Antoine Guerber © Benjamin Dubuis
Antoine Guerber © Benjamin Dubuis

Conversation avec Antoine Guerber de Diabolus en Musica

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Conversation avec Antoine Guerber, directeur de l’ensemble Diabolus in Musica et directeur artistique du festival “Les Méridiennes” de Tours.

 

Vous êtes un grand passionné de musique ancienne, comment vous êtes vous rapproché de ce répertoire ?
J’ai toujours été très fasciné par la musique ancienne et je m’intéresse énormément à l’histoire, la musicologie, l’art et l’architecture du Moyen Âge.
Il y a trente ans, les études spécifiques dans ce domaine n’étaient pas très répandues, j’ai fait partie de la première promotion du CNSM de Lyon en 1988 et j’ai également pu me former au Centre de Musique Médiévale à Paris, qui a vu le jour dans la même période.

 

Parlez-nous de votre ensemble vocal et de vos choix de répertoire.
Je dirige Diabolus in Musica depuis 1992 et je suis très heureux de dire que l’ensemble, qui arrive aujourd’hui à sa pleine maturité, est composé d’une équipe très fidèle, avec des chanteurs présents depuis 22 ans. L’ensemble est spécialisé en musique ancienne française : du chant grégorien aux polyphonies pour voix d’hommes en passant par les chansons des Trouvères.Nous nous sommes d’abord intéressés au répertoire inédit et aux raretés en essayant de nous en approprier et de les aborder avec notre personnalité.
Grâce à cette expérience, nous avons donc pu nous approcher de grandes oeuvres comme “La Messe de Nostre Dame” de Guillaume de Machaut et le “Livre Vermeil de Montserrat”.

 

Pourquoi avez-vous choisi la musique médiévale ?
Il y a des idées reçues sur la musique ancienne, qui est considérée une spécialité étroite ou pointue, mais cela est très différent de la réalité : c’est un champ d’investigation très passionnant où il y a dix siècles de musique à explorer, tandis que le Baroque et le Classique n’ont que 150 ans à parcourir.

 

Pour vous il est très important de respecter les conditions d’interprétation de l’époque, pouvez-vous nous en dire plus sur votre travail de recherche musicologique et historique ?
Nous faisons partie de l’HIP (Historically Informed Performance), car il est très important pour nous de jouer les oeuvres dans des conditions le plus similaires possibles à leur contexte historique et éviter ainsi des erreurs dans les effectifs et la façon de jouer. Pour cela nous nous appuyons sur l’histoire, la musicologie et l’organologie.
Ces sciences ont beaucoup évolué dans les derniers 40 ans et aujourd’hui nous en bénéficions au point de connaître même les effectifs précis dans certains églises !

 

Vous vous intéressez donc également aux rapports entre l’histoire de l’art et la musique ?
Il est très important de ne pas oublier l’histoire de la peinture et de l’architecture.
En France, par rapport à d’autres pays, il y a un grand blocage vis à vis des recherches qui croisent les différents arts.
Certains historiens médiévalistes sont passés à côté de la musique, mais il ne faut pas oublier que l’architecture a été construite pour la musique et que certains architectes étaient également des musiciens.

 

Est-il difficile d’intéresser le public à la musique médiévale?
L’époque médiévale est très éloignée de la société d’aujourd’hui, non seulement pour des évidentes raisons de distance historique, mais également pour la différence de mentalité et de sensibilité.
Il faut replacer le contexte et le réexpliquer. En 1300 par exemple, les gens étaient très religieux -ce qui n’est plus le cas aujourd’hui- et cela a beaucoup influencé la façon d’approcher et d’écouter la musique à l’époque.

 

Pour cela vous faites également un travail pédagogique?
Nous sommes très investis ici à Tours : nous faisons de la pédagogie pure dans les lycées et travaillons également pour les adultes, avec des avant ou après-concerts et des conférences.
Dans le cadre du cycle “Vinum et Carmina” (vin & chansons), une fois par trimestre nous parlons de musique autour d’un verre de vin, dans une atmosphère conviviale.
Nous choisissons à chaque fois un thème pour y associer la musique : le théâtre, l’histoire de la ville de Tours, la gastronomie, le pèlerinage ou encore le cinéma. Cette dernière thématique a été très intéressante à aborder, car la vision du Moyen Âge sur le grand écran, a énormément changé au fil des années.

 

Entre le travail de recherche et de pédagogie, trouvez-vous du temps pour les concerts ?
Chaque année nous faisons entre 30 et 40 concerts. 2014 a été une année excellente car nous nous sommes produits dans les Monuments nationaux et au festival d’Avignon.
Mais nous trouvons également le temps pour des disques, comme “Sanctus !” : des polyphonies pour voix d’hommes dédiées aux Saints au XIIIe siècle, enregistré en mars à l’Abbaye de Fontevraud.

Pour votre cycle de concerts sur la musique au temps de Saint-Louis, vous avez eu la chance de vous produire dans des lieux extraordinaires, comme l’abbaye du Mont Saint-Michel, la Sainte Chapelle, le Château de Châteaudun et Aigues-Mortes. Qu’est-ce qu’on éprouve en jouant dans des lieux si remarquables ?
Jouer dans les Monuments nationaux est quelque chose d’indescriptible. Nous avons chanté pour la première fois dans l’Abbaye du Mont-Saint-Michel et nous en conservons un souvenir très intense, entre la vue imprenable sur la baie, le soleil couchant et les belles illuminations. A Paris nous nous sommes produits à la Sainte Chapelle, un lieu qui ne laisse pas indifférent, même les non-croyants.

 

A la Sainte Chapelle vous avez fêté le 800 anniversaire de la naissance de Louis IX. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Comme nous sommes très attachés aux anniversaires, nous avons choisi un répertoire pour le célébrer Saint-Louis, car pendant son long règne beaucoup de choses se sont passées du point de vue musical : la naissance de la musique profane et de la polyphonie.
En 2015, à l’occasion de l’anniversaire de François I, nous allons fêter Jean Mouton, son maître de chapelle ainsi qu’un grand compositeur, en collaboration avec l’Ensemble Clément-Janequin de Dominique Visse.
Comme tous les ans nous faisons 2 et 3 créations, en 2014 nous avons travaillé en collaboration avec la chanteuse bretonne Marthe Vassallo.
C’est un projet très intéressant sur lequel je réfléchissais depuis longtemps, car il y a une similitude entre les chansons des Trouvères et la musique traditionnelle bretonne, qui est également sur le modèle modal.

 

Venons donc aux “Les Méridiennes”, pourquoi avez-vous choisi ce nom ?
Le mot Méridiennes à plusieurs significations : outre l’instrument qui indique l’heure du midi, ce sont les méridiennes du globe, car nous intégrons également la musique d’autres pays, mais également un meuble où on fait la sieste, tout en étant ni assis ni couché.

 

Comment avez-vous l’idée de ces concerts d’une demi-heure à midi ?
En réalité, l’idée vient de Belgique : pendant un voyage à Bruxelles, j’ai participé aux “Midis Minimes”, le concept m’ayant beaucoup plu j’ai décidé de le reprendre ici à Tours en juillet, un moment où les initiatives musicales se raréfient.
Nous avons réussi à trouver la bonne formule dès la première édition, en créant également une ambiance autour du festival : entre le décor, les dégustations et l’habillage de la cour devant la Salle Ockeghem. Le festival change de décor tous les trois ans, avant il y avait des voiles du tissu, cette année c’est la plasticienne Elyse Galiano, qui a crée ce beau cadre convivial.
Il est important pour nous d’interagir avec les autres formes d’art et de collaborer avec d’autres artistes et avec d’autres cultures, c’est pour cela que le festival s’ouvre également sur les musiques du monde, un genre de musique qui a beaucoup de succès, surtout à Tours où il reste très rare.
Pour résumer, les “Méridiennes” se veulent un festival convivial ayant à coeur la variété du programme et la qualité musicale.

 

Êtes-vous satisfait de cette édition du festival ?
Nous sommes toujours très satisfaits parce que le public des “Méridiennes” est nombreux -nous effleurons le 100% de jauge- et enthousiaste.
Le pari de fidéliser les gens, de croiser les publics et d’en attirer des nouveaux, touristes inclus, a été réussi, cependant nous avons déjà des idées pour faire évoluer le festival avec une nouvelle formule, nos réflechissons à des concerts du soir et à des événements dans d’autres endroits.

 

En savoir plus :

Diabolus in Musica

Les Méridiennes

Elyse Galiano

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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