Chef assistant associé de Paavo Järvi à l’Orchestre de Paris, David Molard dirigera le 2 juillet prochain, le concert d’inauguration de l’Orchestre des Jeunes d’Ile-de-France (OJIF) qui rassemble à ce jour, une centaine de musiciens issus des cycles supérieurs des conservatoires franciliens. Un projet ambitieux qu’il a accepté de nous présenter en détail dans cet entretien où il évoque notamment les enjeux de l’apprentissage du métier de musicien d’orchestre, et l’importance de la réinterprétation des œuvres contemporaines du répertoire.
David Molard, parlez-nous de la genèse de ce projet …
A l’origine, l’idée n’est pas de mon ressort. Il y avait un collectif de jeunes musiciens issus du Pôle Supérieur Paris Boulogne-Billancourt et du CNSM de Paris qui tenait un projet d’orchestre intitulé « Ad Libitum », géré par l’association « Les musiciens de la boucle ».
Marius Mosser, le porteur de ce projet, a souhaité le rendre plus ambitieux en s’entourant de personnes qui pourraient faire en sorte que celui ci soit amené et encadré par des professionnels. Il m’a contacté au début de la saison et j’ai tout de suite été emballé par cette proposition, parce qu’elle ne correspondait pas un énième projet d’orchestre de jeunes qui, à mon sens, n’est pas forcément très formateur. C’est précisément de là qu’est venue l’idée de l’Orchestre des Jeunes d’Île-de-France (OJIF). Il s’agit véritablement de jeunes musiciens, encore étudiants, qui veulent eux-mêmes se donner la possibilité d’avoir des mises en situation professionnelles.
Donc il y avait déjà une base de musiciens prévue au début du projet… mais finalement de quelle manière l’orchestre s’est-il constitué ensuite ?
Effectivement, il y avait une déjà une équipe au départ. Néanmoins on a dû solliciter des musiciens en leur expliquant ce projet, et en leur démontrant que l’OJIF pouvait être quelque chose de très intéressant pour eux à l’avenir, sur le plan de la formation, financièrement et sur le potentiel réseau professionnel qu’il leur rendrait accessible. Effectivement, ils vont pouvoir jouer avec des pros tels que Fabien Boudot qui est à l’Orchestre de Paris depuis dix ans, ou le corniste Philippe Dalmasso. L’orchestre s’est majoritairement constitué à partir de nos réseaux : des étudiants et des musiciens professionnels issus des grands orchestres parisiens. Mais à terme, l’idée est de pouvoir mettre en place des auditions et rémunérer l’ensemble des artistes.
Finalement l’OJIF dispose d’un objectif « pédagogique » ?
Le but de l’OJIF n’est pas véritablement pédagogique puisqu’ici, il ne s’agit pas d’avoir des professeurs et des élèves, mais d’avoir un orchestre professionnel composé à 90 % d’étudiants des cycles supérieurs des conservatoires franciliens, accompagnés d’encadrants issus des grandes phalanges orchestrales. Cela leur permettra de les confronter le plus vite possible aux véritables enjeux du métier qui vont être les leurs dans quelques années, quand ils devront passer d’importants concours d’orchestre.
Concrètement, qu’est-ce qui le différencie d’une structure comme l’Orchestre Français des Jeunes (OFJ) ou le Gustav Mahler Jugendorchester ?
Ces structures ne sont pas gérées par des jeunes et elles proposent des projets très spécifiques. Le projet de l’OJIF est différent : on ne travaillera pas sur de longues périodes comme le fait l’Orchestre Français des Jeunes. Il s’agira plutôt de mettre en place des séries professionnelles qui permettront de monter telle ou telle symphonie en quelques jours. L’encadrement sera différent aussi. A l’OFJ, il n’y a que les jeunes qui jouent. Les encadrants les préparent seulement en amont lors de répétitions partielles, ou les master class, etc. A l’OJIF, les encadrants seront intégrés à l’orchestre et de ce fait, les musiciens pourront être portés par un professionnel qui apportera son expérience sur toute la durée du projet.
Vous avez présenté l’OJIF comme étant un orchestre à « géométrie variable » ? Pour quelles raisons ?
La géométrie variable ne fait pas partie du projet artistique en tant que tel. On ne va pas établir une programmation en se disant « on est à géométrie variable ». Le fonctionnement s’effectuera à l’inverse : telle ou telle œuvre sera choisie et interprétée, et de fait, l’orchestre sera à géométrie variable. Bientôt nous pourrons rémunérer les instrumentistes, mais je pense qu’au début, les séries rémunérées seront constituées d’une trentaine de musiciens. D’où la « géométrie variable » puisqu’aujourd’hui, l’OJIF dispose de 105 musiciens pour son concert d’inauguration.
Quel public est ciblé ?
La réponse est dans le nom « OJIF ». Les jeunes se produiront en Ile-de-France et iront à la rencontre de tout le public possible. Il jouera dans plusieurs salles d’Ile-de-France comme peut déjà le faire l’Orchestre National d’Ile-de-France, et je pense que des représentations scolaires seront données très rapidement.
Avez-vous déjà travaillé auparavant avec des musiciens en formation ?
Oui, puisque tout élève en direction commence par diriger des orchestres d’amateurs à l’extérieur et des orchestres d’étudiants au conservatoire. C’est formateur puisque cela nous permet, dans le cadre de nos études, de diriger régulièrement, ce qui est indispensable dans la formation de chef !
Et aujourd’hui en tant que chef, comment percevez-vous la différence entre le jeu et l’investissement d’un étudiant pré-pro et celui d’un professionnel déjà en poste ?
L’orchestre d’étudiants a énormément d’énergie, il est en demande permanente et il a une fougue particulière. En revanche, ses instrumentistes manquent d’expérience. Un étudiant a moins l’habitude du « jouer ensemble », il ne joue pas forcément tout suite juste avec son voisin, et ne maîtrise pas forcément la technique d’accompagnement d’un soliste. L’OJIF souhaite contrebalancer ce manque d’expérience grâce à celle que les encadrants auront déjà.
Ce concert d’inauguration se tiendra à l’auditorium Landowski du Conservatoire à rayonnement régional (CRR) de Paris le 2 juillet prochain. Pourquoi cette salle ?
Marius Mosser est élève au Pôle Supérieur et moi je suis un ancien étudiant du CRR. Notre projet demande un maximum de visibilité et le concert d’inauguration devait forcément se faire à Paris. Il nous fallait une salle où nous pouvions produire un effectif très important. D’autre part, nous n’avions pas les moyens d’en louer une sur une période comprenant le temps des répétitions et la représentation. A partir de là, Marius Mosser et moi-même avons tout de suite pensé à Xavier Delette, directeur du CRR de Paris, qui a très vite adhéré au projet. Le prêt de l’auditorium constitue sa manière de nous soutenir. On lui en est très reconnaissant puisque finalement, on y est en « résidence » sur une semaine. En plus, il met aussi du matériel spécifique à notre disposition comme des percussions, des contrebasses… et c’est indispensable ! C’est en grande partie grâce à lui que le projet peut aboutir.
Le programme de votre concert d’inauguration est constitué d’œuvres d’envergure puisqu’il comprend notamment la première symphonie de Mahler et le concerto pour violon de Mendelssohn. Pourquoi lancer ce nouvel orchestre avec un tel répertoire ?
Nous devions faire des œuvres phares du « grand répertoire » pour pouvoir montrer au public que de nombreux jeunes savent bien jouer. Plus on est nombreux sur scène, plus le projet a de l’envergure. D’autre part, il fallait aborder de façon très large toutes les difficultés techniques du musicien d’orchestre. La première symphonie de Mahler (Titan) est difficile et demande beaucoup d’écoute, une grande précision rythmique et beaucoup de justesse parce qu’il y a de nombreux passages pianissimo qui sont très compliqués et de nombreux passages solos.
Elle permet vraiment de voir tout le panel des difficultés techniques d’un musicien d’orchestre.
Ensuite, on a choisi le concerto pour violon de Mendelssohn parce qu’il était indispensable d’amener ces musiciens à accompagner un soliste. Nous souhaitions les mettre dans cette situation d’accompagnateur : comment cela se passe concrètement ? Quels sont les enjeux de l’accompagnement, quand doit-on apporter de l’énergie à un soliste, quand doit-on le suivre, etc. ? Cet apport technique aux jeunes musiciens nous paraissait indispensable. Enfin, et dans le meilleur des cas, je souhaitais pouvoir les confronter à la musique contemporaine. C’était impossible de commander une pièce parce c’est bien trop cher et que l’on manquait de temps.
En revanche, nous avions créé plusieurs des œuvres de Bechara El-Koury à l’Orchestre de Paris. J’avais entendu Unfinished Journey il y a très peu de temps par l’Orchestre de Chambre de Paris au Théâtre des Champs-Elysées. C’est une pièce pour violon solo et cordes qui n’est pas trop difficile mais qui apporte de nouveaux enjeux puisque c’est de la musique contemporaine. Cette œuvre est un peu la synthèse des deux autres. D’un côté on doit faire face aux difficultés du jeu d’orchestre et accompagner la soliste, et de l’autre, il y a l’enjeu de la musique contemporaine.
Quel est cet « enjeu de la musique contemporaine » ?
Aujourd’hui, quand on est jeune chef, la création ou l’interprétation des œuvres contemporaines doit faire partie des projets. Mais ce que je trouve réellement dommage, c’est que l’on crée beaucoup d’œuvres, mais que l’on n’interprète jamais les œuvres contemporaines déjà créées, à part malheureusement lors des hommages qui se succèdent à la mort des compositeurs. C’est dommage, car on a des compositeurs qui sont bien vivants ! Et pouvoir interpréter une œuvre avec le compositeur est extraordinaire ! Donc pour le moment, l’OJIF ne crée certes pas, mais joue de la musique contemporaine.
Et l’OJIF après le 2 juillet ?
L’OJIF gardera ses caractéristiques de séries professionnelles avec des encadrants et de jeunes musiciens en études. Il fonctionnera peut-être sur concours de recrutement pour proposer de véritables séries de concerts.
Nous venons d’apprendre que votre objectif de financement participatif a été atteint ! Un premier challenge de réussi ?
Excellente nouvelle ! C’est une première réussite puisque sans 6000€ nous n’avions rien. Cela signifie que notre projet est viable, on sait qu’on va le faire véritablement et cela prouve aussi qu’il y a un public intéressé par notre projet. Évidemment, ce n’est pas encore terminé parce qu’on a besoin d’encore plus pour pérenniser notre projet. Il reste encore deux jours : si d’ici là d’autres personnes souhaitent contribuer pour avoir des contreparties époustouflantes, qu’ils n’hésitent surtout pas à donner !
Concert d’Inauguration : 2 juillet 2016 à 17h
Auditorium Marcel Landowski (CRR de Paris)
Unfinished Journey – Bechara El-Khoury
Concerto pour violon en mi mineur – Felix Mendelssohn
Symphonie N°1 « Titan » – Gustav Mahler
Trin Ruubel, violon
David Molard, direction
En savoir plus :
L’Orchestre des Jeunes d’Île-de-France sur Ulule
Le site de l’OJIF – l’OJIF sur facebook – l’OJIF sur Twitter