à la fois musical et humain. Depuis nous jouons ensemble malgré le Bad Luck que nous avons connu ces derniers temps (difficultés circonstancielles avant et après le Covid 19). Pour moi il y a deux conditions essentielles pour jouer en musique de chambre : c’est l’entente humaine et artistique. Quand on est au piano on peut tout faire, il existe beaucoup de répertoire. J’adore la musique de chambre, mais je n’en fais pas beaucoup. Donc je choisis vraiment les œuvres et les gens avec qui je joue.
[…] il y a deux conditions essentielles pour jouer en musique de chambre : c’est l’entente humaine et artistique.
En tant qu’auditrice, quelle époque et quels compositeurs vous parlent le plus ?
J’aime beaucoup le romantique tardif ; Brahms, Bruckner, Mahler, Strauss. J’aime sentir les vibrations des orchestres dans leurs symphonies, et des opéras aussi.
Nous vous entendrions bien dans les oeuvres de Scriabine. Qu’en dites-vous ? Et le domaine de l’improvisation est-il le vôtre ?
Beaucoup de gens me disent cela. J’adore ses œuvres ; Vers la flamme, Poème de l’Extase. Je n’ai pas encore croisé sa route pour l’instant.
Quant à l’improvisation, j’ai fait des projets de collaboration. Mais ce n’était pas une improvisation à proprement dit. Ça reste dans un cadre défini, organisé et écrit. Mes amis jazzmans qui font de l’improvisation me fascinent.
« When do we dance ? » ainsi s’intitule votre dernier album. Qu’est-ce que ça évoque ?
En gros c’est un siècle, un tour du monde et des danses. Comme c’est une thématique très large j’ai fait le choix de me concentrer sur une durée limitée ; je pars de la fin du 19e pour arriver à la fin du 20e siècle. Il y a une telle diversité de couleurs et tellement d’émotions. A chaque fois que l’on se ballade, il y a ce côté festif, très intense, de la danse. La danse m’a toujours fascinée, ce rapport au corps, au rythme, à la pulsation et au mouvement. Que ce soit dans mon travail de musique ou dans la vie, je pense que le mouvement est absolument essentiel car si on reste figé on perd tout. C’est un disque qui inclut Ravel, en passant par Piazzolla, Bartôk et Rachmaninoff et qui finit avec Art Tatum.



Qu’est ce qui a changé dans votre vie d’artiste depuis le Covid 19 ?
La pandémie nous a privé de tout. C’est très difficile de ne plus avoir de possibilité de s’exprimer en tant qu’artiste. L’expression artistique est notre oxygène. Donc humainement et artistiquement c’était une période noire. D’ailleurs la pandémie continue à nous perturber. J’ai encore des annulations pour octobre et novembre ; ma tournée en grand festival en Chine est annulée, mes nombreux concerts prévus aux Etats-Unis sont aussi annulés… on vit encore les conséquences de la pandémie. Mais ce que je veux retenir c’est la joie et la ferveur que l’on ressent en tant qu’artiste et aussi côté public. Être enfin réunis, c’est une magie et une beauté à nouveau partagées. On réalise à quel point c’est précieux et à quel point on a besoin du partage. La vie sans ces moments-là perd énormément de sa saveur. C’est là où on se rend compte que pour les arts vivants tels que la danse, le théâtre et la musique, on aura beau essayer les meilleurs enregistrements, les meilleures captations ou les meilleurs streamings, on n’aura jamais la magie, l’effervescence et la vibration du fait d’être ensemble. Ce qui me touche beaucoup, c’est la chaleur humaine.