Encore une fois le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris nous propose un opéra revisité et interprété par une troupe de jeunes musiciens, chanteurs et danseurs.
Après un très réussi Mitridate, re di Ponto en 2014, les élèves du Conservatoire nous font découvrir l’Auberge du Lys d’or, établissement balnéaire de Plombières, où quelques aristocrates de tous les pays se retrouvent avant de se rendre à Reims pour le sacre de Charles X.
Pendant cette attente, dans ce microcosme à huis clos, une série d’épisodes mélodramatiques ont lieu et servent de prétexte à Rossini pour déployer tout son humour et toute son ironie sur l’être humain et ses passions.
Jalousie, rivalité, vanité et intrigues amoureuses animent le séjour à l’hôtel de Madame Cortèse jusqu’au coup de scène final (chanté à quatorze voix !) : le voyage est annulé car plus aucun cheval n’est plus disponible. Tant pis, c’est tout de même un bon prétexte pour faire la fête.
Rarement joué à cause de ses dix-huit rôles principaux, Le Voyage à Reims est l’opéra idéal pour mettre à l’épreuve sur scène le plus grand nombre d’étudiants, d’autant plus que tous les chanteurs ont droit à leur air virtuose et aux ensembles explosifs…
Cet opéra sans intrigue supporte facilement l’adaptation : la metteuse en scène Emmanuelle Cordoliani a choisi de superposer au livret de Luigi Balocchi le Corinne ou l’Italie (1807) de Madame de Staël dont l’opéra s’inspire. Les passages les plus philosophiques du roman, qui s’ouvre au féminisme et réfléchit sur le rôle de l’art et de l’artiste, contrastent avec la légèreté du texte italien, qui raconte avec humour les excès des passions humaines.
Si les danseurs sont habillés et maquillés dans des nuances de gris, à la manière de statues neutres dont ils imitent les poses, les costumes des chanteurs caricaturent chaque personnage pour mieux nous dévoiler leur personnalité. Ainsi le douteux docteur Don Prudenzio ressemble à un savant fou avec ses cheveux bleu et orange en bataille, la nurse Delia est maladroite comme son maquillage bancal en masque de boue, la Comtesse de Folleville a le mascara qui coule sous ses larmes, Don Alvaro est un amiral espagnol plutôt plouc et le Comte de Libenskof apparaît frêle et ridicule dans son maillot de bain d’antan à rayures…
Quant à la vidéo, elle est réfléchie et nullement envahissante, notamment quand Don Profondo répertorie les différents hôtes dans son « Air du catalogue »… pendant qu’un film les montre devant le miroir de leur salle de bains, en proie à leurs manies parfois bien ridicules.
Certes, il ne s’agit pas d’un grand théâtre d’opéra, les décors et les costumes ne sont pas somptueux, le piano est un peu désaccordé et les jeunes chanteurs ne maîtrisent pas tous la diction italienne, mais ils débordent de talent et d’énergie, insufflent une nouvelle fraîcheur à cette parodie rossinienne de l’exaltation humaine et transmettent beaucoup d’émotion au public. Ils savent nous faire rire, quand le Baron Trombonok sert de psy à Lord Sidney qui raconte ses malheurs, quand ils jouent à la roulette russe, se plaignant et feignant de se suicider tour à tour, ou quand Madame Cortèse suggère d’un regard que l’urne à l’entrée de l’auberge contient les cendres de Rossini – nous toucher, comme la Comtesse de Folleville désespérée d’avoir perdu toutes ses toilettes ou Lord Sydney déclarant son amour à Corinne – nous étonner, quand Trombonok chante « Wilkommen » et que la scène se transforme en cabaret, ou quand ils passent de l’opéra aux lieder avec piano dans le finale, ou quand la voix de la poétesse, telle un baume, vient calmer les esprits (depuis sa baignoire).
Un grand bravo, donc, à ces artistes qui non seulement font preuve d’assurance sur scène, mais osent surtout prendre des risques !
Gioacchino Rossini
Le Voyage à Reims
Livret de Luigi Balocchi
Avec les extraits :
Luciano Berio
“La donna ideale”
Extrait des Folk Songs pour mezzo-soprano et 7 instruments
Fed Ebb / John Kander
“Wilkommen, bienvenue, welcome”
Extrait de Cabaret
Orchestre du Conservatoire de Paris
Marco Guidarini, direction musicale
Emmanuelle Cordoliani, mise en scène et adaptation
Julie Scobeltzine, création des costumes et scénographie
Bruno Bescheron, création lumières
Romain Dumas, chef assistant
Antoine Arbeit, chorégraphie
Chefs de chant
Delphine Armand, Masumi Fukaya et Thibaud Epp
Danseurs
Antoine Arbeit, Justine Lebas, Marie Leblanc, Baptiste Martinez, Anthony Roques et Fyrial Rousselbin
Musique de scène
Rémy Reber – guitare ; Nn – violoncelle ; Marcel Cara – harpe ; Delphine Armand, Thibaud Epp et Masumi Fukaya –pianoforte
Elèves du Département des disciplines vocales
Pauline Texier, soprano – Corinna
Eva Zaïcik, soprano – Melibea
You-Mi Kim, soprano – Folleville
Axelle Fanyo, soprano – Cortese
Fabien Hyon, ténor – Belfiore
Benjamin Woh, ténor – Liebenskof
Florian Hille, baryton – Profondo
Romain Dayez, baryton – Trombonok
Aurélien Gasse, baryton – Alvaro
Igor Bouin, baryton – Prudenzio
Marina Ruiz, soprano – Delia
Mathilde Rossignol, mezzo-soprano – Maddalena
Claire Péron, mezzo-soprano – Modestina
Jean-Christophe Lanièce, baryton – Antonio
Jean-Jacques L’Anthoën, ténor – Luigino
Arnaud Guillou, baryton – Lord Nelvil
Coproduction Conservatoire de Paris, Philharmonie de Paris