Conversation avec Jean-Philippe Sarcos, fondateur et directeur musical de l’ensemble vocal et instrumental Le Palais Royal et de l’Académie de Musique de Paris.
Parlez-nous de votre parcours en tant que chef d’orchestre.
J’ai fait mes études au Conservatoire de Paris et j’ai eu la chance de travailler avec des musiciens tels que Georges Prêtre et William Christie. J’ai toujours été passionné par la direction d’orchestre. Après une première expérience à 14 ans, j’ai dirigé différents ensembles et j’ai fondé une maîtrise de petits chanteurs, basée à Carcassonne.
Une deuxième maîtrise a vu le jour à Paris, les deux se sont mélangées au fur et à mesure et ont évolué jusqu’à devenir un seul ensemble professionnel d’adultes : l’ensemble du Palais Royal.
Quelles sont les peculiaritėes de l’ensemble du Palais Royal ?
L’ensemble est composé d’un orchestre et d’un choeur, specialisė dans le répertoire entre le XVII et le XX siècle, et dans l’utilisation des instruments correspondants.
La réflexion autour de la transmission de la musique est au coeur de notre démarche. Nous essayons de nous adapter aux différents publics, sans pour autant baisser la qualité et l’engagement.
Nos choix artistiques et d’interprétation et notre relation avec le public ont comme objectif de faire de la musique de façon à intéresser et à toucher les gens.
Par exemple l’orchestre joue toujours debout et le choeur chante par cœur.
Tout cela est bien évidemment plus fatiguant car ça implique un engagement plus complet et plus de travail pour mémoriser les partitions, mais permet aux musiciens de mieux dialoguer avec le public et lui parler directement, sans la barrière des partitions.
Le public ressent cet investissement et devient plus impliqué et touché.
Une autre caractéristique de notre ensemble est que nous nous produisons toujours de manière professionnelle et sommes habillés de la même façon, que nous nous produisions dans un grand théâtre pour des mélomanes ou dans le cadre d’une activité pédagogique avec des jeunes qui n’ont jamais écouté de la musique classique.



Quelle est votre façon de présenter la musique classique au public ?
Pour tous les concerts nous développons un thème qui nous permet de discuter avec le public, le faire rentrer dans les oeuvres et lui donner des clés d’écoute. ( un peu comme fait Ziegel. )
Nous avons par exemple fait des spectacles sur “la joie au XVII siècle” ou “la virtuosité”.
Quand on arrive sur scène on joue immédiatement et ce n’est qu’ensuite qu’on présente le concert.
On créé également des ambiances pour que chaque concert soit vu comme un événement, quelque chose qui sort de l’ordinaire, comme nous avons fait pour “Vivaldi masqué” où les chanteurs portaient tous des masques.
Que devraient faire les musiciens, pour toucher des nouveaux publics, aujourd’hui ?
Il y a 40 ans en France la musique classique était quelque chose de naturel dans un certain milieu, aujourd’hui ce ne l’est plus. Il faut se battre pour sauver la musique classique et pour redonner envie au public. Les musiciens doivent comprendre pourquoi on en est arrivé là et pourquoi les élites s’intéressent de moins en moins à cet art.
Il y a des choses sur lesquelles on peut agir, il faut que les musiciens aillent à l’encontre du public en sortant des salles de concert.
Que faites vous dans ce sens?
Nous travaillons sur plusieurs fronts à la fois en essayant de toucher différents publics, via nos différentes structures pédagogiques, comme par exemple les concerts “coup de foudre”, qui ont lieu dans toute la France et sont destinés à un public défavorisé ou rural.
Le déroulement de ces concerts est très intéressant : quand nous arrivons sur scène le public soit se moque de nous et de nos habits soit ne nous regarde pas.
Nous commençons immédiatement à jouer, souvent dans le brouhaha. Mais rapidement ces gens bizarres qui jouent sur scène, heureux, qui se regardent et communiquent entre eux attirent la curiosité. Les jeunes sont d’abord étonnés puis décontenancés et c’est là qui se produit le coup de foudre.
La méfiance vis à vis de ce genre musical, considéré ringard et lointain, laisse la place à l’étonnement et à l’admiration.
Après le concert les musiciens prennent un pot avec le jeune public, cela permet un échange dans un cadre plus décontracté et laisse aux jeunes l’opportunité de discuter avec nous et nous poser des questions. Nous sommes ravis de partager ces moments avec eux, qui se révèlent curieux et chaleureux.
Comment organisez vous ces “coups de foudre” ? Est-ce que ce programme s’adresse à tous les jeunes défavorisés ?
A chaque fois que nous faisons un concert dans un théâtre nous proposons ce type d’activité dans l’après-midi.
L’idée est de leur proposer le même répertoire du soir, avec juste une adaption de durée.
Le programme rentre dans le cadre du dispositif “les cordes de la réussite” qui d’adresse à 70 000 jeunes éloignés de la culture mais méritants, qui ont envie d’apprendre des nouvelles choses.
Et votre Académie de Musique ?
L’Académie, qui existe depuis presque 19 ans, est née en réfléchissant au vieillissement des publics de la musique classique.
J’ai donc décidé d’aller chercher les jeunes là où il se trouvaient : dans les écoles et les universités.
Le but était de leur faire rencontrer des musiciens professionnels, ceux du palais Royal et leur donner le goût pour la musique classique.
Cette musique a besoin de temps, d’écoute et de silence pour être appréciée, mais c’est un art qui fait grandir l’homme et le rend meilleur.
Nous souhaitons donner à ces jeunes, qui sont les décideurs de demain le goût et la passion de la musique.
Le principe de l’académie est basé sur une sorte de “dette morale” : aujourd’hui nous donnons à ces jeunes notre temps et nos connaissances et en échange on leur demande demain de faire quelque chose pour la musique. Ils choisiront la forme qui leur conviendra le plus : promouvoir la musique dans leur entreprise, inscrire leurs enfants au conservatoire ou dans une école de musique, ou tout simplement en allant écouter des concerts.



Qui sont les personnes impliquées dans ce projet ?
Comme des répétitions ont lieu tous les jours, même le week-end, beaucoup de professionnels viennent nous aider ainsi que des jeunes étudiants en direction d’orchestre ou de choeur au CNSM de Paris. Entre chœur et orchestre symphonique, amateurs et professionnels il y a 400 personnes.
Faut-il être inscrit dans une grande école pour faire partie de l’académie ?
L’académie a la particularité d’accueillir des jeunes issus de différents parcours : il y a effectivement des étudiants des grandes écoles mais également des travailleurs, des polytechniciens, des étudiants de la Sorbonne et du CNSMDP.
L’académie est ouverte egalement aux jeunes de toutes les nationalités, nous en avons 30 en ce moment.
Comme nous faisons beaucoup de musique française c’est une joie de la faire connaître à ces jeunes.
Le niveau musical est-il homogène ?
A l’académie il peut y avoir différents niveaux de solfège, les jeunes travaillent en groupe selon le niveau mais également ensemble pour que les moins bons puissent donner de l’enthousiasme et que les plus forts puissent aider. L’enrichissement mutuel qui en découle est tout à fait étonnant et est également vrai pour les professionnels auxquels cette expérience redonne le goût de jouer et complète leur vie musicale.
Il n’est pas donc seulement question de musique mais également de partage et convivialité.
Tout a fait. Si nous avons d’un côté une exigence du point de vue musical, de l’autre nous favorisons l’enrichissement mutuel dans un esprit chaleureux.
Par exemple le 14 juillet dernier les musiciens de l’Orchestre National de France ont accompagné les jeunes de l’Académie sur les Champ de Mars, avant de se produire sur scène pour le Concert de Paris.
Pour revenir à votre activité pédagogique, vous vous intéressez également à des milieux sociaux complètement différents des jeunes des cordes de la réussite. Pourquoi ce choix?
Dans le cadre des concerts à l’Hôtel de Poulpry nous avons choisi de nous adresser aux grands patrons et aux décideurs.
Ces gens, même si effectivement avantagés financièrement et fréquentants les salles de concerts, ne sont pas forcément proches de la musique classique.
Nous organisons pour eux des concerts dans un cadre élégant où ils peuvent inviter des gens de leur milieu, et ensuite nous leur proposons un cocktail avec les musiciens.
Ils peuvent donc discuter avec eux et leur poser des questions. Encore une fois ce sont nous, les musiciens, qui allons vers le public.
Ce choix peut peut-être surprendre, mais je pense qu’il faut s’adresser à toutes les catégories sociales pour que la musique puisse continuer à exister. Je crois également que cet Art peut unir les gens.



En Angleterre et aux États-Unis la musique est très présente dans les grandes écoles, ils ont des moyens qui lui sont dédiés et servent à financer des pianos, des orchestres et des salles de spectacle. Grâce à l’académie les choses sont en train de changer en France. Par exemple, comme le directeur de l’école Paris Tech est dans notre conseil d’administration et a pris conscience de l’importance de la musique, maintenant ils sont équipés d’un piano et d’un orgue et ils hébergent l’ensemble du palais Royal pour les répétitions.
C’est une très belle initiative qui permet aux étudiants de se rapprocher de la musique et de faire des belles découvertes. Encore dans notre volonté de partager la musique et d’aller vers le public, nous les avons même invités à nos répétitions.
Nous avons parlé de jeunes défavorisés, d’étudiants et d’entrepreneurs, est-ce qu’il y a encore d’autres publics auxquels vous vous adressez ?
En collaboration avec des associations, nous essayons de faire des actions pour les personnes qui ne peuvent pas venir aux concerts, comme les gens qui vivent dans la rue ou sont hospitalisés.
Pour nous il est important d’aller également vers ces personnes, tout simplement pour donner à ceux qui n’ont rien quelque chose de beau.
Nous invitons également à nos concerts des personnes sans domicile fixe et nous sommes ravis de voir qu’après leur étonnement pour cette invitation, ils en sont très contents, car non seulement ils peuvent assister à un bel événement, qui peut leur redonner un peut de goût pour la vie, mais surtout ils peuvent se sentir comme les autres, sans être regardés comme des personnes différentes et aux marges.
Si je parle de ce type d’initiative ce n’est pas pour en faire la promotion, mais parce que cela pourrait donner envie aux autres musiciens de le faire.
Nous sommes également présents dans les hôpitaux, parce que ce sont des lieux où brusquement on se sent déshumanisé et nous souhaitons partager quelque chose avec ces personnes.
Si l’aide aux personnes moins avantagées est au coeur de votre démarche, vous aussi, à votre tour avez besoin de soutien financier pour pouvoir tout simplement continuer d’exister.
Aujourd’hui, toutes les subventions aux structures amateurs et indépendantes sont réduites, voire tout simplement supprimées et nous sommes en difficulté.
C’est pour cela que les jeunes de l’Académie de musique se sont mobilisés pour la sauver et pour sensibiliser le public aux problèmes des musiciens, car si l’on ne fait rien, c’est toute la pratique de la musique classique qui va disparaître.
C’est donc pour assurer sa survie que l’Académie a lancé une collecte de 20 000€ sur le site de financement participatif Kisskissbankank.
Des contributions libres peuvent donc être apportées au projet à partir d’1€. Ces contributions font l’objet de contreparties et sont déductibles des impôts, l’Académie de musique étant une association d’intérêt général.
Si vous aimez la musique et partagez les valeurs de l’Académie de Musique de Paris, vous avez jusqu’au 10 août 2014 pour la soutenir sur :
www.kisskissbankbank.com/fr/projects/academie-de-musique-de-paris
Et ne manquez pas sa saison 2014/2015 avec entre autre le Requiem de Mozart, la Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák et des chœurs d’opéra italien (Verdi, Rossini, Puccini…).
En savoir plus :
Site officiel : www.academie-de-musique.com
Facebook : www.facebook.com/academiedemusiquedeparis
Twitter : twitter.com/academiemusique