Patrick Ayrton © DR
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Conversation avec Patrick Ayrton

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Conversation avec Patrick Ayrton, chef d’orchestre et directeur artistique du Festival Bach en Combrailles.
 
 

Vous êtes un vrai passionné de claviers, vous jouez du piano, de l’orgue, du clavecin et de l’harmonium. Comment est-ce que vous vous êtes intéressé à ces instruments ?

Mon père était hautboïste et violoniste amateur et possédait un clavecin, cela m’a donc permis de m’intéresser aux claviers.
Je me suis très vite passionné pour l’orgue et j’ai tout expérimenté : du Baroque au rock, jusqu’au synthétiseur et à l’orgue Hummond.
 

Quel a été votre parcours musical et qu’est-ce qui a motivé votre choix d’étudier dans différents pays ?

J’ai fait mes études d’orgue, basse continue, direction de choeur et musique sacrée à Vienne. Ensuite j’ai décidé de me spécialiser en musique ancienne au sens plus large et je suis parti en Hollande pour travailler avec Ton Koopman, dont ensuite j’ai été assistant.
Le département de musique ancienne de l’Université Royale de la Haye est un de plus importants en Europe et compte 130 élèves en spécialisation.
C’est extraordinaire car c’est presque le nombre d’élèves dans un conservatoire normal.
 

Vous avez fondé l’ensemble “Les Inventions” qui réinvente le concert classique en mélangeant musique, poésie et danse. Comment avez-vous eu cette idée ?

L’ensemble s’appelle “Les Inventions” parce que c’est l’invention qui fait avancer tout, dans l’art comme dans la science.

J’ai eu l’idée de créer cet ensemble à Venise, en lisant les lettres de Charles de Brosses dit “le président”, car il était président de la cour de justice dans les années 1730.
Dans ses correspondances il raconte une soirée -encore à Venise- chez le noble Pedretti, qui lui offre un spectacle avec un improvvisatore qui invente des poèmes ex tempore, pendant qu’un claveciniste illustrait musicalement les passions et les humeurs du texte, avec des tableaux aux murs comme décor.
C’était un vrai spectacle multimédia. Comme quoi de nos jours, nous n’avons rien inventé.
 

Cette vision de mélange des arts est liée également à celle de l’artiste total.

Tout à fait. Par exemple nous savons bien que Bach jouait 5-6 instruments, composait, dirigeait, organisait, avait des responsabilités religieuses à la Saint Thomas et dirigeait le Collegium Musicum de Leipzig, qui s’exhibait dans le fameux café Zimmermann. Mais étant expert de l’orgue il faisait également des expertises sur les instruments et il a même été “représentant de commerce”, en s’occupant du stock du Traité de basse continue de Johann David Heinichen (1683-1729).

Comme j’aime beaucoup faire différents choses comme diriger, jouer, enseigner et tenir des conférences, je me sens très proche de cette conception de l’artiste du XVIII siècle où on ne se spécialisait pas. L’éclectisme est très fructueux pour un artiste car chaque chose en nourrit une autre.
 

Effectivement il y avait également un Bach “scientifique”.

Bach était membre de la Société par correspondance des sciences musicales fondée par Lorenz Christoph Mizler et Georg Heinrich Bümler; le siècle des Lumières naissant, l’homme se détournait de la religion et essayait de mieux comprendre sa place dans l’univers.
Les oeuvres à la fin de sa vie sont des “œuvres savantes”, par exemple dans l’Art de la fugue il écrit seulement de la musique sans spécifier les instruments, comme s’il s’agissait d’une forme spéculative où il pousse l’écriture jusqu’à ses limites, comme un scientifique qui présente une étude exhaustive.
 

Vous avez également un intérêt pour le répertoire méconnu.

Je suis passionné de recherche et de musicologie, qui est une discipline en mouvement perpétuel.
Depuis la chute du mur de Berlin on a eu la chance de pouvoir accéder à un répertoire extraordinaire, comme celui des sources de Kiev.
Je me suis intéressé à l’oeuvre de Joseph Touchemoulin (1727-1801), qui avait étudié à Padoue, avec Tartini. J’ai trouvé des manuscrits à Maçon et j’ai décidé de les interpréter.
 

À Pontaumur vous avez la chance d’avoir un instrument extraordinaire qui est la copie exacte de l’orgue d’Arnstadt, dont Bach était organiste.

L’orgue de Pontaumur est un défi de mon prédécesseur, qui voulait avoir une copie de l’orgue d’Arnstadt, dont Bach est devenu organiste à l’âge de 19 ans.
Nous sommes très heureux d’avoir ce magnifique instrument qui est le point névralgique du festival.
 

Comment avez vous choisi la programmation du festival  Bach en Combrailles ?

La direction artistique d’un festival doit d’abord prendre en compte le budget à respecter, ensuite il faut chercher un programme qui soit varié, trouver des combinaisons et des visions différentes.
C’est comme un menu de cuisine, il faut chercher des ingrédients appétissants et créer des recettes intéressantes, sans jamais se répéter d’une année à l’autre.
Nous avons donc essayé de créer différentes formules qui vont des concerts du soir a ceux de midi, qui rassemblent les festivaliers avant d’aller manger et, étant gratuits, permettent à la musique d’être largement accessible.
Le festival commence et termine avec un programme plus consistant avec L’Orchestre d’Auvergne et la Passion selon saint Matthieu. Pour le reste nous avons choisi un schéma mélangeant la musique vocale et instrumentale, qui comprend un récital d’orgue le matin, un concert consistant l’après-midi et un concert plus étoffé le soir, avec des grandes formations.
 

Au festival il n’y a pas que les concerts, vous faites également plusieurs types d’animations comme les conférences et les avant-concerts.

Notre festival a la chance de collaborer depuis plusieurs années avec Gilles Cantagrel, qui a un grand talent de présentateur et d’aiguiseur de l’écoute.
Pour moi il est très important de faire des avant-concerts ou des conférences où on explique le contexte et les oeuvres que nous allons écouter.
C’est comme une visite guidée dans un musée, l’explication nous donne des nouveaux éléments qui nous permettent de voir les oeuvres de manière différente et de les comprendre plus profondément. C’est exactement la même chose pour la musique, où finalement on prépare son oreille.
 

Votre grand défi de cette édition sera de diriger la Passion selon saint Matthieu. Vous avez choisi de reprendre la disposition utilisée par Bach en 1736. Pourquoi ?

Je ressens un mélange d’envie et de peur, car quand on s’attaque à une œuvre de cette envergure on se sent très humble et petit.

Bach a dirigé cette Passion quatre fois, en 1727, 1729, 1736 et 1742. Nous avons choisi l’exécution de 1736 parce que c’est celle dont on a les informations les plus précises.
On s’approche effectivement de très près de ce qu’on pense avoir été la disposition : avec un effectif réduit auquel j’ai rajouté un ténor et une viole de gambe et avec des échanges entre les organistes secondaire et primaire.
 

Êtes-vous satisfait de cette édition et quels sont vos projets ?

Nous sommes très satisfaits de notre festival parce que nous avons un public fidèle et varié et des salles presque pleines, malgré notre contexte géographique.
Après la Saint Matthieu de cette année, en 2015 nous jouerons la Passion selon Saint Jean et en 2016 la Messe en Si.

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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