Justin Taylor © Jean-Baptiste Millot

Justin Taylor et la Famille Forqueray

6 minutes de lecture

Jeune claveciniste angevin issu d’une famille de mélomanes, Justin Taylor est diplômé des classes de piano et de clavecin du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. 1er prix du concours international de Bruges en 2015, il évoque dans cet entretien, les particularités de sa formation, son expérience du concours Musica Antiqua, et son coup de cœur pour la famille Forqueray.  

 

 

Justin Taylor, vous avez participé au concours international de Bruges en 2015. Racontez-nous !

J’étais en dernière année de clavecin au Conservatoire de Paris, la première année où je n’ai véritablement consacré tout mon temps qu’à cet instrument puisqu’auparavant, j’étais en double formation piano-clavecin. Préparer ce concours m’offrait la possibilité de monter plein de répertoires, et les pièces imposées du programme m’intéressaient beaucoup. Je souhaitais vraiment dire quelque chose de particulier sur chacune d’entre elles.  Le premier tour était très expéditif puisqu’on jouait seulement 10 minutes. La demi-finale était constituée d’un programme de récital varié. La finale était, quant à elle, très excitante puisqu’on jouait dans la grande salle de Bruges ; nous jouions avec orchestre, donc dans les mêmes conditions qu’un concert. A la finale, nous avions une pièce contemporaine commandée pour le concours, une toccata de Bach, et un concerto de Bach.

 

Gardez-vous un bon souvenir de cette expérience ?

Oui, j’en garde un super souvenir !  En plus il faut dire qu’à Bruges, le concours est vraiment ancré dans la culture. J’étais très étonné car dès le premier tour, à partir de 9h00 du matin, la salle était déjà pleine. Cette ambiance apporte beaucoup. Et l’expérience s’est plutôt bien finie puisque j’ai remporté le premier prix, le prix du public, le prix Outhere, et le prix European Baroque Orchestra Development Trust !

 

Ce succès vous a donné l’opportunité de sortir votre premier disque à la rentrée…

Cela faisait très longtemps que je souhaitais monter un projet autour des œuvres des Forqueray. C’est vraiment un répertoire qui me tenait à cœur. Donc j’ai tout de suite su que c’était ces œuvres que j’enregistrerais puisqu’Alpha, la maison de disque, me donnait carte blanche.

 

Et comment avez-vous découvert cette famille Forqueray ?

Quand on parle de la famille Forqueray, on fait souvent référence à Antoine et son fils Jean-Baptiste qui sont les plus connus. J’avais accompagné une pièce de viole du père et j’avais été conquis. Il existait aussi une version clavecin qui avait été transcrite par Forqueray lui-même. C’est une famille qui était très connue à l’époque, et beaucoup de compositeurs leurs ont rendu hommage, je pense notamment à Couperin et Rameau.

 

Donc cet album est exclusivement consacré aux œuvres des Forqueray ?

Cet album se veut être un « portrait » de cette famille. Il y a donc deux suites de Jean-Baptiste Forqueray, des hommages composés par Couperin et Duphly, ainsi qu’une transcription que j’ai réalisée d’une suite pour trois violes d’Antoine Forqueray.

 

Quelle est l’esthétique musicale de cette famille ?

C’est un peu « ovni » comme esthétique. Dans leur langage, il y a une énorme tradition française. Mais même temps, ils sont relativement avant-gardistes avec des caractères emportés qui rendent les pièces très virtuoses. On a l’impression que chaque pièce est un portait de quelqu’un, et elles sont toutes en nuances. C’est à la fois très précis dans l’écriture, mais l’énergie et le caractère qu’on peut apporter sont primordiaux ; c’est cette chose là qui me plaisait beaucoup chez eux. On peut vraiment donner une touche personnelle à ces pièces.

Il y a une histoire incroyable dans cette famille. Le père est violiste. Son fils, un vrai prodige, a vite subi la jalousie de son père puisqu’il fût emprisonné par celui-ci, puis banni de France ! Le père n’a jamais rien publié de son vivant. Lorsqu’il publie cinq suites en 1747, Jean-Baptiste déclare avoir publié les œuvres composées par son père. Cette histoire ne colle pas du tout avec le coté novateur que j’évoquais plus haut.  Je pense vraiment que c’est Jean-Baptiste qui a quasiment tout écrit. Il a peut-être utilisé la notoriété de son père pour assurer le succès de sa publication.

 

Comment êtes-vous venu au clavecin ?

J’ai commencé la musique à la suite de la découverte de la Galerie Sonore à Angers, et le clavecin lors d’un concert donné à la faculté d’Angers. J’ai commencé cet instrument à 11 ans, deux ans après le piano, puis je suis rentré dans la classe de Françoise Marmin au conservatoire d’Angers.

 

Cela a-t-il été un atout dans votre formation et votre carrière d’être à la fois pianiste et à la fois claveciniste ?

Oui, un grand atout, que ce soit pour interpréter le répertoire claveciniste ou le répertoire pianistique. Je trouve que ce sont deux instruments complémentaires et jouer des deux m’a énormément enrichi !
La pratique du piano apporte une maîtrise technique qui est un véritable atout pour le clavecin. Généralement, cela paraît évident que cela soit un avantage parce qu’on se dit « ah oui, il est pianiste, il a une bonne technique, une bonne virtuosité, etc. ». Mais pour tout ce qui est des questions de phrasée et de contrôle de tous les petits détails, la pratique du clavecin a aussi été très utile pour le piano. Au clavecin, chaque petit détail est important, et cette maîtrise de chaque instant m’a apporté beaucoup pour jouer le répertoire classique au piano.

 

Vous avez suivi plusieurs classes de maîtres. Que vous ont-ils appris de plus précieux ?

J’ai vraiment eu la chance d’avoir une excellente professeure à Angers qui m’a tout de suite mis sur la bonne voie. Elle m’a permis de développer une approche du clavecin qui est toujours la mienne aujourd’hui. Sur le plan stylistique, il m’arrivait de jouer différents styles de la même façon, avec des réflexes instinctifs qui ne correspondent pas forcément avec des styles précis comme la musique italienne du début du XVIIe ou l’école des Virginalistes anglais par exemple. Rencontrer des spécialistes et passionnés de chaque style spécifique a beaucoup enrichi mon approche.

 

Et sur le plan des Écoles ?

L’École française à laquelle j’ai été formé dès l’âge de 10 ans, favorise la rondeur du son, l’aspect résonnant, le touché très délicat, etc. Je suis très attaché à cette esthétique. Le clavecin est un instrument dont le son a naturellement beaucoup d’attaques. C’est un instrument qu’on doit caresser dans le sens du poil pour que cela soit vraiment beau. Je ne connais pas bien encore toutes les écoles de clavecin mais j’apprécie énormément l’esthétique et l’école française ; c’est elle qui me fait vivre !

 

En 2014, vous avez fondé avec trois autres instrumentistes, le Taylor Consort. Comment avez-vous lancé ce projet ?

On jouait déjà beaucoup ensemble avant Bruges. Cela marchait vraiment super bien entre nous.  Le concours a été l’occasion de saisir plusieurs opportunités et de poser une vraie structure à notre ensemble. C’était évident que c’était avec eux que je souhaitais me produire en musique de chambre. Le nouveau projet que j’ai envie de défendre dans les prochains mois consiste à jouer le répertoire de musique de chambre classique sur piano-forte, et de faire le lien entre la période baroque et la période classique. Je trouve dommage que le baroque soit mis à part. Entre Couperin et Mozart, il y a seulement 20 ans qui se sont écoulés !  Jouer ces deux répertoires et voir les liens qui existent entre ces deux esthétiques me passionne.

 

La musique de chambre est-elle votre répertoire de prédilection ?

C’est vrai que le clavecin a des rôles très différents : continuo, solo, musique de chambre, etc.Le solo et la musique de chambre se complètent vraiment. J’aurais eu du mal à faire soit l’un ou soit l’autre et je suis très content de faire de la musique de chambre en plus de mes récitals solo !

 


Justin Taylor, La Famille Forqueray – Portraits, Alpha

En savoir plus
Le site de l’artisteLe Taylor Consort sur Facebook
Le site du concours Musica Antiqua de Bruges
Le site de Outhere Music

Derniers articles de Interview