Fraichement nommée, l’étoile du Ballet de l’Opéra de Paris Sae Eun Park nous dévoile les différentes facettes de Juliette, sur la musique poignante et palpitante de Sergueï Prokofiev. Elle évoque également sa vocation de danseuse.



Sae Eun Park, vous venez d’être nommée étoile du Ballet de l’Opéra de Paris, juste après la représentation d’ouverture de « Roméo et Juliette » en juin dernier. Qu’avez-vous ressenti après la nomination ?
L’ouverture du 10 juin dernier avec le ballet « Roméo et Juliette » était d’autant plus importante qu’il s’agissait du premier ballet pour le retour sur scène de l’Opéra de Paris après une longue absence d’un an et demi due à la pandémie, précédée des grèves. Ma première scène du « Roméo et Juliette » était prévue le 16 juin normalement. C’était en effet un remplacement au pied levé suite à une blessure d’un couple de danseurs prévus pour l’ouverture.
A ce moment précis, ma nomination n’était pas ma préoccupation. Mon esprit était occupé uniquement par mon rôle de Juliette, j’étais complètement habitée par ce rôle. J’ai commencé à me rendre compte que j’étais devenue une danseuse étoile seulement après, quand j’ai reçu des messages de félicitations interminables…



Vous avez assuré 4 représentations cette fois-ci. A chaque fois votre Juliette évolue ?
A chaque scène, ma Juliette est différente bien sûr. Mon interprétation évolue tant sur le plan technique que sur le plan théâtral. Mon corps trouve une légèreté et une souplesse au fur et à mesure. Tellement habitée par le rôle de la protagoniste, je deviens Juliette immédiatement sur scène sans y réfléchir. Auparavant, je mettais beaucoup d’importance sur les expressions du visage pour jouer un rôle. Ça a changé depuis mon dernier rôle de Juliette grâce à Elisabeth Maurin et Claude De Vulpian, mes deux professeures au sein du Ballet de l’Opéra de Paris.
A chaque scène, ma Juliette est différente bien sûr.
Joie, tristesse, fureur il y a tant de choses à exprimer sur scène. Comment les danseurs et danseuses apprennent à gérer les aspects théâtrales ?
Les danseurs doivent utiliser les expressions corporelles plutôt que celles du visage pour exprimer les différents sentiments humains.



Musicalité, sens théâtral, talent et conditions corporelles, tels sont les éléments exigés pour être un.e bon.ne danseur.seuse. Hormis ceux-ci, qu’est-ce qui fait un.e bon.ne danseur.seuse ?
Tous ceux que vous avez cités sont importants bien évidemment. C’est tout de même le sens du travail qui est le plus important, je dirais. Le talent sans travail n’a pas de sens car rien ne vient sans peine. Le talent est une facilité qui doit être entretenue sans cesse. Il est important de connaître soi-même ; ses propres qualités, ses défauts, ses capacités, ses limites… Le travail sur soi-même est sans fin.
Le talent sans travail n’a pas de sens car rien ne vient sans peine.
Enfant, qu’est-ce que vous vouliez devenir ? Y-a-t-il quelqu’un dans votre famille qui vous a mené vers cette voie de danseuse ?
J’ai commencé sérieusement la danse classique quand j’avais 10 ans. Avant cet âge j’allais à l’école de danse pour passer du temps de loisir avec des amis plutôt que pour apprendre la danse. Mon goût du travail s’est développé à partir de ce moment-là. Mon père est un grand mélomane de musique classique et ma mère est pianiste. Il y avait toujours de la musique dans ma famille. J’ai donc grandi baignée dans la musique classique. Je me rappelle encore maintenant que toute ma famille se levait avec la 5e symphonie de Beethoven.
Vous avez gagné plusieurs concours internationaux. Lequel vous a marqué le plus ?
Le concours Varna de Bulgarie auquel j’ai participé en 2010 reste inoubliable. J’y ai gagné la médaille d’or. Parmi les gagnants des autres années, nombreux sont les danseurs du Ballet de l’Opéra de Paris. Le concours de ballet le plus vieux du monde est réputé tant pour sa tradition et sa scène extérieure splendide que pour ses conditions extrêmement difficiles, voire déplorables. Les répétitions ont lieu dans des endroits qui ne sont pas prévus pour le ballet, par exemple dans un terrain de basketball ou un endroit doté d’un parquet glissant qui peut être dangereux… Les épreuves avant le concours sont déjà très difficiles, dans des conditions rudes.



Vous êtes entrée comme Surnuméraire dans le Ballet de l’Opéra de Paris en 2011 et êtes devenue Étoile en juin dernier en gravissant tous les échelons ; Coryphée (2013), Sujet (2014), Première Danseuse (2017). En quoi le système de promotion du Ballet de l’Opéra de Paris est-il différent de ceux des autres troupes étrangères ?
A l’Opéra de Paris, les promotions sont soumises aux épreuves en public. C’est ce qui différencie le système de Paris de ceux des ballets des autres pays qui décident la promotion par l’unique décision du directeur. Chaque candidat doit préparer deux œuvres. Les épreuves ont lieu à Garnier en présence d’un comité de 10 jurés qui décident la promotion. Ce système de promotion ouvert à tous est complètement démocratique. En revanche les danseurs sont obligés de soigner leur travail sur toute l’année.
Une certaine aura de tragédienne se dégage naturellement de vos expressions corporelle et du visage. Sae Eun Park dans la peau de Juliette semble évidente. Qu’en pensez-vous ?
Moi-même, j’ai été très surprise d’apprendre ma distribution en tant que Juliette.
Mon caractère étant plutôt réservé, je me demandais si je pouvais arriver à assumer ce rôle.
J’avais une certaine image de Juliette : une jeune fille blonde aux yeux bleus, mature et élégante… En effet, la Juliette chorégraphiée par Noureev sur la musique de Prokofiev est une fille espiègle et drôle, un peu garçon manqué et courageuse… Mon caractère étant plutôt réservé, je me demandais si je pouvais arriver à assumer ce rôle. En travaillant et construisant mon rôle petit à petit j’ai découvert mes capacités pour ce rôle au travers de la richesse du personnage de Juliette.



Est-ce qu’il y a une danseuse qui représente votre modèle ou mentor ?
Ma vie de ballerine voulait suivre les pas d’Aurélie Dupont depuis mon arrivée en France en 2011. Elle était la danseuse étoile à l’époque et j’étais sa grande admiratrice. J’étais en larmes en la regardant danser. Dans les œuvres telles que « Don Quichotte (Rudolf Noureev) », « l’Histoire de Manon (Kenneth Mac Millan) » et « La Belle au bois dormant (Rudolf Noureev) », sa présence scénique est époustouflante et son aura est à couper le souffle. En 2011, nous étions toutes les deux dans « Onéguine » ; moi j’étais surnuméraire et elle la danseuse étoile. Bien évidemment je n’osais même pas lui adresser la parole à cette époque-là. C’était comme un amour d’un sens unique. J’ai une photo souvenir de moi portant le livret du programme à côté d’elle (rires). 10 années se sont écoulées, maintenant c’est moi qui suis arrivée au statut d’« étoile » qui doit inspirer les jeunes danseuses futures étoiles.
Les répétitions ont lieu dans des studios avec accompagnement au piano, tandis que les générales et les représentations ont lieu avec orchestre sur scène sous le baton d’un chef. La manière de se connecter à la musique (gestion du rythme et de la respiration) ne doit pas être la même chose dans ces deux cas…
Pour les répétitions de 2 mois qui précèdent les représentations publics, ce sont nos pianistes qui nous accompagnent. Ce qui est curieux c’est qu’avec le même tempo les danseurs ressentent l’accompagnement du piano beaucoup plus allant que celui de l’orchestre.
Ce qui est curieux c’est qu’avec le même tempo les danseurs ressentent l’accompagnement du piano beaucoup plus allant que celui de l’orchestre.
En général il est plus facile de gérer la respiration avec l’orchestre. Par exemple, les pas de deux au clair de lune en filage (sans s’arrêter) est un défi redoutable quand on est accompagné par le piano. Après ce type de rudes entrainements, les répétitions avec orchestre sont plus confortables. Pour ce qui est du tempo, il est très important d’en discuter avec le chef.



La théâtralité (l’aspect dramatique) est étroitement liée à la musique. Comment la musique de Prokofiev vous a motivée et donné l’inspiration ?
La musique de Prokofiev est tellement narrative et descriptive qu’elle raconte suffisamment une histoire elle-même. En entendant la mélodie « les adieux de Roméo et Juliette » par exemple, mon esprit et mon corps réagissent immédiatement pour devenir Juliette.
Selon George Balanchine, la chorégraphie est une interprétation de la partition et de ce fait l’analyse et la compréhension de la partition est une condition préalable à la chorégraphie adéquate. « Agon » de Stravinsky chorégraphié par Balanchine est un bon exemple. Il avait considéré « Agon » comme sa meilleure réussite chorégraphique d’un point de vue musical.