Conversation avec Laurence Lamberger-Cohen, directrice de la Réunion des Opéras de France (ROF), réseau national des maisons d’opéra en France, qui rassemble 32 opéras, structures et compagnies lyriques, à propos du « Portail des Opéras de France ».
Aujourd’hui, la ROF lance le « Portail des Opéras de France ». Pourriez-vous nous présenter ce nouvel outil numérique et sa genèse ?
Le Portail des Opéras de France est un projet que la ROF caresse depuis plusieurs années. Un directeur nous a sollicités il y a quelques années car il cherchait la dernière date de production en France d’une œuvre rarement représentée. Nous nous sommes rendu compte ce jour-là que nous n’avions aucune histoire, aucune mémoire de la programmation de nos maisons d’opéra. Il y avait un manque à combler pour rendre compte de la richesse des programmations de nos maisons… Nous avons donc engagé, avec le soutien de nos opéras membres, un travail de recensement, de collecte, puis de catalogage et de numérisation, notamment grâce au Ministère de la Culture et de la Communication. La Caisse d’Epargne d’Ile-de-France vient soutenir ce projet aujourd’hui également. Plus de 5 000 documents ont été ainsi numérisés. Cependant, la solution d’hébergement retenue à l’origine du projet ne nous satisfaisait pas, car nous étions cantonnés à un portail strictement documentaire. Nous avons donc récemment basculé vers une autre solution, « Syracuse ».
A quoi correspond Syracuse ?
C’est une solution pour les bibliothèques que nous avons détournée afin de rendre compte des productions de spectacle vivant et de leurs spécificités : compositeurs, librettistes, maîtres d’œuvres… C’est un outil multiplateformes (responsive) et compatible avec les normes BnF, Philharmonie, INA, etc. Par ailleurs, il s’agit d’un produit évolutif qui va nous permettre de lutter contre l’obsolescence programmée des outils numériques, et d’envisager des développements futurs. Enfin, Syracuse nous permet d’avoir une grande autonomie, ce qui est très important.
Ce portail se limite-t-il au recensement des programmations ?
Le projet du Portail a évolué et nous avons pu traduire cette évolution grâce à la solution informatique que nous utilisons aujourd’hui. Ce portail n’est pas seulement un recensement des programmations. Il propose trois entrées. La première, « Archives d’opéras », recense la programmation de nos maisons d’opéra à travers les programmes de salle, les affiches, les photos, les vidéos, etc.
Il nous a semblé important d’éclairer cette base de données (appelée Mélisande) avec une seconde entrée intitulée “Dossiers et études”. Plusieurs formats sont offerts à l’internaute en fonction du temps dont il dispose, des focus sur les articles ambitieux, comme celui sur l’histoire de l’opéra au XXe siècle commandé au musicologue Hervé Lacombe, ou des promenades à travers des galeries de photos pour rendre compte du caractère visuel d’un opéra.
Pour cet espace « Dossiers et études », nous avons noué des partenariats avec une dizaine d’institutions comme l’Institut national de l’Audiovisuel, la Bibliothèque nationale de France, et des centres de recherche tels le Centre national du Costume de Scène, ou le Centre de Musique Baroque de Versailles.
Enfin, la plateforme numérique comporte une troisième entrée, « Parcours d’opéra », destinée aux publics relais, qu’il s’agisse des enseignants, des médiateurs, des services éducatifs de nos maisons… On peut y trouver divers types de ressources pédagogiques : dossiers, webdocs, etc. On y trouve également un agenda collaboratif de nos services éducatifs qui propose des formations (comme récemment celle du Préac à Bordeaux), ou des informations sur les parcours ou les ateliers mis en place dans leur maison. Enfin, et c’est un travail inédit, nous avons constitué un répertoire des opéras pour enfants qui recense aujourd’hui 70 œuvres, 100 productions et au moins autant de documents.
Finalement, à qui est destiné le « Portail des Opéras de France » ?
Je pense que nous avons réussi à faire le grand écart car le Portail pourra intéresser tout autant un public de connaisseurs qu’un public totalement néophyte. Je précise que l’accès à l’ensemble des ressources disponibles sur le Portail est gratuit.
Le chercheur y trouvera des contenus qu’il ne trouvera nulle part ailleurs (les programmes de salle en particulier sont des mines d’informations qu’on ne trouve le plus souvent ni dans les librairies, ni même dans les bibliothèques). Un élève de 4e qui étudie Le Mariage de Figaro au collège pourra, lors de sa navigation sur internet, trouver des informations utiles à un éventuel exposé. Nous avons alors imaginé, avec notre développeur, des scénarios pour les visiteurs « en errance », qui lui permettront d’aller plus loin dans l’exploration du site. Ils pourront peut-être trouver sur la plateforme Culturebox une retransmission de cet opéra… Ce portail est un outil de connaissances à destination de tous les publics curieux.
Et sur le plan musicologique, pensez-vous qu’il fera évoluer la recherche ?
Il vient alimenter nos connaissances sur l’histoire de la programmation dans nos maisons. Au mois de décembre dernier, l’Opéra Comique nous avait invités à faire une intervention sur le thème « Remonter l’opéra français du XIXe siècle » avec Hervé Lacombe. Nous avons pu présenter préalablement un panorama de la vie lyrique de nos opéras entre 2006 et 2013 à partir du corpus de Mélisande. Cela nous a permis de faire émerger une réelle histoire du goût autour des 535 œuvres recensées, plus de 7 000 levers de rideau avec un top ten des œuvres les plus jouées. Nous avons pu examiner la création de près, et montrer que le répertoire du grand XIXe représente plus de 35 % des œuvres jouées. Pour le musicologue, c’est un outil exceptionnel ! A cet égard, la numérisation des programmes de salle est essentielle car elle met à disposition des informations essentielles non seulement sur l’œuvre, mais aussi sur la production et les maîtres d’œuvre grâce aux notes des metteurs en scène, aux articles de musicologues, aux biographies, aux photos…
Donc vous confirmez que cet outil est unique ?
Certaines maisons ont fait un travail de recensement de leurs archives ; mais il n’existe pas, à ma connaissance, un site recensant et valorisant les programmations des opéras d’un pays tout entier comme le Portail des Opéras de France. La ROF est la première à le faire. Evidemment, le corpus demande à être enrichi et complété. Il y a des lacunes pour certaines maisons mais nous sommes optimistes !
Vous dites que ce type de plateforme n’existait pas pour l’art lyrique. Qu’en est-il des orchestres, du théâtre, de la danse ? Est-ce vraiment la première plateforme en France dédiée au spectacle vivant ?
Je dois préciser que nous nous sommes également intéressés à la danse et que vous trouverez sur le Portail une importante documentation concernant la programmation chorégraphique. Le Portail des Opéras de France est la première plateforme à rassembler la programmation lyrique et chorégraphique de nos maisons. D’autres réseaux, comme l’Association Française des Orchestres, ont fait un gros travail de recensement des archives des orchestres, essentiellement audiovisuel à ma connaissance. Il y a aussi d’autres projets plus récents comme celui de la FEVIS qui recense l’activité des ensembles vocaux et instrumentaux spécialisés. Et puis, il y a le Portail de la musique contemporaine pour les XXe et XXIe siècles, ou l’incontournable Numéridanse.
Ces plateformes ont-elles été une source d’inspiration pour la conception de votre projet ?
Nous avons évidemment fait le tour de l’existant avant de nous lancer dans cette aventure. Un portail est un projet architectural au sens propre puisqu’au-delà des matériaux utilisés, il faut penser à la structure architectonique, à l’aménagement intérieur, à l’habillage, mais aussi à son utilisation, son évolution.
Quels sont aujourd’hui les enjeux de cette ouverture ? Quels sont vos objectifs ?
Nous avons en premier lieu des enjeux propres au réseau des opéras de la ROF. Comment associer au mieux nos trente-deux membres ? Comment les aider à s’emparer de cet outil, à enrichir le corpus ? C’est un projet collectif mais aussi collaboratif. Il dépend donc de tous. Nous avons ensuite des enjeux avec l’ensemble de nos partenaires pour développer nos partenariats en termes de contenus essentiellement. Ce n’est vraiment que le début de l’aventure. Enfin, nous avons bien entendu des enjeux avec le public ! Nous espérons lui donner l’envie de découvrir le monde de l’opéra et peut-être d’en franchir les portes.
Musicora, 5 février 2016, 12h30 : conférence de lancement du Portail des Opéras de France avec Laurence Lamberger-Cohen
Le Portail des Opéras de France est disponible à partir du 5 février sur www.franceoperas.fr
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