Madoka Fukami © DR
Madoka Fukami © DR

Madoka Fukami, éminente debussyste

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Une fois que Madoka Fukami s’installe devant le piano, ses petites mains ne représentent aucun handicap pour elle. Ses doigts, surnaturels, sont capables de créer toutes sortes de rythmes et de sons. Ses staccatos à la main gauche dans la Sonate de Carl Philip Emanuel Bach sont si précis et réguliers qu’on a l’impression d’entendre un grand maître du clavecin. Il en va de même pour ses accords qui ne négligent aucune notes. En l’entendant, on se demande comment elle fait: les écarts d’intervalle entre les notes à l’intérieur d’un accord sont si grands qu’à l’évidence elle ne peut les jouer avec ses mains minuscules sans les arpéger. Et pourtant, elle réalise un petit miracle : tout est transparent (y compris ces accords) et bien dosé, sans qu’à aucun moment la moindre lourdeur ne vienne gâcher la musique, ou que le romantisme maniéré ne modifie la nature de la pièce. Elle possède donc un grand sens du style. Ainsi, dans l’extrait de la Partita transcrite par Saint-Saëns, les accords sont plus épais, la musique devient plus robuste et exprime cette esthétique quelque peu grandiloquente propre au postromantisme qui fait sonner le piano de manière plus ample, avec une autre sonorité que chez les Bach.

Mais c’est chez Debussy que Madoka Fukami fait véritablement preuve de talent. Ici aussi, on remarque immédiatement une précision exemplaire, non pas parce qu’elle est scrupuleusement fidèle à la partition mais parce qu’elle sait prendre une liberté d’autant plus musicale qu’elle s’épanouit dans le cadre contraignant des « études » : difficultés techniques, changements subits de registre, caractères infiniment variés d’une étude à l’autre… Interpréter les deux livres d’un seul trait est une tâche épuisante qui relève de l’exploit, compte tenu de tous ces éléments. Et pourtant, non seulement elle met parfaitement en valeur ces aspects interprétatifs, mais aussi et avant tout, elle transmet à l’auditeur son amour pour le compositeur français, son attachement profond à l’esthétique de ce génie. Finesse, légèreté, dynamisme, couleurs, équilibre entre les moments de tension et de détente… Ses expressions sont naturelles, mais derrière ce naturel, on sait qu’il y a une lecture minutieuse et fidèle de la partition. Et voilà qu’on revient à la notion de la liberté dans un cadre contraignant !

Une musicalité exceptionnelle et épanouie, appuyée sur une solidité technique elle aussi exceptionnelle : voilà selon nous ses premières qualités.

 

 


Auditorium du Musée d’Orsay, le 20 janvier 2015

Programme :
Carl Philip Emanuel Bach (1714-1788)
Sonate pour clavier en la mineur « Württemberg » H30, Wq 49/1

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Partita pour violon BWV 1002 « Tempo di borea », transcription pour piano, R 215 n°4 par Camille Saint-Saëns (1835-1921)

Claude Debussy (1862-1918)
Douze Etudes


Madoka Fukami a fait ses débuts en soliste dans le 1er Concerto de Tchaïkovski à l’âge de 14 ans, au Japon. Après sa formation à l’Université nationale des Arts de Tokyo, elle poursuit ses études avec Michel Béroff et Marian Rybicki et obtient son master de piano à l’unanimité au CNSMD de Paris. Depuis 2013, elle est soliste résidente à La Chapelle Musicale Reine Elisabeth en Belgique. Lauréate de plus de dix concours internationaux, dont le Rosario Marciano à Vienne et le concours Jean Françaix, elle a également reçu un diplôme au Concours Chopin à Varsovie en 2010. Soutenue par l’Académie française, l’ADAMI, Mécénat musical Société Générale, Fondation Zaleski et autres institutions, elle poursuit ses études auprès de Maria Joao Pires.

 

 

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