Compositeur, artiste peintre, professeur à la Faculté de médecine et de pharmacie de Poitiers, organisateur de concerts et de voyages culturels, Jean-Jacques Giraud est de ces personnalités atypiques et profondément créatrices qui font avancer la science… en musique ! Il crée en 2005 le Diplôme Universitaire d’Art-Thérapie à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Poitiers. Rencontre.
Jean-Jacques Giraud, qu’est-ce que l’art-thérapie ?
Tout événement dramatique de la vie entraîne une anxiété qui peut aller jusqu’au traumatisme… Concernant les anxiétés, les angoisses, les rêves servent généralement à réguler ces émotions mais il arrive que ce ne soit pas suffisant. Et c’est là qu’intervient l’art-thérapie.
En effet, l’art-thérapie consiste, par le processus de la création artistique, à lutter contre l’état de stress occasionné par la maladie ou les blessures de la vie.
L’art-thérapeute est une personne qui souhaite mettre sa compétence artistique au service du soin ou de l’assistance aux personnes malades, handicapées, souffrant de troubles psychologiques et/ou physiques ou ayant des retards dans les acquisitions et le développement de leur personnalité.
C’est à notre connaissance, un des rares diplôme de ce type en France, en existe-t-il ailleurs et en êtes vous le créateur ?
C’est effectivement un des rares diplômes universitaires en France. Il existe des écoles dans d’autres pays, mais nous formons aussi en France des étrangers. En revanche, je ne suis pas le fondateur de l’art-thérapie ! L’art-thérapie a commencé en Angleterre à la fin de la 2e guerre mondiale, dans un sanatorium qui soignait les tuberculeux, et il y en avait un qui guérissait plus vite que les autres : c’était un peintre dénommé Adrian Hill.
La première école d’art-thérapie en France a été fondée dans les années 80, puis nous avons fondé le cursus universitaire avec un programme structuré en 2005 à la Faculté de médecine et de pharmacie de Poitiers.

Comment êtes-vous venu à l’art-thérapie ?
Je me suis intéressé à la peinture dès mon plus jeune âge. Mon père souhaitait que je fasse Médecine, mais les incisions, la vue du sang, étaient une épreuve insurmontable pour moi alors j’ai préféré poursuivre des études de pharmacie. Durant ces années, j’ai toujours gardé ma passion pour les arts. Je me suis formé en peinture puis j’ai pris des cours particuliers de musique et de composition à Bordeaux. Bien plus tard, alors que j’enseignais à l’université de Pharmacie, et qu’en parallèle j’exposais mes peinture et composais, le doyen de la faculté de médecine m’a proposé d’allier ces différentes pratiques.
Vous avez composé pour de nombreuses formations, quelles sont vos influences musicales ?
Ma musique est atonale mais avec une ligne mélodique… J’aime toute sorte de musique mais les compositeurs qui m’ont le plus influencé sont Claude Debussy et Alban Berg. Quant aux instruments, je n’ai pas de préférence particulière, je les aime tous avec leur particularités différentes et j’ai composé autant pour des instruments seuls, des ensembles de musique de chambre que des œuvres orchestrales.
Dans le domaine de l’art-thérapie, avez-vous des résonnances avec des philosophes anciens ou contemporains ?
Oui, le premier philosophe est Aristote ; il a observé puis réfléchi sur l’effet que produisent le théâtre et la musique sur les spectateurs et qu’il appelle la catharsis : le spectateur d’une tragédie expulse de soi les tendances brutales ou criminelles, latentes chez tout homme, en les voyant mimer devant lui. La psychanalyse rejoint l’hypothèse d’Aristote en faisant de la parole un exercice de défoulement.
Les chamanes de la préhistoire se servaient de l’art pour communiquer et apaiser l’âme, tant par le dessin que par la musique.
Et puis il y a le cas du Marquis de Sade, interné à l’hospice de Charenton chez les fous, où il passa les quinze dernières années de sa vie entre 1802 et 1817. Le Marquis sympathisa avec le directeur de l’asile, l’abbé de Coulmier, qui lui demanda d’écrire et de monter des pièces de théâtre avec les fous. Un petit théâtre de quarante places est même construit à l’asile. Le marquis composa les pièces et dirigea les répétitions jusqu’à la fin de sa vie, avec des résultats très positifs…. Mais on peut remonter même plus loin, jusqu’au chamanes de la préhistoire qui peuvent être considérés comme les premiers art-thérapeutes… Voyez-vous ils se servaient de l’art pour communiquer et apaiser l’âme, tant par le dessin que par la musique. On a retrouvé les premières flûtes en ossements, mais aussi des percussions et des arcs qui étaient finalement les premiers instruments à cordes.
Aujourd’hui dans le cursus, des intervenants enseignent la philosophie et la déontologie médicale, mais aussi la psychologie, en plus des cours d’art plastique, de musique, d’expression corporelle et de théâtre.

L’art-thérapie sert-elle les artistes et interprètes eux-mêmes ?
Oui bien sûr ! De nombreux artistes se sont clairement aidés de leur art pour surmonter leurs afflictions. La musique a aidé Schumann à supporter ses premières attaques, la peinture a aidé Modigliani et Van Gogh… Gérard de Nerval a dit que l’écriture l’aidait, Montaigne en parle aussi… Ecrire – disait-il – l’a aidé à supporter le choc de la mort de La Boétie et à supporter sa très douloureuse maladie de la pierre… Au féminin, on pense à Frida Kahlo : elle aussi a explicitement dit que peindre l’aidait à supporter les douleurs de son corps meurtri.
Quel statut a l’art-thérapie aujourd’hui dans notre société ?
Ce n’est pas une discipline reconnue par la sécurité sociale mais elle fait partie du Plan national des maladies neurodégénératives du Ministère de des solidarités et de la santé. Ainsi l’art-thérapie fait partie des soins, des interventions non médicamenteuses pour lutter contre la maladie d’Alzheimer, mais aussi de l’autisme ou le cancer.
Qui peut accéder au diplôme d’art-thérapeute ? Quelle formation faut-il avoir suivie au préalable ?
Les étudiants viennent de tous les horizons, ils sont de tous les âges et de toutes les origines. Nous avons formé jusqu’ici 420 art-thérapeutes avec une proportion d’étrangers non négligeable : des anglais, des japonais, beaucoup de sud-américains… Prochainement je vais aller en Floride pour monter une école d’art-thérapie. Certains sont diplômés d’art, d’autres ont des formations médicales antérieures : médecins, infirmiers, éducateurs, orthophonistes…. L’accès se fait sur dossier. Il faut au minimum un niveau de licence.
L’art-thérapie est-elle mieux adaptée à l’un des trois arts musique, peinture, sculpture ?
Cela dépend de la réceptivité personnelle de chacun, mais c’est l’association de plusieurs arts qui obtient les meilleurs résultats. A la musique et la peinture, on peut ajouter l’écriture et la danse, ou plus simplement l’expression corporelle… Vous savez il existe même de la musique pour les sourds ! Ils ressentent les vibrations et s’expriment par la danse.
Dans votre carrière d’art-thérapeute, certains cas vous ont-ils particulièrement marqué ?
Chaque patient a une histoire personnelle mais pour évoquer des cas extrêmes de recouvrement, je pense à deux cas récents, l’un à prédominance musicale est le cas d’une femme qui a la suite d’un AVC est restée deux mois dans le coma. A son réveil elle avait entièrement perdu l’usage de la parole et du bras… Nous avons entrepris une rééducation par le chant, et en un an elle a pu reparler ! Restait son problème de bras, qui lui a été rééduqué par l’expression corporelle, la danse, et aujourd’hui elle peut conduire sa voiture.
Par la peinture, le cas qui m’a le plus marqué est celui d’une jeune femme qui faisait un déni de grossesse. Mon élève – qui était sa thérapeute – a suggéré de faire de la peinture corporelle sur le ventre de la jeune patiente. Elles peignaient ensemble sur ce ventre renié, le personnage préféré de la jeune patiente qui était un footballer… et puis tout s’est mis en place. A l’acceptation de la grossesse, le ventre s’est arrondi presque du jour au lendemain, et elle a pu porter sa grossesse à terme et l’enfant est né dans de bonnes conditions.
Quels sont vos projets à venir ?
En 2023 une conférence en Floride pour monter une école d’art-thérapie. Puis un troisième gala au profit de l’art-thérapie appliquée à la maladie d’Alzheimer tant pour les patients que pour les aidants.
Et puis il y a les créations et bien sûr les festivals d’été dont j’assure la direction artistique à Sorges et Champagnac-de-Bélair en Dordogne !
Pour plus d’informations :
Fonds de dotation Giraud-Derouet pour l’art-thérapie
27, rue Rabelais 86000 Poitiers
Formation d’art-thérapie
Unité de Recherche Clinique Pierre Deniker
Centre Hospitalier Henri Laborit
370 Avenue Jacques Cœur – C.S. 10587
86021 POITIERS CEDEX
Diplôme universitaire d’art-thérapie
Faculté de Médecine et de Pharmacie de Poitiers
www.jean-jacquesgiraud.com